Vallejo et Neruda
Plongé dans le Tinisima où Poniatowska raconte la vie de Tina Modotti, je découvre un écho à la fameuse rencontre des écrivains pour la défense de la culture à Valence le 4 juillet 1937. Juste ce bout de phrase : « César Vallejo fuit Neruda. Maria Luisa Vera court après Vallejo. Elle admire sa poésie. »
C’est un fait connu : Neruda et Vallejo ne s’aimaient pas. Vallejo jaloux du succès de Neruda ? Neruda vécut cependant assez longtemps pour rendre hommage au Péruvien. Neruda a toujours eu le sens de la communication. J-P Damaggio
P.S. A part Picasso dont on reconnaît la signature, malheureusement impossible de donner le nom des autres auteurs des dessins croisés sur internet.
ODE A CÉSAR VALLEJO
Par Pablo Neruda
La pierre dans ton visage,
Vallejo,
les rides
des sierras sauvages,
reviennent dans mon chant,
ton front
immense
sur ton corps fragile,
le crépuscule noir
dans tes yeux
à peine déterrés,
ces jours-là,
soudains,
inégaux,
chaque heure avait
des acides différents
ou de lointaines
tendresses,
les clefs
de la vie
tremblaient
dans la lumière poussiéreuse
de la rue,
tu revenais
d'un lent voyage,
sous la terre,
et sur les hauteurs tatouées
de cicatrices
je frappais aux portes,
pour que les murs
s'ouvrent,
pour que les chemins
se dénouent,
à peine arrivé de Valparaiso
j'embarquais à Marseille,
comme un citron parfumé
la terre
se coupait
en frais hémisphères jaunes,
toi
tu demeurais
là, attaché
à rien,
avec ta vie
et ta mort,
avec ton sable
en train de s'écouler,
te mesurant,
te vidant,
dans l'air,
dans la fumée,
dans les rues brisées
de l'hiver.
C'était Paris, tu vivais
dans les hôtels
délabrés des pauvres.
L'Espagne
perdait son sang.
Nous accourions.
Ensuite
tu demeuras
à nouveau
dans la fumée
et c'est ainsi que lorsque
tu disparus, soudain,
ce ne fut pas la terre
des cicatrices,
ce ne fut pas
la pierre des Andes
qui recueillit tes os,
mais la fumée,
le givre
de Paris en hiver.
Deux fois exilé,
mon frère,
de la terre et de l'air,
de la vie et de la mort,
exilé
du Pérou, de tes fleuves,
absent
de ton argile.
Tu ne m'as pas manqué vivant
mais mort.
Je te cherche
goutte à goutte,
poussière à poussière,
sur ta terre,
ton visage
est jaune,
ton visage
est escarpé,
tu es plein
de vieilles pierreries,
d'urnes
cassées,
je gravis
les perrons
antiques,
peut-être
t'es-tu perdu,
prisonnier
des fils d'or,
couvert
de turquoises,
silencieux,
ou peut-être es-tu
dans ton peuple,
dans ta race,
grain
de maïs répandu,
semence
de bannière.
Peut-être, peut-être en cet instant
transmigres-tu,
reviens-tu,
à la fin
du voyage,
et seras-tu un jour
au cœur
de ta patrie,
insurgé,
vivant,
cristal du cristal, feu du feu,
rayon de pierre pourpre.
Pablo NERUDA.
Odes Elémentaires.