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Vie de La Brochure
9 septembre 2016

Najat El Hachmi la catalano-marocaine

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Je découvre seulement à présent cette écrivaine qui, bien que révolté contre notre monde, n'a pas eu beaucoup le soutien des médias de gauche. Rien sur L'Humanité par exemple. Elle témoigne par son art d'un autre rapport à l'islam version Barcelone. Bon courage à cette femme qui n'en manque pas. J-P Damaggio

 "Le Dernier Patriarche", de Najat El Hachmi : le détroit qui est aussi un abîme

LE MONDE DES LIVRES | 20.03.2009 à 11h11 |Par Pierre-Robert Leclercq

Ce matin-là, "aucun signe dans le ciel", l'âne n'agite pas "ses oreilles de cette manière qui annonce que quelque chose va arriver", et pourtant, chez les Driouch, des youyous saluent un grand événement. Après trois filles naît enfin un garçon,"Mimoun, le bienheureux". Toutes les femmes de la maison à son service, il grandit en manifestant quelques traits de caractère : à 10 ans, les récitations de sourates l'ennuient et l'école lui semble inutile ; à 13, il préfère le sommeil au travail; à 16, il prend conscience que le monde où il vit n'est pas celui où il voudrait vivre. Pas étonnant qu'il quitte son Maroc natal. A Barcelone, il devient un immigré qui, de temps à autre, retrouve son village où, tout étant relatif, il paraît en homme riche. Marié, père de famille, Mimoun fait venir les siens en Catalogne. De simple maçon il est devenu, socialement, chef d'entreprise tout en affirmant familialement son statut de patriarche.

Fin de la première partie du roman, début de la seconde. Le style change. Il laisse place au "je", c'est-à-dire à la fille de Mimoun qui raconte son évolution. Elle passe de la petite fille voyant son père poser un couteau sur la gorge de sa mère à la jeune femme qui ne sait pas où est sa place, prise entre un univers occidental et un patriarcat qui fait peser sur elle le poids des traditions. De là, opposition, violence, puis rupture avec un père désorienté, qui a perdu son destin de seigneur familial. Les règles ancestrales qui paraissaient immuables sont remises en cause, annulées par les manières de vivre, de penser, de prier du pays d'adoption. Les 15 kilomètres qui séparent l'Afrique de l'Europe se révèlent être"un abîme insondable entre deux mondes", le détroit devenant le symbole de toutes les séparations.

Avec cette saga récompensée par le prix Ramon Llull, Najat El Hachmi, elle-même Marocaine vivant en Catalogne depuis l'âge de 8 ans, démontre ses qualités de romancière. En élaborant un récit à deux tonalités, en alternant le général et le particulier, en glissant du descriptif à l'intimisme, elle maîtrise l'évocation d'un patriarche autoritaire déçu en même temps qu'elle suggère, en évitant le commentaire, deux conflits : celui des générations et celui qui naît de la cohabitation de deux cultures. C'est en effet un "abîme" qui sépare Tanger et Gibraltar, et le passage de l'un à l'autre suscite bien des problèmes sociaux et personnels, tous marqués par l'incompréhension.

Cette difficulté à se comprendre est différente selon qu'elle est ressentie par l'esprit du patriarcat, que symbolise Mimoun, ou par les migrants dits "de la deuxième génération". Laisser entendre que ces hommes et ces femmes sont bouleversés et transformés par "la vieille Europe" tout en la bouleversant et en la transformant, c'est un autre aspect et une autre qualité de cette histoire qui mêle avec talent drame et comédie, gravité et humour.

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Lu par Le Matricule des Anges

LE DERNIER PATRIARCHE (L'ULTIM PATRIARCA) de Najat El Hachmi. Traduit du catalan par Anne Charlon. Actes Sud, 368 p., 22,80 €.

