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Vie de La Brochure
17 décembre 2016

Cyrano de Bergerac n'était pas Gascon

Comme à son habitude, avec son style si fortement occitanisé, de Beaurepaire Froment fait cette fois la promotion d'un livre qui démontre comment est né le mythe de Cyrano de Bergerac. Émile Magne, né à Dax en 1877 et mort en 1953 à Saint-Maur-des-Fossés, est un écrivain français, critique, historien de la littérature et de l'art. J-P Damaggio

 

Midi Socialiste Mercredi 13 décembre 1911

EMIILE MAGNE

EMILE Magne est un Bordelais. C'est à Bordeaux qu'il fonda La Chronique Littéraire. Il tenta la gageure de faire tenir à Bordeaux une revue, et n'y réussit point, car on peut remarquer ce fait singulier ores que de grandes villes ont plusieurs revues, que de petites villes mêmes possède la leur, dans la quatrième ville de France il n'existe pas de périodique littéraire et régionaliste, de revue digne de ce nom. Il ne s'agit point d'opposer le caractère commercial de Bordeaux, les éléments intellectuels et artistiques n'y fautent pas; voyez d'ailleurs Marseille. C'est pourquoi il est inexplicable que Bordeaux n'ait point sa revue, telle qu'on l'entend et telle qu'elle serait nécessaire.

Durant son service militaire à Brive-la-Gaillarde, Emile Magne fonda une autre revue, La Brise, mais, courbé sous la servitude militaire, son nom ne paraissait pas dans l'organe. Et reminez, dans cette petite cité de Brive, La Brise continue gaillardement, sans jeu de mot, son souffle et va entrer dans sa douzième année d'existence.

C'est encore à Bordeaux qu'Emile Magne écrivit en 1898 son premier volume Les Erreurs de Documentation de "Cyrano de Bergerac". Il y relevait les nombreuses erreurs commises par Edmond Rostand au sujet de son héros ; mais, chose assez étrange, il passait condamnation précisément sur la plus grave : avoir fait du parisien de Cyrano-Bergerac un Gascon, ou du moins un Périgourdin, ce qui n'est pas encore pareil. Huy, j'imagine que Magne agirait différemment et vitupérerait comme il convient une gaffe devant couvrir son auteur d'un ridicule immortel. Car Rostand crut fermement que Cyrano était de Bergerac : il ignorait qu'il était de la famille parisienne de Cyrano, et que Bergerac était le nom d'un petit castel des environs de Paris qu'il accola à son nom patronymique : de Cyrano-Bergerac, pour se distinguer de son frère.

 Cyrano de Bergerac fut, pour Emile Magne, la bonne étoile qui le poussa à étudier le dix-septième siècle, car il ne devait plus abandonner celui-ci. En effet, ce siècle est extrêmement intéressant on croit que c'est celui qu'on connait le mieux, oui, au point de vue conventionnel et artificiel, le grand siècle classique; mais il faut le connaitre en sa réalité et en sa vérité, en savoir les dessous.

Magne s'est donc spécialisé dans l'étude du dix-septième siècle, et quelques années après son début il était à même de bailler des volumes, qui quittent loin derrière eux son premier livre et se sont imposés de plus en plus au monde littéraire et érudit : Scarron et son milieu (1906),. Madame de Villedieu (1907), Madame de in Suze et la Société Précieuse (1908). le plaisant Abbé de Boisrobert (1909), Madame de Chatillon (1910). Le dernier volume publié par Emile Magnes Gaultier-Garguille, est, sinon comme étendue d'étude, du moins par son sujet, du genre des précédents. C'est, parole ronde, une réédition des œuvres de Gaultier-Garguille, précédée d'une notice sur le personnage. Mais quelle notice ! Ce n'est point parce qu'elle est considérable qu'elle vaut, ains on peut la considérer comme une suite de ces excellents volumes sur le dix-septième siècle donnés par Emile Magne.

Antan, deux provinces fournirent spécialement en abondance les farceurs, les hâbleurs, la Gascogne et la Normandie. C'est à cette dernière qu'appartient Hugues Quéru 0u Guéru, ne à Sées vers 1573, d'une famille bourgeoise, même de petite noblesse. Hugues ne suivit guère les traditions familiales, et c'est lui qui devint le famé Gaultier-Garguille de l'Hôtel de Bourgogne. Cependant, il est curieux de constater que Gaultier-Garguille garda un certain décorum dans la profession si méprisée de farceur populaire. Jusque là, les comédiens menaient plutôt une vie d'arsouille ; Gaultier-Garguille montra plus de dignité. On eut aimé trouver dans le livre de Magne ce passage de Tallemant des Réaux :

"Le premier qui commença à vivre un peu plus règlement ce fut Gaultier-Garguille il était de Caen, et s'appelait Fleschelles. Scapin, célèbre acteur italien, disait qu'on ne pouvait trouver un meilleur comédien. Gaultier étudiait son métier assez souvent, et il est arrivé quelquefois que comme un homme de qualité qui l'affectionnait l'envoyait prier à dîner, il répondait qu'il étudiait."

Ce témoignage est d'autant plus précieux, que Tallemant est bien connu pour son peu de retenue de jugements et ses Historiettes, sont plutôt un recueil de médisances, sinon de calomnies, n'épargnant personne.

