Iran 1978 : Ils meurent pour leurs idées (16)

Dans la revue franco-italienne déjà évoquée et consacrée à Foucault, l'islam et la révolution iranienne (2005), il y a cinq textes en français.

Le premier est un texte de Manola Antonioli, Khomeyni, Foucault et la révolution iranienne. Le deuxième est un extrait traduit de l'anglais de David Macey qui reprend la partie bio de Foucault en Iran et que j'ai repris sur ce blog (au lien ci-dessus). Le troisième est un texte de Jean-Pierre Faye : Al-Farâbi, Vie à l'horizon. Le quatrième est de Christias Panagiotis, l'Islam et la philosophie. Le dernier est un texte de Geneviève Clancy, Du sacrifice.

 C'est sur ce dernier texte que je veux m'arrêter aujourd'hui. Je ne connais pas cette philosophe née le 21 janvier 1937 et morte le 11 octobre 2005 qui fut l'élève de Gilles Deleuze, avec qui elle publia sa thèse : De l'Esthétique de la Violence. Je lis : "Ses engagements aux côtés des Algériens, puis des Palestiniens, trouvent également leurs sens en France au sein des luttes pour le droit et la dignité des travailleurs immigrés, pour qui elle fonde dans les années 70, le Comité de Défense de la vie et des droits des travailleurs immigrés (CDVTI) qui remportera un certain nombre de succès sociaux, politiques."

 Je peux dire que dans le texte, Du sacrifice que j'évoque aujourd'hui, nous sommes aussi dans l'esthétique de la violence, une esthétique qui célèbre indirectement (vu le journal où il est inclus) ces iraniens qui, pour faire tomber le shah, se jettent à mains nues face aux balles.

 "Ceux qui combattent jusqu'au sacrifice consenti de leur vie rappellent qu'un homme ne vit pas à n'importe quel prix, que son être ne peut s'inscrire dans l'espace de rapports de forces, de tactiques ou de partages, régis par les marchands d'histoire. Ils montrent que la mort n'est pas un obstacle pour la vie, que la saisir comme une arme, c'est maintenir la vie comme inaliénable. Mourir dans la mort de l'autre c'est respecter l'homme à qui l'on s'affronte ; cela est de nature radicalement étrangère à la guerre…"

 Je n'en cite pas plus, le texte est très beau, c'est l'esthétique de la violence. Et ces mains nues qui font tomber le shah ont également fasciné Foucault. Face à l'endormissement de nos civilisations du confort, enfin des hommes véritables !

 La revue est de 2005 juste au moment où Geneviève Clancy meurt. Je ne sais ce qu'elle dirait des kamikazes d'aujourd'hui qui partout dans le monde tuent (et pas qu'eux-mêmes) car ils veulent faire tomber le pouvoir des mécréants, mais voilà qu'Eric Zemmour, les célèbrent dans les mêmes termes que la philosophe.

 Quand l'intervieweur du journal Causeur avance que les islamistes ne parviennent "guère qu'à endoctriner quelques esprits faibles" (ce qui est faux), Eric Zemmour explose... et prend vigoureusement la défense des djihadistes :

"Quelle condescendance ! Moi, je prends l'islam au sérieux, je ne le méprise pas ! Je ne pense pas que les djihadistes soient des abrutis ou des fous. Au sommet, il y a des théologiens qui appliquent exactement leur idéologie coranique et légitiment tous leurs actes par des sourates ou des actes du prophète. Et je respecte des gens qui meurent pour ce en quoi ils croient - ce dont nous ne sommes plus capables."

Quand le journaliste de Causeur s'offusque de ces propos, le pamphlétaire en remet une couche :  "L'Histoire, c'est ainsi, des innocents meurent parce qu'ils sont dans le mauvais camp, ou au mauvais endroit au mauvais moment. Et oui, quand des gens agissent parce qu'ils pensent que des morts le leur demandent, il y a quelque chose de respectable. Et en même temps de criminel et mauvais, c'est ainsi, les humains sont complexes. Donc combattons-les mais arrêtons de les mépriser."

 Alors je reprends Geneviève Clancy : "Le sacrifice témoigne de l'amour de la vie jusqu'à en mourir."

Ce qui s'est joué en Iran de 1978 à 1988 n'en finira pas de marquer notre actualité. J-P Damaggio

Comments

[G. Fretellière]

D'accord avec cette analyse MAIS il faut dénoncer l'imposture qui fait des kamikazés des "martyrs". Car c'est l'exact opposé. c.f; mon article : http://gerard.fretelliere.over-blog.com/article-martyr-102584815.html