Judith Cladel et Victor Hugo
Elle avait 8 ans quand pour la première fois, Judith Cladel née en 1873 a pu publier un texte à la gloire de Victor Hugo. Elle avait 32 ans pour celui-ci. J-P Damaggio
LA PLUME numéro spécial Victor Hugo, 1905
Il n'y a pas vingt ans qu'il est mort et sa grande voix nous arrive d'un très lointain passé : son œuvre ne nous apparaît guère comme contemporaine. Déjà il est absorbé par le monde de la légende dont il semblait sorti : ce barde aux allures prophétiques deviendra sans doute pour nos descendants un symbole de Poésie, comme il fit des Empereurs, des Tyrans, des Femmes de l'histoire, le symbole de la Gloire, de la Cruauté ou de l'Amour. De plus en plus rapide, la vie court au long des siècles successifs. Rien ne ressemble moins à leur début que leur fin ; cela parait vrai spécialement pour le siècle de Victor Hugo et le poète règne sur nous de presque aussi loin que Shakespeare ou le Dante. Le Temps a passé l'œuvre à son van rigoureux. Une prestigieuse et. sonore poussière enveloppe encore les résultats de cette épreuve, mais à travers elle, nous entrevoyons briller ce qui subsistera dans sou éternelle pureté : les poèmes philosophiques des Contemplations, les Quatre Vents de l'Esprit, comme expression neuve et merveilleusement puissante des inquiétudes de l'homme quant à l'énigme du monde, la Légende des Siècles, le plus beau miroir de l'esprit romantique et les pièces à jamais frémissantes qui forment l'épopée impériale. Car, jusqu'à présent, lui seul reste le chantre de la formidable époque. Il eut ce bonheur de voir incarner un héroïsme qui se transforma en lyrisme chez lui. C'est une des taches des psychologues d'aujourd'hui de rechercher les sources du torrent de vitalité qui, en un temps si court, traversa l'élément français pour se déverser par les actes de Napoléon et par les œuvres de Victor Hugo, de Balzac, de Michelet — et de tant d'autres en qui l'élan demeura superbement vigoureux, si le volume en fut moins considérable. Dans les Contemplations, dans les fragments épiques qui, réunis, constitueraient une chanson de gestes formant le diptyque avec la Chanson de Roland, la philosophie parfois puérile et artificielle du Wotan de la littérature s'élargit et touche aux sommets des anagogies et des angoisses où Shakespeare rejoint les Grecs. Il semble que ce soit là, en ce Walhall, que notre admiration va désormais le panthéoniser. Le temps, les transformations intellectuelles emporteront les productions secondaires que ce cerveau tumultueux engendra à profusion, ils laisseront vivre les poèmes de gloire et de douleur qui sont, comme l'Iliade, l'Enfer, Hamlet, les refrains de l'humanité. Judith CLADEL