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Vie de La Brochure
21 août 2016

Hind Meddeb une parole sans médias

Hind Meddeb

Le Nouvel Observateur du 22 janvier 2015 lui a donné la parole. Il a fallu les massacres du 7 janvier pour qu’elle ait droit à la parole quand ses adversaires ont pignon sur rue sur toutes les télés. C’est vrai, son père avait une émission radio fabuleuse sur France Inter mais la voix de tels intellectuels ne sont pas prises en compte. Je ne m’en étonne pas, je le note. Et je me retrouve totalement d’accord avec son propos comme des millions d’autres personnes rendus invisibles par les reculs permanents de l démocratie. J-P Damaggio

Illustration de Frédéric Rébéna

 

La parole à Hind Meddeb

L'innommable s'est produit ce mercredi 7 janvier à Paris. J'aurais voulu que mon père, Abdelwahab Meddeb, soit là pour partager  ma douleur, et entendre  sa voix s'élever contre la barbarie, déconstruire encore et encore le discours de propagande islamiste. Une fois de plus, depuis sa disparition le 6 novembre dernier, je réalise qu'il nous a laissés orphelins.

La mort de Wolinski, Charb, Cabu, Tignous, leurs collègues et les policiers qui assuraient leur protection, me replonge dans le souvenir douloureux des années noires en Algérie, de 1992 à 1998, quand des militants djihadistes assassinaient des centaines d'intellectuels, d'artistes et d'hommes politiques. J'étais enfant.

Chaque jour, mes parents apprenaient le décès d'un ami, assassiné par les fous de Dieu. Je me souviens de la peine immense que nous avions eue à l'annonce de la mort de l'écrivain Tahar Djaout qui était venu dîner à la maison quelques mois plus tôt.

Dans l'une de ses chroniques, il avait écrit : « Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors dis et meurs ! »

Le 26 mai 1993, deux jeunes lui tirent deux balles dans la tête avant de prendre la fuite.

«Les journalistes qui combattent l'islam par la plume périront par la lame. » C'est ce que Jaafar el-Afghani, l'un des premiers émirs du GIA, déclarait à la presse en 1993. Vingt ans après, le discours djihadiste n'a pas changé. Dès l'instant où l'islam devient politique, il devient hégémonique, ne souffrant aucune critique, puisque toute critique devient blasphème. Dès l'instant où la religion sort de la sphère privée pour régir la sphère publique, elle devient une idéologie totalitaire. Et même lorsque les partis islamistes arrivent au pouvoir par les urnes, ils finissent toujours par nier le système démocratique qui leur a permis d'y accéder. Comme Erdogan aujourd'hui montre son vrai visage de despote, en emprisonnant tout opposant.

La tuerie perpétrée à la rédaction de « Charlie Hebdo » nous rappelle d'autres événements macabres survenus sur le sol européen.

Au lendemain de l'assassinat du cinéaste Theo Van Gogh, le mardi 2 novembre 2004, après la sortie de son film «Soumission », Abdelwahab Meddeb déclarait : « Ce n'est pas à l'Europe de s'adapter à l'islam, c'est à l'islam de s'adapter à l'Europe, à l'islam d'apprendre à subir la critique même la plus offensante sans en venir au crime de sang pour se défendre […] C'est en Europe que le sujet d'islam doit sentir la part manifestement obsolète de son héritage. Ici, il doit savoir que le respect de la croyance n'a pas à entraver l'expression des opinions.»

N'attendons plus que l'horreur arrive jusqu'à Paris pour réagir. Nous sommes tous concernés par les assassinats perpétrés au nom de l'islam à travers le monde et dont les musulmans sont les premières victimes. Chaque jour, à Bagdad, à Karachi, à Kaboul, à Alep, à Homs, à Kobané, à Tripoli, à Beyrouth, des hommes et des femmes meurent dans l'indifférence, assassinés par des terroristes financés par les fortunes du Golfe qui restent pourtant les meilleurs alliés de l'Occident. Comment cette folie est-elle possible ? Comment pouvons-nous continuer à considérer l'Arabie saoudite comme un pays « ami » alors qu'elle rémunère depuis les années 1960 des prêcheurs qui vident l'islam de sa spiritualité et réduisent le Coran à un mini kit « halal/haram » de lois à respecter, au mépris de sa civilisation et de son histoire ?

« Je suis Charlie » signifie aujourd'hui qu'il est de notre responsabilité de défendre la liberté d'expression partout et de refuser les partis politico-religieux qui usent des élections « démocratiques » pour mieux asseoir la censure.

Sur le terrain, le combat est inégal : les militants de la liberté en terre d'islam manquent cruellement de soutien, là où les djihadistes et les prêcheurs fanatiques, ces ennemis de la culture et de la vie, croulent sous les pétrodollars et profitent de tous les réseaux d'une internationale islamiste. Les attentats djihadistes ne devraient pas être les seuls à faire la une des médias occidentaux. Les résistances citoyennes à l'hégémonie islamiste sont nombreuses : elles sont trop peu relayées. Il faut soutenir ceux qui osent défier les dictatures militaires et les régimes islamistes. Nous avons laissé seuls les millions d'Iraniens qui manifestaient dans la rue en 2009 pour la démocratie. Deux ans après, nous nous enthousiasmions pour le «printemps arabe» en ayant oublié cette «révolution verte » réprimée dans le sang par les milices d'Ahmadinejad. Puis ce fut le tour de la révolution syrienne, écrasée par Bachar al-Assad, avec l'aide de l'Iran et de la Russie. En ne soutenant pas les citoyens descendus dans la rue en Syrie tout au long du printemps 2011, nous avons laissé les extrémistes s'emparer d'une cause qui n'était pas la leur.

Toute sa vie, Abdelwahab Meddeb nous a rappelé que pour contrer l'islamisme sur son sol, l'Europe devait reconnaître son héritage arabo-musulman : «A l'origine de l'Europe, il y a certes Athènes et Jérusalem, mais il y a aussi Rome, Bagdad, Cordoue. Telle est notre réponse sereine à ceux qui diffusent la haine par leurs appels belliqueux au nom de l'irréductibilité de l'histoire, des récits, des motifs, des figures et des concepts », écrivait-il dans ses «Contre-prêches ». Abdelwahab Meddeb combattait avec la même force ceux qui refusaient de reconnaître l'apport civilisationnel de l'Islam en Occident et ceux qui rejetaient l'héritage des Lumières au nom de la supériorité du dogme religieux sur la raison. Aujourd'hui, sa voix nous manque cruellement.

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