Pierre Carles et l'Equateur
Un ami qui sait que je suis parti en Equateur me fait passer cet article du Canard Enchaîné. Je le reprends avec plaisir et j'ajoute la présentation de Libération. Pour connaître mon point de vue vous pouvez aller à la catégorie Equateur avec 55 articles ! J-P Damaggio
"Pas tout à fait le paradis"
IMAGINEZ un président de gauche, au pouvoir depuis bientôt dix ans, qui annonce qu'à la prochaine élection il ne sera pas candidat, qu'il va prendre le temps de réfléchir, de lire, d'enseigner (c'est un ancien prof d'économie) — « je ne pense pas revenir à la politique » — , alors qu'il a 53 ans.
Imaginez un président de gauche dont la « ministre de la Mobilité » défend la «citoyenneté universelle » et dont le pays, qui ne compte pourtant que 16 millions d'habitants, accueille à bras ouverts 60 000 réfugiés. Et qui dit : « Si tu n'as pas de visa et qu'on te traite comme un délinquant, c'est inacceptable. »
Imaginez un président de gauche qui lance à la tribune : « Moins de 2 % des familles possèdent 90 % des entreprises (...). Les pauvres sont pauvres à cause d'une société injuste qui exclut, qui ne donne pas les mêmes chances à tous et à toutes. » Et annonce qu'afin de mieux redistribuer les richesses il va lever un impôt progressif sur l'héritage, allant de 0 % au-dessous de 34 500 dollars à 77,5 % au-dessus de 849 600...
Certes, vu la levée de boucliers, Rafael Correa, qui préside aux destinées de l'Equateur depuis 2006, a dû y renoncer, à cet impôt, tout comme Hollande avait vite renoncé à taxer à 75 % les très hauts revenus. Mais son bilan n'est pas mince : avant son arrivée au pouvoir dans ce pays instable (sept présidents en dix ans), où l'extrême opulence côtoie l'extrême misère, l'Etat consacrait chaque année 8 milliards de dollars au paiement de la dette et 2 milliards au social. Le rapport s'est inversé. La pauvreté a baissé de plus de 20 points. De nombreuses infrastructures (routes, écoles, hôpitaux, centrales hydroélectriques) ont été construites. Les multinationales qui empochaient 85 % des profits du pétrole n'en touchent plus que 15 %. Les femmes au foyer ont accès à la Sécu. Etc.
Cette politique qui se veut de justice sociale change-t-elle vraiment la donne ? Pas assez, selon ses détracteurs de gauche. L'Equateur de Correa tient à rester inséré dans l'économie capitaliste mondiale et continue de vivre grâce à ses exportations de cacao, de bananes, de pétrole, de crevettes (mais comment faire autrement ?). Le très croyant président a beau prôner une « révolution citoyenne » qui s'inspire de la doctrine sociale de l'Eglise, ce n'est pas un révolutionnaire. Pierre Carles, venu tourner sur place un deuxième film (1) sur l'Equateur, le reconnaît. En quête d'idées neuves qui pourraient utilement être transposées ici, il multiplie les rencontres avec les gens du peuple, penseurs, opposants, interviewe Correa, gamberge en compagnie de sa complice Nina Faure, se gratte la tête, soupire : « Ce n'est pas tout à fait le paradis. »
Mais il finit par se convaincre que « cette régulation du capitalisme n'a pratiquement pas d'équivalent aujourd'hui dans le monde » et que c'est déjà ça. Réguler le capitalisme, quelle drôle d'idée ! Ici, tous les sondages promettent la victoire à des candidats à la présidentielle qui veulent supprimer l'ISF...
Jean-Luc Porquet
(1) Après « Les ânes ont soif », voilà deux ans, sort cette semaine « On revient de loin », réalisé avec Nina Faure.
J'ajoute la présentation de Libération : Par Gilles Renault
— 25 octobre 2016 à 19:01
Partis en Equateur sur les traces d’un eldorado social, Pierre Carles et Nina Faure ont dû tempérer leur enthousiasme.
Documentaire signé Pierre Carles et Nina Faure, On revient de loin fait suite à l’opus Les ânes ont soif, sorti en avril 2015. Point de départ, la visite à la Sorbonne en novembre 2013 de Rafael Correa, président de l’Equateur, entourée d’un assourdissant silence médiatique que le tandem inquisiteur se faisait fort de dénoncer. Pourquoi diable l’ensemble de la presse française - hormis le Monde diplomatique, cité à l’envi en parfait contre-exemple de probité ! - n’avait-elle pas jugé utile de demander audience à un homme qui a su, à partir d’une Constitution très progressiste adoptée en 2008, créer dans son pays un modèle économique tournant le dos à l’austérité, réduire significativement la pauvreté et les inégalités sociales, favoriser le développement d’une classe moyenne, imposer un concept de «salaire digne», etc. ? «David Vincent» de l’info, obsédé par la traque des collusions, obreptions et autres vilenies, Carles (et consort) traitait donc la question à sa manière, éprouvée depuis plus de vingt ans : caustique, harcelante, salutaire et… agaçante.
Deuxième partie d’une mission visant à élever au pinacle un chef d’Etat enfin à la hauteur (suivez le regard…), On revient de loin se distingue, à l’inverse, par la manière dont, cette fois, les thuriféraires consentent bon gré mal gré à redescendre sur terre, à l’occasion d’un pèlerinage plus chaotique que prévu, aux racines mêmes du miracle latino-américain. Partis en Equateur valider l’autorité charismatique de leur poulain et modèle, Carles et Faure tombent ainsi, chemin faisant, sur un joyeux bordel hétéroclitement formé de citoyens manifestant contre… tout : un nouvel impôt sur l’héritage, un projet minier expropriant des indigènes, le développement des cuisinières à induction, etc. Ubuesque devient alors un faible mot face à une contestation sinon généralisée, du moins très répandue, incitant un Carles penaud à faire son examen de conscience, sous la pluie, devant un cortège vindicatif : «On est un peu embêtés par rapport à notre parti pris de départ qui était de venir enquêter là dessus avec un a priori très positif. […] Ça à l’air de ne pas être tout à fait le paradis. En tout cas pour eux.» Le prochain scrutin national en Equateur est prévu en 2017 et Rafael Correa a dit qu’il ne comptait pas se représenter. A bon entendeur… Gilles Renault
On revient de loin, Opération Correa 2 de Pierre Carles et Nina Faure (1 h 40).