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Vie de La Brochure
13 mars 2017

Fiction, friction à Cannes en 1968

destival de cannes en 1968

J’arpente les rues de Cannes assez désespéré. Je suis arrivé dès l’ouverture du Festival de cinéma, le 10 mai, pour assister à la projection d’un seul film, ayant eu un billet d’entrée exceptionnel. Par solidarité entre immigrés, j’ai par chance un hébergement gratuit, sinon mon désespoir serait au zénith car je devine aujourd’hui que je vais être bloqué plusieurs jours dans cette ville insupportable pour moi. En ce 18 mai exactement, je présente mon billet, j’entre et enfin je vais revoir un film déjà découvert à Barcelone, voici deux mois, revoir ce film qui m'a laissé k.O. En version originale bien sûr car le jeu sur les langues est infini. Géraldine Chaplin joue deux rôles radicalement opposés, non pas la putain et la soumise, mais la femme objet et la femme concrète. Pardon, cherchez ,la nuance, tout est dans la nuance. Oui, je suis un admirateur de la fille de Charlot. Mais voilà, dans la salle, c’est le bordel comme dans la France entière. Le bordel je vous dis. Jusqu’à présent, toutes les projections ont eu lieu normalement, mais justement avec Peppermint Frappé, tout devrait s’arrêter. Carlos Saura, le réalisateur, n’est pas le dernier à s’agiter pour empêcher la séance ! Il s’accroche au rideau pour qu’il ne s’ouvre pas. J’espérais observer la réaction française face à cette œuvre vue dans l’Espagne franquiste, à un moment où des bus partaient pour Perpignan y voir les films porno, or, je vais être frustré de ce besoin.

géraldine chaplin

 Non, je ne suis pas un Espagnol, mais je suis de langue espagnole : jeune Péruvien en galère, je voudrais devenir journaliste spécialisé en matière de liens France-Espagne. Après le film, j’avais rêvé d’un entretien avec le grand Carlos mais tout s’effondre devant moi. Depuis huit jours j’observe cet univers petit-bourgeois qui, en guise de rue, arpente des marches, et qui j’auto-culpabilise car les films ne sont pas en phase avec le mouvement en marche. Aucune image sur la classe ouvrière, tout sur l’univers bourgeois.

 De Polanski à Godart, le jury est à l’image de la révolte de la rue, pourtant la rue ne veut rien attendre de ce jury qui lâchement, se rend à sa volonté. Le navire se saborde sans la moindre raison !

 J’aime la France depuis très longtemps car elle me permet d’échapper au face à face entre le colonisateur d’hier, l’Espagne, et celui d’aujourd’hui, les USA, et donc, autant dire, les anglo-saxons. Or, le film est construit sur le rapport entre ces deux cultures : celle d’Ana la femme concrète ayant ses pieds en Espagne et Elena la femme-objet, parfait produit britannique. Celui qui veut ou refuse les confusions, Julián le médecin (radiologue), mène une vie réglée comme une horloge. Le portrait d’un bourgeois de province qui s’ennuie et s’invente un rêve. Comment quitter l’ordre convenu pour une aventure impossible ? L'immigration devrait être obligatoire !

 

peppermint

Je sais, le retour à la source (et non aux origines) permet seul de suivre le lit d’une rivière. Pour moi, Géraldine a commencé avec Le Docteur Jivago, le premier film vu à Paris dès sa sortie quand j’ai débarqué devant la Tour Eiffel. J’ai ressenti ce film comme une voie du destin. Je ne sais si des personnes ont été bousculées par cette projection mais autant le reconnaître, la marque fut sur moi telle, que j’ai refusé de le revoir de crainte de perdre le souvenir de la première impression. Une preuve irréfutable de la force exceptionnelle de la littérature. Par le film, Pasternak est entré dans la légende et avec le film a débuté dans mon imagination, la légende de Géraldine. Je crois que cette femme ne va cesser de nous étonner. Elle était Tonia, elle est devenue Ana-Elena. Elle va nous étonner en devenant la compagne d’un Carlos que je découvre assez inconséquent. A empêcher la projection, à vouloir faire évacuer la salle, il assassine son propre film ! En guise de tremplin, Cannes va devenir le cercueil de son œuvre !

 Tout cela peut apparaître délire pur et simple, le film comme le refus de sa projection, tout cela peut paraître un mélodrame abstrait et ésotérique, le film comme la vie au Festival de Cannes, tout cela, peut libérer et exprimer toute une phantasmagorie espagnole, dictée par les refoulements religieux et puritains, par la « morale » bourgeoise la plus contraignante, tout cela est plus que ce qui quiconque peut en écrire.

 

critique-peppermint-frappe-saura

« Peppermint frappé » est tout le contraire d'un film « bourgeois ». C'est un film sur la bourgeoisie, sur les aliénations que signifie une pratique bourgeoise de la vie. L'aisance, la virtuosité mise à passer du réel à l'imaginaire, du décrit au rêvé sont dynamiques par la charge corrosive. Cette culture, nourrie de fantastique, peut dérouter au premier abord un spectateur français alors que le spectateur espagnol acclimaté au vertige goyesque ou aux extrêmes de l'expression buñuélienne s'y retrouvera mieux, décèlera mieux la marge entre la réalité et l'expression soulignée, surchargée de la réalité. Mais du spectateur français je ne saurai rien à propos de ce film.

Jean-Paul Damaggio

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