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Vie de La Brochure
2 décembre 2015

Domani, domani, Nanni Moretti

mia madre

Le film Mia Madre sort en salle. Je ne l'ai pas encore vu mais je reprends ici un entretien de Libération avec Margherita Buy car elle mentionne le premier film auquel elle a participé avec Moretti, film où ce dernier jouait un petit rôle en tant qu'acteur, mais un grand rôle en tant producteur. Il s'agit de Domani, domani que j'ai vu et revu tant de fois car il exprime très exactement ce rêve de printemps des peuples propre à l'année 1848, qui a traversé toute l'Europe bien avant 1968, et qui me hante. Je retiens aussi la référence à John Turturro. Les Cahiers du Cinéma ont réalisé un énorme entretien avec Moretti sans rien lui demander sur le cas Turturro ! A suivre. J-P Damaggio

 «Avec Nanni Moretti, on tâtonne, un peu comme si on était au théâtre»

«Malgré la tragédie, j’espère que les gens vont continuer à aller au cinéma.» Depuis Turin, où elle tourne un film d’Ivano De Matteo avec Valeria Golino et Bruno Todeschini dans lequel elle incarne le rôle d’une femme battue qui quitte Rome pour se reconstruire, Margherita Buy s’enquiert de la situation à Paris après les attentats du 13 novembre. Révélée dans les films de Sergio Rubini, Daniele Luchetti et, en France, dans le Fils préféré de Nicole Garcia, elle a tourné dans les trois dernières œuvres de Nanni Moretti. Dans Mia Madre, elle tient le premier rôle, celui d’une cinéaste en pleine confusion face à l’agonie de sa mère.

 Après le Caïman et Habemus Papam, c’est votre troisième film consécutif avec Nanni Moretti. Vous interprétez cette fois en quelque sorte son propre personnage. Peut-on parler d’alter ego au féminin ?

Je sentais que, dans le personnage de Margherita, il y avait beaucoup de choses qui lui appartenaient bien plus qu’à un personnage de fiction habituel. Je ressentais, par conséquent, une grande responsabilité et j’avais très peur de ne pas être à la hauteur. J’avais devant moi Nanni Moretti porteur de cette douleur très forte, celle de la disparition de sa mère. Il y a eu des moments amusants pendant le tournage mais certains étaient plus difficiles. Les films de Nanni ont des temps de gestation assez longs. On y arrive avec beaucoup de calme et beaucoup de temps à disposition. C’est un très grand privilège alors qu’en général, tout se fait de plus en plus vite. Et puis, lui est très présent, il ne t’abandonne jamais, toujours à tes côtés. C’est fondamental. On cherche à arriver à quelque chose d’authentique dans les sentiments et dans la mise en scène. C’est un travail qui s’effectue sur le plateau, une recherche en commun, très tâtonnante, un peu comme si on était au théâtre. On retire tout ce qui n’est pas nécessaire, tout ce qui relève du métier. On arrive à quelque chose uniquement en retirant, couche après couche, tout ce qui n’est pas utile.

 Vous connaissez Nanni Moretti depuis longtemps. Pourquoi n’avez-vous pas tourné ensemble plus tôt ?

Je ne sais pas. Evidemment, pour chacun il y a des périodes dans la vie. Un réalisateur a dans la tête certains visages, d’autres acteurs. Chacun a son rythme. Je regrettais beaucoup de ne pas travailler avec lui parce que je le connais en effet depuis longtemps. Nous avions fait un film en 1988 [Domani Domani de Daniele Luchetti, ndlr], dont il était le coproducteur et dans lequel il avait un petit rôle. Depuis, je me demandais toujours : pourquoi nous ne travaillons pas ensemble ? Et puis nous avons fait ces trois films. Je ne sais pas pourquoi. Sans doute faut-il un temps pour toute chose et peut-être à l’avenir ne travaillerai-je plus jamais avec lui (Rires).

 Comment est née votre collaboration pour Mia Madre ?

Un jour, Nanni m’a appelé en me disant : «J’ai un projet pour toi.» Ce projet s’appelait à l’époque «Margherita». Au début, je n’ai pas compris. Je lui ai dit : «Tu te moques de moi ! Qu’est-ce que ça veut dire un projet qui s’intitule de mon propre prénom ?» J’ai pris le texte, suis rentrée à la maison et commencé à le lire avec désarroi.  C’était quelque chose de très complexe, de très difficile. L’histoire était incomplète car ce n’était qu’une première version. Je l’ai rappelé une fois la lecture finie et je lui ai dit : «Tu es fou, comment veux-tu que je fasse ce rôle ? - Sois tranquille», m’a-t-il répondu, ajoutant : «Je jouerai le rôle de ton frère.» Puis peu à peu, tout s’est mis en place. On a fait beaucoup d’essais avec des filles et des mères potentielles. Ce qui m’amusait aussi dans cette aventure, c’était la participation de John Turturro.

 Il était dans le casting dès le début ?

Oui, semble-t-il, car il parle un peu l’italien, et puis il a ce visage cocasse qui convenait au rôle. Son ton un peu amusant permet de contrebalancer le film, même si à la fin son rôle est quand même un peu mélancolique. Cette réalisatrice qui se trouve dans un moment aussi terrible de sa vie se confronte dans le travail à un acteur nul, peu professionnel, incapable de dire la moindre réplique et qui ne semble avoir aucun intérêt pour ce qu’il fait. Cette femme doit avoir une force gigantesque pour aller de l’avant. Le rôle de Turturro sert ainsi à renforcer son sentiment d’inadaptation, y compris dans le travail.

 Pour qui, pour quoi fait-elle ce boulot de réalisatrice ? Pour un acteur qui ne sait même pas ce qu’il doit faire ! Mais c’est en même temps très beau de voir que lui aussi ressent une adéquation dans le travail. Il ne se rappelle plus les dialogues, il est incapable de continuer à continuer ce pour quoi on le paye. C’est une humanité désorientée. L’un et l’autre ont le sentiment d’être toujours au mauvais endroit.

 Il y a un contraste très fort entre la mère qui se meurt au terme d’une vie sereine et accomplie et sa fille, Margherita, qui ne trouve pas son équilibre…

C’est un peu le mal de notre génération, mais aussi des générations futures. Nos vies sont marquées par les séparations familiales, la sensation d’avoir toujours une existence qui nous échappe, qui n’est plus régulée par des certitudes et notamment par un travail sérieux et stable comme celui de professeur de latin qu’exerçait la mère. Nanni raconte ces situations qui nous donnent une sensation de grand vide. Mais cette mère laisse quelque chose d’important pour la protagoniste de l’histoire. Elle laisse une génération d’étudiants qui l’ont connue, qui ont étudié avec elle. Il y a une transmission d’expériences que nous devons chercher à conserver à notre tour.

 Vous avez travaillé avec beaucoup de cinéastes italiens. Diriez-vous que Nanni Moretti a des héritiers ?

Pour Nanni, l’autonomie est nécessaire. C’est une personne qui veut être seule car son mode de pensée et d’agir est vraiment unique. Il voyage en solitaire. Mais beaucoup de générations ont été fascinées par sa manière d’être, sa rigueur, son attention aux choses, son langage. Nanni est une référence pour tous. Je connais un tas de réalisateurs qui ont fait des films en se demandant ce que Moretti allait en penser.

Elisabeth Franck-Dumas

Mia Madre de Nanni Moretti avec Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini… 1 h 47.

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