Brûlot anti-machiste, hommage à une littérature salvatrice, le premier roman de la Catalane Najat El Hachmi détonne. Violent mais drôle. Non, la littérature ne change pas le monde, mais peut assurément modifier certaines destinées. Najat El Hachmi née au bled, au Maroc, en 1979, arrivée en Catalogne à 8 ans, fait figure aujourd'hui de révélation des lettres catalanes. Ce qui s'est passé entretemps, c'est un peu ce qu'elle raconte dans Le Dernier Patriarche. Un peu, car il est difficile de croire qu'elle ait pu survivre à autant de violence, de bêtise, d'aliénation et se construire. Ce qui est relaté, à la limite du soutenable, n'est lisible que parce qu'elle utilise l'humour, l'autodérision, que le tragique s'estompe souvent en farce, qu'elle prend du recul, en écrivant à hauteur d'enfance, qu'elle énonce simplement des faits, ne jugeant pas.

Ce roman peut être perçu comme la description d'un choc de civilisations, l'émigration déstabilisant les êtres. Il n'est toutefois pas satisfaisant d'en rester là. Il dénonce aussi l'ordre et le rôle des mâles et des patriarches. Comment ces derniers confortés dans la toute-puissance de l'enfance (égoïsme, colères, immaturité affective, satisfaction immédiate des désirs...) peuvent écraser mère, soeur, femme et fille. Et ce avec le consentement, voire la bénédiction de la communauté, de la Loi et de la religion.

Mimoun arrive au monde après trois filles, la satisfaction dans la famille paysanne pauvre est à son comble. Il va assurer la continuité de la lignée. Nourrisson agité, il recevra de son père excédé, une gifle, la première et déjà celle de trop. Convulsif, Mimoun se montrera incontrôlable dans ses crises, imposant à tous sa propre loi. La faute aux djinns ? Adulte, il prendra femme qu'il laissera au bled, émigrera en Catalogne, travaillera dur comme maçon, mènera une vie dissolue. Rentrant régulièrement au village, il y fera chaque fois un enfant, écrasant de jalousie sa femme. Après quelques garçons, cette dernière accouchera d'une fille, qu'il chérira. Rejoint par sa famille en Catalogne, il poursuivra sa vie erratique (sexe, violence, alcool, drogues...). Déstabilisée par la conduite du père qui n'hésite pas à amener ses maîtresses à la maison tout en la frappant comme sa mère, la narratrice décide d'apprendre chaque jour quelques mots de catalan. La lecture lui permettra d'enrichir son imaginaire, de résister. Elle découvrira son corps, ses émois en lisant, et parviendra à s'émanciper de l'aliénation familiale. La fin du roman apparaît comme un hommage en miroir inversé à la plus grande femme des lettres catalanes Mercè Rodoreda (1908/1983). Cette femme engagée se maria avec son oncle maternel, eut de lui son unique enfant, se libéra de ce fiasco par la littérature, s'exila, vécut une vie amoureuse tumultueuse. De l'écriture aux frontières du réalisme et de l'étrange, Najat El Hachmi a parfaitement intégré le premier, troqué le second par un humour et une mise à distance singulière. Style simple, efficace, élans narratifs, introspection limitée, évocations crues, violentes. Si les prix littéraires sont décriés, celui reçu par Le Dernier Patriarche en 2008 - le prix Ramon Lull n'a pas simple vocation de valoriser l'intégration d'une émigrée par la langue - récompense une femme courageuse et un roman libre, vibrant et fougueux.

" Non, Manel, moi je ne fais pas ces choses-là. Je suis une femme décente, même si tu ne le crois pas. Mimoun ne devait pas savoir ce que voulait dire " décente " et il avait insisté, jour après jour. Allez ! Laisse-moi faire, c'est une coutume musulmane ; dis-toi bien que toutes les générations de ma famille l'ont fait et c'est la première chose que les femmes apprennent en matière de sexe. C'est ce que dit notre religion ; on doit le faire, c'est aussi sacré que le Coran ou de prier cinq fois par jour. "

Le Dernier Patriarche de Najat El Hachmi

Traduit du catalan par Anne Charlon, Actes Sud, 368 pages, 22,80 euros

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