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Vie de La Brochure
24 octobre 2014

Castan s'adresse aux républicains

castan TC

Les journées de Larrazet vont se pencher sur histoire et occitanisme. Comme contribution au débat ce texte de Félix Castan publié dans Témoignage chrétien le 9 décembre 1999 dans un dossier où il était confronté à un autre communiste Anicet Le Pors (qui n'était plus membre du PCF à ce moment là et qui est publié dans l'article suivant). J-P Damaggio

 

Républicains, encore un effort !

Loin de mettre en péril la cohésion nationale, la reconnaissance des langues régionales est un facteur déterminant d'enrichissement et de progrès. Un repli frileux et crispé sur l'usage exclusif de la langue française n'est que l'expression de la difficulté, voire de l'impossibilité, de penser la complexité.

Qui peut lire sans étonnement la déclaration des « Libres Penseurs », appelant à manifester, le 11 décembre prochain, à Paris, contre la Charte des langues minoritaires ? Cette déclaration sent son XIXe siècle. Or nous ne sommes plus au XXe, mais déjà au XXIe siècle !

Faut-il que la République s'arrête en chemin ? La Révolution française, en fondant sur l'égalité le principe de citoyenneté, entérina un bond en avant de la civilisation. Personne ne veut revenir sur cet acquis. La République était vraiment née, même s'il fallut un siècle pour la faire entrer définitivement dans les faits nul, dorénavant, ne pourrait se sentir exclu de la loi. Mais cela ne voulait pas dire que la diversité disparaîtrait, serait pourchassée, honnie, et que la nation serait réduite à l'état de termitière.

Les partisans de la Charte ne demandent pas la proscription de la langue française : ils demandent un bilinguisme fécond, juste et respectueux des personnes. L'avenir de l'humanité n'est pas au monolinguisme. Tous les spécialistes savent depuis longtemps qu'un authentique bilinguisme de proximité a une vertu éminemment pédagogique : l'Education nationale le sait, mais le cache, pour des raisons « politiques ». La morale républicaine est ainsi bafouée. Gestionnaires de la République, soyez donc républicains Arrêtez de fantasmer. Françoise Giroud écrit : « Que nous restera-t-il de patrie quand chaque région ne pratiquera plus que sa langue ? ». Belle hypothèse, affreuse question ! A faire trembler dans les chaumières !

Les Libres Penseurs retrouvent le vocabulaire de l'abbé Grégoire, ces «idiomes et patois» dont ils disent pourtant n'être «nullement les adversaires ». Combien de peuples sont naturellement bilingues ou trilingues Ce n'est pas appauvrissement ou clôture, mais au contraire ouverture. En face, l'infirmité monolingue française. Le problème posé est fondamentalement culturel, plus que linguistique.

Un grand penseur de langue occitane, et l'un des poètes majeurs de l’Europe du XVIe siècle, un de ces phares qui éclairent d'un coup les horizons de plusieurs siècles, en un moment charnière de l'histoire, Pierre de Garros, après une admirable traduction des Psaumes parue en 1565, publia son œuvre personnelle en 1567, à Toulouse. Il en reste trois exemplaires dans le monde. Cette œuvre a été rééditée à cent exemplaires en 1900. Combien en reste-t-il ? On ne la trouve guère que dans de rares bibliothèques publiques. Poésie brève et fulgurante, combattante et savante, critique et prophétique, somme d'esthétique novatrice et de morale civique. Garros conçoit une société centrée sur l'homme, l'homme qui travaille et produit des œuvres de paix.

C'est dans sa cité que l'individu se réalise et conquiert sa liberté, pourvu qu'aucune dictature ne prétende le dominer, pourvu que les héros sachent faire leur autocritique et preuve d'humilité. La nation n'aura d'autre but que de soutenir les villes de ceux qui se sont unis par un pacte vital. Telle est la philosophie de Frankina, cette ville modèle, c'est-à-dire la "française", ou aussi bien "l'indépendante", la commune de toutes les «franchises». Acte de foi politique en une nation, un royaume générateur de paix civile, de paix universelle. L'acte politique est acte de police contre les désastres de la guerre, dont les horreurs ont provoqué la méditation du poète, en quête de solutions, municipales et nationales.

 Cette méditation traverse la pensée de tous les baroques occitans du XVI siècle, mais aussi du XVIIIe et du XIXe siècle. N'est-elle celle d'une République qui serait enfin elle-même ? On voudrait avoir accès à Garros et à ses successeurs : ceux-ci ne sont pas en meilleure situation que lui. Les écrivains de notre siècle, dont les œuvres sont publiées à petit nombre d'exemplaires, ou même inédites, ne sont pas à la portée des jeunes générations, qui les ignorent.

Les Libres Penseurs, je suppose, ne sont pas pour la destruction des livres, et d'une importante littérature de la civilisation européenne.

 Pour changer la situation, il faut des moyens, des mesures législatives et la mise en œuvre d'une véritable pédagogie : d'une pédagogie enfin pleinement républicaine. L'action des militants est nécessaire, mais elle ne saurait suffire. On n'appellera pas purification ethnique la situation que nous connaissons encore, puisqu'elle n'est pas allée jusqu'aux méthodes les plus extrêmes, mais elle lui ressemble un peu.

Quant aux langues, Garros fait vœu de fidélité absolue, quasi religieuse, à sa langue... La Défense et illustration de la Pléiade traduisait une confusion du politique et du linguistique, dont la France a du mal à se dégager, et qui est à l'origine de toutes les perversions de la pensée. La « libre pensée » dont on se réclame n'est pas séparable de la liberté d'expression et de la liberté des langues. Pour Garros, la langue est une réalité plus profonde que la politique, elle la précède : langue et politique sont deux concepts indépendants l'un de l'autre. Les politiques démocratiques s'adaptent aux langues.

Une République se fonde non pour détruire les langues, mais pour les servir.

Les troubadours concernent l'Europe entière, mais ils ne sont enseignés à personne, pas même aux jeunes Occitans, tant le principe d'exclusion, politico-linguistique est fort en France. Terrible exception française, qui entache l'esprit de la République. Comment penser l'Europe aux cultures multiples, si l'on ne sait pas penser le multiple chez soi ? La raison est indivisible. La raison, c'est l'homme : elle doit, comme lui, construire dans la cohérence.

La République autarcique et communautariste dans laquelle la pensée du XIXe siècle s'était assise n'avait aucun projet européen ni mondial à assumer. Nous voulons plus de nation et plus de République, plus de complexité, plus de dialectique, plus d'attention à la vie des gens, une société de l'échange. Des têtes faites pour le choix et le partenariat, foncièrement bilingues. Il n'y a d'unité durable qu'à ce prix.

La pensée unique, tout le monde en convient c’est le malheur d’une nation. Félix Castan

 

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