Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
22 août 2016

Georges Séguy et Guy Konopnicki

georges séguy

Ceux qui pensent encore que Georges Séguy fut le bourreau de Mai 68 s’étonneront de ce souvenir plein d’humanité de Guy Konopnicki. Ce souvenir pourrait être le début d’une biographie qui renverserait les rôles quant à l’analyse du grand mouvement français de l’an 68, qui a été une part du mouvement international et une part son originalité, une biographie qui aurait beaucoup à voir avec l’actualité. Mais bon, j’en reste là, ça supposerait tant de récits dont celui du parcours de Konopnicki. Donc en attendant de pouvoir en dire plus, merci pour ce texte. J-P Damaggio

 

 

La Force tranquille, Marianne 19 août 2016

L'affolement gagnait les milieux dirigeants comme les figures de l'opposition, dans les derniers jours de Mai 68. A Billancourt, dans le fief général de la CGT les grévistes jugeaient insuffisants les accords de Grenelle. A Paris, une manifestation s'était prolongée par une nuit d'émeutes, la Bourse, disait-on, était en flammes, bien que ce ne fût jamais qu'un petit feu allumé par des cocktails Molotov. De Gaulle criait à la chienlit, avant de disparaître ; François Mitterrand, croyant son heure venue, parla depuis Château-Chinon ; le sage Pierre Mendès-France lui-même se fourvoya dans le stade Charléty hérissé de drapeaux rouges. Georges Séguy prononça une phrase qui devait connaître un étrange destin. Dénonçant «l'agitation stérile» des gauchistes, fustigeant les provocations policières, le secrétaire général de la CGT évoqua la «force tranquille de la classe ouvrière». Dix millions de grévistes, avec très peu d'incidents et pratiquement aucune dégradation dans les entreprises occupées. Le mot s'imposait, la principale centrale syndicale incarnait la «force tranquille». Georges Séguy pouvait d'autant mieux s'en prévaloir qu'il la définissait lui-même. Il était un lutteur, un combattant, et nul ne pouvait douter de sa détermination. Mais il n'avait rien d'un aventurier et se défiait de toute action intempestive. Le gauchisme qui gagnait la CFDT en 1968 le surprenait d'autant plus qu'il avait été, quelques années plus tôt, l'artisan d'un rapprochement avec ce qui était encore la Confédération française des travailleurs chrétiens. A la Sorbonne, les leaders gauchistes se gaussaient de cette «force tranquille». Treize ans plus tard, de petits génies de la communication piquèrent la formule pour en faire le slogan de la campagne de François Mitterrand. «La force tranquille » ! La politique ayant la mémoire courte, les anciens gauchistes s'extasièrent devant le génie de François Mitterrand, oubliant ce que cette force tranquille devait à Georges Séguy, à sa vision de la CGT et des combats ouvriers.

D'autres, en ce temps-là, parlaient de la « classe ouvrière », parfois à tort et à travers. Georges Séguy, lui, demeurait un ouvrier. Il était entré comme apprenti dans une imprimerie de Toulouse, au lendemain du certificat d'études, dans une France défaite et humiliée. Le parcours de l'ouvrier du mouvement passait souvent, depuis Proudhon, par les caractères de plomb, l'encre et le marbre. Dans Toulouse occupé, le jeune communiste Georges Séguy et son patron libertaire imprimaient les journaux de la Résistance et fabriquaient des faux papiers. Et même de vrais faux certificats de baptême que Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, authentifiait alors qu'ils étaient destinés à des juifs pourchassés. Dénoncé, Georges Séguy fut arrêté et déporté à Mauthausen, d'où il revint avec une affection pulmonaire. Il a dû renoncer au plomb des imprimeries, devint électricien et entra à la SNCF. Etait-ce l'expérience du camp qui lui donnait cette profonde humanité ? Georges Séguy portait une blessure intime, la marque de sa fragilité d’adolescent confronté à l’innommable. Etre le plus jeune déporté politique de France n’était pas un titre de gloire mais une souffrance inoubliable. Séguy n’avait pas la cuirasse et moins encre le cynisme en vogue chez les dirigeants communistes. Au bureau politique du PCF comme à la CGT, il supportait mal les intrigues de cours et les inévitables coups bas. Il ne toisait jamais les militants du haut de ses fonctions, de son âge, de son expérience. Lorsque jeune dirigeant étudiant je me suis trouvé en sa présence, il m'a d'abord fait part de son regret de n'avoir pu s'expliquer avec la jeunesse en mai 1968. Il n'avait pas supporté d'être traité en ennemi par des jeunes qui croyaient à la révolution. Ce n'était pas, loin s'en faut, le langage des autres dirigeants communistes. Sans jamais rompre avec eux, Georges Séguy s'efforçait de desserrer la courroie de transmission. Son indépendance d'esprit et sa popularité lui valaient quelques inimitiés. D'autant qu'il ne se privait pas de rappeler qu'il avait, lui, commencé le combat dans la Résistance. Ayant survécu à Mauthausen, Il ne craignait rien ni personne. Guy Konopnicki.

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 023 503
Publicité