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Vie de La Brochure
14 août 2014

Le Québec de JULIETTE POMERLEAU

Le Monde diplomatique a souvent évoqué le cas du Québec. Il suffit pour le vérifier d'aller sur le site du journal et de taper Québec dans le moteur de recherche. Vous n'accèderez pas aux articles mais aux présentations. Par contre à la rubrique de la critique littéraire c'est la seule mention que j'ai trouvé entre 1985 et 2005 ! Peut-être l'une d'elle m'a échappé mais je retiens donc celle-ci pour visiter une Québec déjà ancien, celui de 1989. JPD

 

Le Monde diplomatique octobre 1989

PORTRAIT PICARESQUE DE MONTRÉAL

Tumultueuses nostalgies petites-bourgeoises

JULIETTE POMERLEAU, d'Yves Beauchemin, Editions de Fallois, Paris, 1989, 691 pages, 130 F.

LE roman populaire est certainement la manifestation la plus vigoureuse de la littérature québécoise de ces récentes années. Que ce soit sous forme de saga du temps jadis ou de chronique de la « génération des fleurs » ce genre attire un lectorat nombreux, échaudé par vingt années d'expérimentation romanesque et préoccupé à nouveau par sa survivance politique. Yves Beauchemin fut l'un des premiers à pressentir l'importance d'une littérature romanesque enfin dédouanée du modèle européen, qui retrouve ses racines par le détour des techniques du best-seller. Le succès de son Matou — un million d'exemplaires vendus — lui a donné raison. Salué par la critique comme un nouveau Dickens, Beauchemin est parvenu en effet à renouveler le courant populaire des années 50 dont se nourrirent les œuvres de Roger Lemelin et d'Yves Thériault.

Juliette Pomerleau, son troisième roman, ne déroge pas aux règles qu'il s'est fixées dans ses livres précédents. Les personnages se bousculent ; l'action emmène tambour battant le lecteur au centre d'une savoureuse galerie de portraits où émerge en filigrane l'image d'un Québec encore solidement arrimé à ses traditions. Juliette, comptable, obèse de cinquante-sept ans, est évidemment la reine ; le pilier autour duquel gravite une foule de personnages picaresques aux intrigues et aux intérêts divers. Ni son poids ni sa maladie ne l'empêcheront de se lancer à la recherche de sa nièce volage, mère de Denis, dix ans, dont elle est devenue le parent adoptif. Cela lui vaut bien des désagréments mais aussi d'heureuses surprises que l'auteur dévoilera à point nommé.

Toute l'habileté de l'auteur consiste à maintenir en équilibre cette époustouflante machinerie romanesque où les coups de semonce anticipent ceux du destin. Yves Beauchemin à cet égard est un émule de Balzac, et sa Juliette une digne représentante de « la comédie humaine » nord-américaine. Ce personnage a été abondamment traité par la littérature québécoise sous les traits d'une mère débrouillarde contrainte d'assumer seule la responsabilité d'une famille nombreuse. Beauchemin modernise quelque peu cette figure dramatique : il en fait une comptable sans enfants qui roule en voiture japonaise.

Libérée des contraintes familiales et économiques, la voilà prête à partager son amour débordant pour le reste de l'humanité. L'auteur ne lésine pas sur les moyens pour nous la rendre attachante. La verve, l'humour et une langue rabelaisienne affirment son tempérament à chaque page. Mieux, son prénom est, coïncidence, celui d'une célèbre comédienne québécoise ayant souvent interprété ce type de rôle à l'écran. Si la ficelle est grosse, elle n'en demeure pas moins efficace pour accentuer l'identification de Juliette à son public originel. Beauchemin amplifiera le procédé jusqu'à introduire dans le récit des personnages réels. Ainsi le très populaire chef de l'Orchestre symphonique de Montréal sera, l'espace d'un chapitre, l'interlocuteur d'un personnage du roman, Bohuslav Martinek, musicien génial et méconnu.

Figure à demi-réelle elle aussi, puisque inspirée de la vie du compositeur tchèque Bohuslav Martinu, mort en 1959, auquel l'ancien conseiller musical, devenu romancier, voue un culte d'aficionado. La greffe est heureuse. Outre Juliette, c'est peut-être le personnage le mieux réussi ; celui qui possède la plus grande densité dramatique. Les doutes et les tourments de l'artiste y sont décrits avec une belle sensibilité dont on regrette parfois qu'elle ne se manifeste pas davantage chez les autres protagonistes. L'action en effet prolifère au détriment de l'approfondissement psychologique. Car ces retrouvailles tant souhaitées entre la mère et le fils se font attendre. Lorsqu’enfin elles surviennent, le désir n'y est plus. Mais a-t-il vraiment existé ? Alors que signifie cette vaste entreprise de reconstitution familiale ? On connaît l'acuité de cette problématique dans l'imaginaire contemporain. En choisissant de l'inscrire dans la tradition du XIXe siècle pré-flaubertien, l'auteur renoue avec une thématique bien familière aux Québécois : celle d'une culture orpheline abandonnée au XVIIIe siècle par la mère patrie. C'est ici que le roman d'Yves Beauchemin, nationaliste de la première heure, laisse entrevoir ces intentions idéologiques : la restauration de la petite-bourgeoisie canadienne française autour des valeurs d'un matriarcat rénové.

A la fin du roman, Juliette relogera tout son monde dans la maison ancestrale qu'elle vient d'acquérir à l'ombre des gratte-ciel de Montréal. C'est le point d'orgue d'une action tumultueuse qui jusque-là s'était principalement déroulée en périphérie ; les quartiers de Longueuil, Sherbrooke, Trois-Rivières, Sainte-Hyacinthe constituent un réseau ténu où s'exerce une solidarité de bon aloi — dont l'enjeu est de reconduire au centre de la métropole une classe qui en fut chassée lors du développement effréné des dernières décennies. Ce patrimoine saccagé, il s'agira ensuite de le restaurer au sens propre et figuré. Juliette Pomerleau participe à ce mouvement comme d'autres romans québécois récents, revisités par le féminisme.

FULVIO CACCIA.

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