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Vie de La Brochure
13 août 2014

Le comité de Sonallah Ibrahim

Cette chronique du Monde Diplomatique est ce que m'a poussé vers cet auteur égyptien. Je ne l'ai pas regretté. JPD

J'ai déjà évoqué  Sonallah Ibrahim ici

 

DANS L'ÉGYPTE SUBJUGUÉE

Les vigiles du nouvel ordre

LE COMITÉ, de Sonallah Ibrahim (traduit de l'arabe par Yves Gonzalès-Quijano), Actes Sud, Arles, 1992, 179 pages, 98 F.

METTRE en scène une instance de pouvoir occulte, omnisciente et omnipotente, qui gouvernerait le destin des individus ou des nations est un genre qui a souvent tenté les romanciers. C'est dire si l'écrivain qui s'y essaie après d'autres risque de tomber dans le piège du « déjà-lu » ou de l'exercice de style. L'Egyptien Sonallah Ibrahim y échappe magistralement avec ce roman prenant qui, malgré le temps écoulé depuis sa publication en arabe, en 1981 a conservé toute sa puissance.

Cette instance mystérieuse, Sonallah Ibrahim ne cherche pas à l'identifier. Il nous suggère seulement que « le Comité », ainsi qu'il l'appelle, est composé de civils et de militaires, ou de civils qui se font passer pour des militaires, à moins que ce ne soient des militaires en civil, qu'il utilise une langue qui n'est pas l'arabe et qu'il lui est agréable d'entendre la douce musique de l'idéologie dominante sous Sadate, à la gloire de la liberté économique et de Coca-Cola. Plus important pour l'auteur est le fonctionnement de cet appareil de pouvoir dont les décisions de cooptation sont censées ouvrir toutes les portes mais qui se révèle très vite à l'intellectuel qui postule ses faveurs, le narrateur, comme un appareil de censure et de castration, comme l'instrument d'une indicible violence.

Dès le premier test, l'impétrant, pourtant résolu à rentrer dans le moule du Comité, se voit humilié, violé dans les tréfonds de son intimité. Invité ensuite à préparer une étude sur la «personnalité la plus brillante du monde arabe », il va se heurter dans sa recherche à une obstruction méthodiquement organisée. La déjoue-t-il qu'il est mis en demeure d'y renoncer dans son propre intérêt et placé sous une surveillance de tous les instants, jusqu'à ce que, excédé, il se libère d'un tragique mouvement de révolte. C'est pour être condamné alors à la peine la plus terrifiante qui soit, la plus improbable aussi, qui se dévoile au lecteur en un final époustouflant.

Il faut dire que la personnalité que le narrateur a élue, en croyant complaire au Comité, n'est autre que « le Docteur », archétype de ces hommes de pouvoir et d'argent qui ont su si habilement parasiter la bureaucratie de la révolution sous Nasser avant de faire fructifier leurs talents avec l'infitah, l'ouverture économique de Sadate, mais dont les traits ne sont pas sans évoquer un Adnan Khashoggi ou un Akram Ojjeh, courtiers milliardaires des princes du pétrole et des vendeurs d'armes. En ce sens, sa dénonciation porte au cœur des réseaux d'intérêts qui, à l'époque de Camp David, enserrent l'Egypte et le monde arabe.

AU service de cette dénonciation, Sonallah Ibrahim utilise l'écriture froide, objective, quasiment clinique, qui a été sa marque dès son irruption dans le roman arabe avec Cette odeur-là (1) et Etoile d'août (2). Il pousse même le détachement jusqu'à insérer dans la narration des citations de sources universitaires ou journalistiques, parmi lesquelles le... «célèbre Monde diplomatique ». Le cauchemar dont il décrit l'engrenage irrésistible n'en est que plus glacé, et plus désespérante l'allégorie de l'intellectuel égyptien et arabe subjugué par l'action conjointe de la censure, des pétrodollars et des fondations américaines. Irréelle à force d'être précise, cette écriture, servie ici par une excellente traduction, fait du Comité une oeuvre majeure qui, par-delà l'Egypte et le monde arabe, apparaît aujourd'hui comme une anticipation formidablement inspirée du « nouvel ordre » et de ses vigiles si nombreux.

SAMIR KASSIR.

(1) Chronique d'un retour à ta vie après cinq ans de prison sous Nasser, ce roman est paru en 1966 à Beyrouth dans une version légèrement expurgée. Il a été réédité en 1986 dans son intégralité. Actes Sud a eu la bonne idée d'en proposer une traduction, due à Richard Jacquemond, en même temps que celle du Comité (87 pages, 69 F).

(2) Ébauché en 1966 mais publié en 1974 traduction parue chez Sindbad, Paris, 1987.

 

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