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Vie de La Brochure
29 novembre 2015

Les sorcières, Vincent Robert, Momméja

vincent robert

Le livre que vient de publier Vincent Robert et sur lequel René Merle a attiré mon attention permet d'entrer dans un univers insoupçonné. Bien sûr tout le monde a eu vent des sorcières du Moyen-âge mais elles ont duré jusqu'à quand ? Et l'insoupçonné de cet univers concerne en fait le monde paysan dans sa réalité.

Voici le témoignage daté de Jules Momméja:

"17 mars 1892

Matinée perdue à assister comme répartiteur au travail des contrôleurs et à causer des prochaines élections municipales avec le maire et l’adjoint qui voudraient bien me faire entrer dans leur liste.

Le curé qui est venu me rendre quelques livres me raconte quelques curieux exploits de sorciers. Voici les faits principaux.

A Saint Etienne de Tulmont, aux portes de Nègrepelisse le jeune curé récemment installé lutte courageusement mais vainement jusqu’ici contre une vieille sorcière très redoutée. Celle-ci, il y a peu de temps, deux semaines environ, va trouver le prêtre pour lui commander une messe. Il veut l’instruire et la faire renoncer à ses pratiques dont il se moque, la menace des courroux de Dieu ainsi que des procureurs de la République ; pas de réponse mais un coup d’œil mauvais et un geste de bravade qui n’est pas sans faire quelque impression sur le jeune prêtre. Il parle de la chose à ses voisins qui lui conseillent de se méfier car le pouvoir des démons est terrible et il est aux ordres de la vieille. On comprend assez sa réponse.

Le lendemain, à son très grand regret, il trouve son chien étranglé devant sa porte.

– Avions-nous raison ! s’exclame les voisins, c’est le diable qui a fait le coup !

Le surlendemain le curé trouve deux très beaux pigeons morts dans sa volière sans trace de violence, et le troisième jour un petit oiseau qu’il avait en cage suit le même sort… Et le dimanche suivant, quand, au moment de l’adoration, tous les fidèles sont inclinés, le curé voit la sorcière qui relève seule la tête et qui le nargue.

Cette mégère doit être hardie et habile aux poisons.

Quelques temps avant les faits que je viens d’écrire, elle revenait à pied de Montauban et fut dépassée par un propriétaire aisé du voisinage qui passe sans penser à la prendre sur sa voiture. Feignant de ne pas la voir, il lança son cheval au galop.

La vieille le hèle : - Dis donc Jacou, tu ne veux pas me prendre ? Eh bien ! dans trois jours tu sauras ce qu’il en coûte.

L’homme fuit encore plus vite et, trois jours après, trouve un de ses plus beaux bœufs, mort."

 Présentation du livre

Au XIXe siècle, cela faisait longtemps qu'on ne brûlait plus de sorcières. Les pièces de procès n’existent donc pas. La justice est muette, à part quelques affaires d’escroquerie et de rares faits divers tragiques. Ne comptons pas trop non plus sur les tout premiers folkloristes : ces notables cherchaient surtout dans les mœurs campagnardes des vestiges de cultes ou d’usages antiques et en somme ne s’intéressaient guère aux paysans de leur temps. On a dû procéder autrement et partir de la littérature.

Relire La Petite Fadette, les Dus frays bessous du gascon Jasmin, d’autres œuvres d’écrivains ayant eu une enfance rurale afin d’y repérer ce que Carlo Ginzburg appellerait des traces : traces à demi effacées d’une culture essentiellement orale et très méprisée, indices ténus qu’il faut interpréter à la lumière de ce que les anthropologues et les folkloristes nous ont appris des contes et des croyances.

Il s’agit ainsi de reconstituer les logiques multiples d’un univers culturel très étrange à nos yeux, entre le rêve et le réel, peuplé de sorcières et de loups-garous, de devins et de feux follets. Et, en bon historien, d’inscrire ces croyances dans le temps : comprendre pourquoi, en dépit du mépris des Lumières qui faisait suite à la persécution sanglante des siècles précédents, elles étaient encore si vivantes au début du XIXe siècle ; puis tenter d’évaluer leur recul, ou plutôt les transformations qu’elles connaissaient à cette époque ; enfin apprécier l’enjeu politique qu’elles en vinrent à représenter lorsqu’en 1848 l’instauration du suffrage universel donna à des campagnards encore illettrés et « superstitieux » un poids décisif dans la destinée d’un pays.

 Vincent Robert enseigne l’histoire politique et culturelle du XIXe siècle à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il a notamment publié Le Temps des banquets. Politique et symbolique d’une génération, 1818-1848 (2010) qui a obtenu le prix des Rendez-vous de l’histoire de Blois.

Éditeur Les Belles Lettres / ISBN-13 978-2-251-44530-4

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