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Vie de La Brochure
4 novembre 2016

Extraits de Dario Fo

Moses I

Dans cet extrait d'un texte de Dario Fo, celui-ci exagère un peu quand il réduit l'historien Moses I. Filey à sa lecture des oeuvres satiriques.

Mais en même temps il pose une question cruciale. J-P Damaggio

Les Grecs n'avaient rien d'antique

Il y a des livres que j'ai lus et relus, des livres écrits de façon admirable, essentiels pour quiconque désire approcher la vérité des faits. Je ne suis hélas ! pas le seul à les apprécier, les amis qui fréquentent ma maison et mon bureau, aussi. Alors ces livres disparaissent et il me faut les racheter. Je devrais suivre l'exemple d'un de mes vieux profs qui prévenait les vols en attachant ses livres par une chaînette aux étagères de sa bibliothèque. Parmi ces volumes sujets à disparition figure un essai sur la Grèce antique, de Moses I. Finley.

Rassurez-vous, je ne vais pas vous le lire, je voulais juste vous le signaler. Si vous avez l'occasion de le feuilleter, vous y découvrirez une histoire des Hellènes tout à fait inédite : fortes tensions sociales, magouilles politiciennes vieilles comme le monde, clientélisme à l'italienne, corruption, agissements criminels des chefs de la première démocratie humaine. Le tout, avant Jésus-Christ !

Il nous faut en conclure que si beaucoup de nos dirigeants sont d'une honnêteté douteuse, ils sont cultivés, puisqu'ils ont toujours « les classiques » pour modèle.

Mais comment se fait-il que les livres d'histoire traditionnels ne citent qu'incidemment ces témoignages de rapacité et de malversations ? N'est-ce qu'une question de sources ? En effet, les historiens traditionnels se sont référés à Hérodote, Thucydide, Plutarque, Polybe. N'ayez pas peur, ce n'est pas un étalage d'érudition, je les ai découverts en faisant des mots croisés.

Notre Finley, lui, a écarté d'emblée les textes des historiens de l'époque, en déclarant benoîtement que ce sont des menteurs invétérés au service du pouvoir et que les seuls témoins honnêtes et dignes de foi de l'Antiquité sont les auteurs de la comédie grecque, du théâtre satirique, à savoir Aristophane, Archiloque, Lucien de Samothrace.

De grâce, ne prenez pas ces airs effrayés, ceux-là, je les connais par cœur, ce sont des auteurs dont j'ai lu les histoires et les pièces quand je fréquentais encore Pinocchio ou ses cousins, Sussi et Biribissi[1].

Pour donner raison à Finley, il suffit de lire quelques extraits de textes satiriques.

Voici par exemple l'Aristophane des Oiseaux : «Nos marchands sont d'une avidité immonde, non contents de ne pas payer leurs taxes, ils sont capables, pourvu qu'ils en aient quelque gain, d'écorcher des moustiques pour faire un manteau à une mouche. »

Et Archiloque : « C'est certain : Épilon l'archonte (c'est-à-dire l'adjoint à l'urbanisme de l'époque) est un voleur, il a vendu le marché pour la réfection des vieux égouts à un entrepreneur incapable et criminel, de sorte qu'aujourd'hui, quand il pleut, les égouts se bouchent et Athènes patauge dans des liquides infects. Hier, il y a eu un orage violent, les eaux nauséabondes ont inondé l'assemblée publique et le bureau où sévit Épilon. Le responsable des égouts est resté coincé. On l'a retrouvé gorgé de gadoue. C'est bien vrai, parfois le dieu emploie la partie basse de lui-même pour frapper les coquins. »

Et Aristophane, encore : « Catinos a fait la guerre et se présente en toute occasion coiffé du casque à plume des combattants. On dit que, lorsqu'il se rend chez sa maîtresse exhiber son phallus, il parade tout nu, mais casque sur la tête. Ce Catinos est une tête de nœud ! » C'est Aristophane qui le dit !

Or Finley affirme que ces témoignages, qualifiés par les spécialistes de «boutades d'ivrognes », sont des documents historiques plus importants et authentiques que tous les couplets que nous serinent Hérodote, Plutarque et compagnie, sur lesquels la censure n'intervenait jamais. J'ai dit « censure » ? Cette sainte institution existait-elle déjà à l'époque des Doriens et des Ioniens ? Bien sûr, on dit qu'elle est née avec l'homme, ou dès que la loi de Dieu a été établie. Certains historiens ont essayé de démontrer que l'institution de la censure existait avant même la naissance du théâtre et que celui-ci fut inventé par les censeurs désireux de montrer ce qu'ils savaient faire et de se rendre utiles au pouvoir.

Les Grecs n'avaient rien d'antique. Ce qui est sûr, c'est que plaintes et procès étaient à l'ordre du jour chez les Athéniens. Tous les auteurs satiriques sans exception étaient sanctionnés par le tribunal institué pour défendre l'ordre moral en vigueur. C'est ainsi qu'Aristophane connut la prison et risqua même la peine de mort pour avoir brossé une satire appuyée de Catinos, tombé au combat en offrant sa poitrine à l'ennemi. Dommage que la flèche mortelle l'ait atteint dans le dos ! Le poète ne dut son salut qu'à l'intervention de quelques intellectuels dotés de bon sens et d'humour, qualités fort rares en Grèce, même du temps de ces grands hommes.

Aristophane écopa aussi de sérieux ennuis quand, en présentant l'Assemblée des femmes, il se permit de décrire une Athènes vidée de tous les hommes valides dignes de ce nom. Nous sommes au quatrième siècle avant Jésus-Christ, l'armée protégée par Athéna, la déesse de la victoire, avait été écrasée par les Syracusains, alliés de Sparte, pendant la campagne de Sicile (la Magna Grecia). On parle de onze mille hommes, tous dans la fleur de l'âge, qui ne revirent jamais leur patrie. Là non plus, les historiens ne parlèrent pas de guerre, d'agression ni de pillage, mais de défense de la civilisation et de la démocratie, mieux encore, cette expédition avait pour but — comme c'est étrange ! — d'imposer la démocratie à ce peuple barbare à la botte d'un tyran.

Souvent, dans les pièces d'Aristophane, c'était l'auteur en personne qui, se couvrant d'un masque grotesque, présentait la situation de la farce au programme. Le porteur de ce masque à large bouche entrait en scène. Dario Fo



[1]  Nés de l'imagination de Paolo Lorenzini (neveu de Collodi, l'auteur de Pinocchio), Sussi et Biribissi sont deux gamins espiègles qui, fascinés par le Voyage au centre de la terre de Jules Verne, entreprennent à leur tour l'exploration du sous-sol. On peut lire leurs aventures en français, traduites par la comtesse de Gencé, Albin Michel, 1950. (N.d.T.)

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