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Vie de La Brochure
22 mai 2015

Paul Ariès, Denis Collin et le peuple

 

écologie rouge et brune

L’édito du dernier numéro des Zindignés que je reprends ci-dessous me permet de poursuivre le dialogue avec l’article de Denis Collin : Comment résister ?

Le lecteur attentif remarquera ce petit bout de phrase où la classe ouvrière est assimilée aux milieux populaires grâce à une parenthèse explicative.

Or ce glissement comme le démontre bien Denis Collin est inconvenant. Il s’agit peut-être d’un simple raccourci sous la plume de Paul Ariès mais malheureusement il conforte une confusion classique. Où sont les paysans par exemple qui sont encore aujourd'hui les plus nombreux sur la planète, si je parle en terme sociologique. Or et Collin le démontre la sociologie n’a rien à voir avec la question.

Pourquoi insister sur ce point ? La très grande majorité des ouvriers a toujours eu envie de quitter le statut d’ouvrier alors que la très grande majorité des paysans a souhaité rester paysan quitte à pousser dehors le voisin en lui achetant la terre.

Car je suis désolé mais Veblen a fortement raison pour l’époque et le contexte dont il parle : accéder au mode de vie de ceux qui, dans la hiérarchie sociale, sont au-dessus, a été à son époque et aux USA, le désir majeur. Un désir alimenté par les progressistes qui se réjouissaient de cet ascenseur social !

Qu’il y ait eu une évolution depuis, faisant de cette idéologie du progrès un leurre est une autre question. Mais pouvoir accéder à la douche, à la machine à laver, à la télévision, aux toilettes, en clair au « confort » a été une aspiration juste et justifiée. Et c’est une aspiration juste et justifie encore aujourd’hui, en France comme ailleurs !

Qu’il faille mettre un peu de dialectique dans l’esprit mécaniste dominant, j’en conviens à condition de différencier les justes gains du peuple sociologique, et les injustes pertes.

D’où la question que pose avec clarté Denis Collin : qu’est-ce que la notion de progrès aujourd’hui ? Si je prends l’exemple sur lequel j’ai tant lutté après l’avoir tant étudié, refuser la construction de lignes à grande vitesse, ce n’est pas pour vouloir en revenir à la bougie ! C'est au contraire se battre pour le rail...

La bataille d’idées qui est devant nous est immense : elle suppose de bien différencier les populations qui aiment passer leur samedi à arpenter les hyper-marchés, et le peuple qui par son passé et son présent refuse de se soumettre à cette intoxication. Les deux existent, les afficionados des supermarchés font la joie de tous les micros-trottoirs de nos médias dominants, et les petites mains de l’insoumission ont du mal à se faire voir, à se faire entendre, à se faire comprendre.

Une course de vitesse est engagée entre l’homme qui se consomme lui-même (et la place des drogues n'y est pas étrangère) et l’homme qui s’épaule lui-même avec les autres, dans la mêlée de la vie. Je pense que Denis Collin et Paul Ariès peuvent se retrouver dans la longue liste de ce qu’il faut conserver du passé populaire pour que l’homme s’épaule lui-même mais en dehors de toute confusion. J-P Damaggio

 

Editorial de Paul Ariès dans le numéro 25 des Zindignés

Les milieux populaires imitent-ils les enrichis ?

Thorstein Veblen est l'objet d'un retour en grâce dans les milieux écologistes. Le journaliste Hervé Kempf fit de ses thèses l'ossature de son ouvrage Comment les riches détruisent la planète ? Il y a certes beaucoup de choses chez Veblen et même beaucoup de choses intéressantes. Ce retour à Veblen est cependant problématique dans le mesure où Veblen lui-même est déjà problématique et que les usages qui en sont faits le sont davantage encore.

Thorstein Veblen (1857-1929) est un américain éminemment sympathique. Economiste, philosophe, historien, il restera toujours en marge de la pensée académique en raison de ses thèses iconoclastes et de son mode de vie. Le caractère systémique de sa pensée est résumé dans la célèbre phrase de sa théorie de la classe de loisir : « Toute classe est mue par l'envie et rivalise avec la classe qui lui est immédiatement supérieure dans l'échelle sociale, alors qu'elle ne songe guère à se comparer à ses inférieures, ni à celles qui la surpassent de très loin.»

Je ne m'arrêterai pas sur le choix du vocabulaire pourtant déjà révélateur (« classe inférieure » et « classe supérieure ») pour aller à l'essentiel : son choix de considérer les rapports de classes sous l'angle de la seule « rivalité ostentatoire » fait que les rapports de classes se révèlent mus par l'envie plutôt que par le conflit. Bref, les milieux populaires n'auraient de cesse de copier les classes enrichies et les pays du Sud les pays du Nord. Rien ne serait donc plus faux que de penser que Veblen serait un précurseur de Gramsci et de la notion d'hégémonie ou de contre-hégémonie culturelle, car il n'y a vraiment rien de dialectique chez lui, donc bien peu d'espoir.

Lire Veblen aujourd'hui c'est se priver de tout espoir dans une transition écologique possible, sauf à imaginer une inexplicable mutation psychique. Chez Veblen n'existe pas, par exemple, de possibilité du côté de l'utilité pratique des choses puisque l'utilité ostentatoire contamine tout. Bref, comme il le dit lui-même « il n'est pas d'aboutissement possible... », puisque la course à l'estime serait plus forte que la satisfaction des besoins collectifs. Conséquence : le combat écologique pour défendre et étendre la sphère de la gratuité serait sympathique, mais nécessairement voué à l'échec.

A quoi bon lutter, et comment le pourrait-on d'ailleurs, puisque les milieux populaires n'auraient pas d'autre désir que celui d'imiter les puissants, puisqu'ils ne pourraient prendre appui sur rien qui leur soit propre. Si Veblen avait raison, il nous faudrait attendre une prise de conscience des riches et un changement de leurs valeurs pour commencer à pouvoir agir efficacement. Ce n'est pas par hasard que Veblen confia le rôle de conduire au socialisme aux ingénieurs (et à leur ingéniosité) et non pas à la classe ouvrière (aux milieux populaires). Cette conviction allait bien au-delà de la célèbre citation de Veblen : « Les experts, techniciens, ingénieurs [...] constituent l'état-major indispensable du système industriel. Sans leur contrôle immédiat et leurs corrections éventuelles, le système industriel ne fonctionne pas. [...] Jusqu'ici ils ne sont pas encore groupés, même de loin en une force de travail autonome […] mais ils sont en position de faire le pas suivant. »

Prenons garde à ce que le retour en force de Veblen ne se retourne pas contre les intentions mêmes de ses partisans ! Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est de reconnaître l'autochtonie des milieux populaires et donc tout ce qui contribue à l'affaiblir est spécieux. Paul Ariès (illustration de la Une © DR)

 

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