C'est à Rouen que Hugues Guéru s'engagea dans une troupe de comédiens ambulants, maîtroiée par le sieur François Vaultray. Avant d'être le Gaultier-Garguille de Hôtel de Bourgogne à Paris, il pérégrina avec la troupe à travers la France, et c'est précisément à Toulouse qu'il séjourna le plus longtemps. Voici comme.

"Ayant sans trop de méchefs atteint la bonne ville de Toulouse, ils se préparent à y séjourner pacifiquement en amassant quelque argent qui leur permette de subsister à Paris. Ils ont compté sans leur compère Fleury Jacob. Cet homme, adonné à l'ivrognerie et au libertinage. leur suscite mille avanies Après maintes querelles, il les quitte pour vivre à sa fantaisie, leur abandonnant le soin d'entretenir sa femme. Nos comédiens se résignent à garder celle-ci. Dès lors Jacob, furieux leur intente, par devant le parlement de Toulouse, un procès en séquestration de son épouse et parvient à obtenir saisie de leurs "meubles et équipages."

Par contre. il est condamné à subvenir aux besoins de Colombe Verrier. Comme il ne s'acquitte pas de ce devoir impérieux, le même Parlement, revenant sur se décision, ordonne aux comédiens, par arrêt du 28 novembre 1611, "de retenir en leur compagnie icelle Verrier, à peine de cinq cens livres tournois d'amende."

Enfin la troupe put quitter Toulouse et se diriger sur Paris. Ainsi qu'on l'a vu, Guéru et ses compagnons eurent maints essoines dans la cité moundino et durent en emporter un mauvais souvenir, Toulouse, capitale du Languedoc, n'est point en Gascogne, mais elle jouxte celle-ci, puisque l'un de ses faubourgs, Sant-Subra, est en territoire de Gascogne. Magne remarque : "De sa promenade à Toulouse Hugues Guéru, s'il ne rapporte point de pistoles en suffisance rapporte, du moins, un type de Gascon croqué sur le vif qu'il exploitera supérieurement dans la suite."

Il en rapporta aussi autre chose. On sait que Gaultier-Garguille eut le bon esprit d'importer sur la scène parisienne maintes gaillardes chansons populaires traditionnistes. Dans le recueil qui porte ce titre Les Chansons de Gaultier-Garguille, il en existe plusieurs qui ont dû être adaptées de l'occitan, mais la chose est acertainée pour la chanson XIV :

Requinques-vous, vieille,

Requinquez-vous donc.

Que ne vous requinquez-vous, vieille,

Que ne vous requinquez-vous donc ?

En effet, au seizième siècle, dans Les Joyeuses Recherches de la Langue Tolosaine, Claude Odde, de Triors, cite cette chanson populaire toulousaine :

Requinque-te, vieillo,

Requinque-te donc,

Et per que non

Te requinques, vieillo,

Et per que non

Te requinques donc.

Comme les précédents volumes, d'Émile Magne, la notice sur Gaultier-Garguille n'est pas une simple présentation de l'individu, mais l'évocation d'un milieu, d'un monde, d'une société, ici des comédiens de l'Hôtel de Bourgogne et de leur vie. L'auteur aparie ses volumes avec grande cure ; ainsi aurai-je peu de critiques à formuler sur Gaultier-Garguille, et secondaires.

Il ya eu d'assez nombreuses éditions des Chansons de Gaultier-Garguille : il eût été nécessaire que Magne indiquât l'édition d'après laquelle il le reproduisait.

Magne écrit : "Telles qu'elles sont, les chansons de Gaultier-Garguille offrent une originalité véritable. Elles ont été, pour la plupart, cueillies aux lèvres des paysans normands, des bergers gascons ou des artisans parisiens. La musique sur laquelle elles se chantent ne vient pas, quoi qu'on en ait dit, de la source populaire. Im est nécessaire de le bien spécifier pour l'étrangeté du fait. On l'a longtemps et vainement cherché, à cette source. Or elle fut écrite par des compositeurs contemporains. Nous l'avons partiellement retrouvée. Nous la donnons pour la première fois."

Je veux bien admettre ce que prétend Magne dans la dernière partie des lignes citées, mais où est la preuve de cette affirmation ? J'ai vainement quiert, dans sa notice ou aux chansons, l'indication formelle de l'auteur de la musique sur laquelle se chantent celle-ci et celle-là.

Page 102, Magne s'est engeigné au sujet de l'explication du hastre de ce vers de la chanson XII :

Je l'approche de mon hastre,

On n'ignore point de quelle façon fantaisiste sont parfois orthographiés les mots de l'ancienne langue, les gens n'ayant mie, à ces époques, le préjugé de l'orthographe. Magne a cuidé que hastre était bouté là pour haste, lance, javelot, de hasta : voilà à quoi mène la folie de la dérivation latine, de notre enseignement officiel. Hastre est tout bonnement là pour astre, âtre. Au mot astre, Godefroy remande simplement à (?) qui signifie portique, porche : il n'y a pas de Godefroy qui tienne, c'est une conardie.

Le volume d'Emile Magne est illustré de nombreuses reproductions de gravures documentaires. De Beaurepaire-Froment.

 

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