Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
27 décembre 2016

Philippe Caubère en l'an 2000

Lefebvre (1)

Voici l'inévitable Jean-Pierre Léonardini qui présente une fois de plus l'acteur Philippe Caubère dans l'Humanité. Je garde pour moi mes commentaires. J-P Damaggio

 Article L'Humanité

Théâtre. Dans son spectacle Claudine et le théâtre Caubère redonne chaque soir la comédie de sa venue au monde et de ses années de formation.

VENDREDI, 24 NOVEMBRE, 2000

L'enfant naturel de Molière et d'Ariane Mnouchkine remet sans fin sa vie sur le métier du théâtre avec un souffle d'athlète complet.

Philippe Caubère, s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer. Ce n'est là qu'une formule. Car il existe, les Parisiens peuvent le rencontrer à l'Athénée-Louis-Jouvet (1) jusqu'au 31 décembre. Quant à l'inventer, il y a beau temps qu'il s'invente lui-même jour après jour, après que sa mère, évidemment, l'a mis au monde. C'est justement par là que commence son " spectacle comique en deux soirées ", intitulé Claudine et le théâtre. Au tout début de la première partie de ce diptyque, baptisée Claudine ou l'éducation - la seconde étant le Théâtre selon Ferdinand -, il nous était donné d'assister dans un ébahissement absolu, l'été dernier au Festival d'Avignon, à ce sommet de philosophique hilarité que constitue la venue au monde de Ferdinand, double avéré de Caubère, au beau milieu des convulsions d'une génitrice dont il s'ingénie à recréer les saillies pittoresques, la mauvaise foi grandiose, les foucades attendrissantes...

Faire renaître sa mère en étant comme simultanément elle-même, le poupon qui peine à sortir, l'accoucheur, le père, etc., voilà qui est proprement inédit et fit d'emblée de ce morceau un étourdissant chef-d'œuvre. Le reste est à l'avenant, qui traite des années d'enfance, puis de celles de formation, quand l'ancien bébé prétend voler de son propre zèle sous l'oil critique de Claudine, mère délicieusement injuste et verveuse...

Ce n'est pas pour rien que Philippe Caubère a tenu le rôle de Molière dans le film fameux d'Ariane Mnouchkine, cette autre mère sévère, d'élection celle-là, dont dans la Danse du Diable, puis le Roman d'un acteur, il s'est délivré en faisant flèche de tout bois. L'art de Caubère doit beaucoup en effet à celui de Molière qui sut, le premier, injecter dans le théâtre du monde une vis comica dont la vertu demeure inégalée. Il y a si peu d'auteurs comiques. Caubère est de nos jours le seul, sans conteste. Il écrit et il joue. Bref, il fait tout. Il se réclame d'un théâtre figuratif, rejette toute tentative d'abstraction, d'allégorie. Il entend frapper juste et fort, franc du collier, payant de sa personne (voyez sa folle dépense dans Claudine et le théâtre, travail de grand sportif des affects, d'acrobate sentimental).

À la ville comme à la scène, on le découvre aussi entier, l'oil clair ouvert sur tout. En politique, il est aussi nerveux, toujours prêt à la révolte, d'où sa jeunesse immuable. À l'Huma, nous aimons en lui l'ami sourcilleux, celui qui ne passe rien, exige des explications, demande des comptes. Ce n'est pas hasard si, dans l'ouvre fleuve d'Aragon, il avait choisi de s'attacher aux poèmes qui hissent le drapeau rouge, ouvrant la porte au grand lyrisme libérateur. Arlequin gauchiste, voire trotskiste, et fier de l'être. Maître de l'improvisation, attentif à la moindre pulsion venue du dedans ou à la sensation issue du spectacle du monde, Caubère fait ventre de tout, créature moliéresque mue par un désir-faim sans cesse renouvelé.

Son théâtre est moderne, car il use de la technique du dessin animé, de la vélocité de Chaplin ou des comédiens de Mack Sennett venus du music-hall. Il puise en même temps à l'intarissable source archaïque de la farce à laquelle déjà Molière, encore, s'abreuva sans vergogne. Imaginons un mime très bavard, un contorsionniste qui retombe toujours sur ses pattes, un être hypersensible qui voyage sans cesse entre le haut et le bas et qui s'emploie à faire se tordre son prochain, afin de ne pas livrer nu son cour palpitant. N'est-ce pas l'essence du génie comique ? Et n'est-ce pas mille fois plus risqué et au fond plus élégant que la posture tragique " gore " de plus en plus de mise sur le plateau, qui n'est plus alors que le sombre duplicata des images de guerre vomies par la télévision ? Il y a donc en Caubère un philosophe péripatéticien, marathonien même. Le monde commence littéralement avec lui. Et l'égotisme n'est-il pas, chez Philippe Caubère, le plus court chemin vers l'universel ? Jean-Pierre Léonardini

(1) Square de l'Opéra Louis-Jouvet, 7, rue Boudreau, Paris 9e, métro Opéra, location au 01 53 05 19 19

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 023 471
Publicité