Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
18 avril 2017

1937 : Jean Cassou au Congrès des écrivains

Après Tristan Tzara voici le message de Jean Cassou au Congrès des écrivains qui s'est tenu à Valence puis Madrid en juillet 1937. J-P Damaggio 

JEAN CASSOU, Message au congrès

Je suis souffrant et ne puis me rendre à votre congrès. Mais je me promets d’aller passer quelques jours en Espagne, auprès de nos chers et fraternels amis espagnols, dès que j'irai mieux, c’est-à-dire dans un mois ou deux, et de refaire, un an après, ce voyage de Barcelone, Valence et Madrid qui m'avait laissé un souvenir si pathétique. Je reviendrai écouter battre le vieux cœur de ma mère Espagne qui, depuis un an, est devenu le cœur du monde.

Voilà des années que je suis, que j’accompagne l'Espagne, que je me nourris de ce que son génie a du plus spécial et que j’essaie de le faire entendre à mes compatriotes français. Ce n’était pas toujours une tâche facile. Et sans doute si j'entendais moi-même si bien les irréductibles particularités du génie espagnol, c'est que par son sang, j'étais dans le secret. Et un démon me poussait à augmenter le caractère intraduisible de ces particularités, à insister cruellement sur tout ce que, dans la passion, la liberté, l’excès, le caprice et la fierté des formes espagnoles, il pouvait y avoir de réfractaire à ce que les Français appellent leur mesure, leur bon sens et leur bon goût. Et j’éprouvais une exaltation singulière à posséder, dans les créations des artistes baroques, des poètes conceptistes, des écrivains mystiques, dans le Gréco, Quevedo, Gracian, Gongora; sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, Cervantès et Unamuno, Picasso et Gaudi, tout un monde d’affirmation arbitraire et qui se présentait à la façon d’un bloc abrupt et d'un défi. Je savais, d'ailleurs, par mon expérience poétique et par mon expérience révolutionnaire - ce qui moi pour moi est une même chose – qu’il y a toujours du défi et de la protestation dans les œuvres de la culture humaine. Que celles-ci sont et doivent toujours être les signes d'une contradiction, l'expression d’une volonté. Et jamais cette contradiction et cette volonté ne m’avaient paru plus nettes que dans les œuvres de la culture espagnole.

Mais contradiction à quoi ? Volonté de quoi ? Il y avait de l'obscurité dans cette force que je sentais explosive sans parvenir a démêler comment et pourquoi l'explosion pourrait éclater. Or l'explosion a éclaté. Cette puissance, cette densité qui chargeaient si terriblement l’âme espagnole viennent de se manifester. Et l'Espagne est devenue, après la France révolutionnaire, après la Russie d’Octobre, l’Espagne, à son tour, est devenue le théâtre et le symbole de l'une des plus violentes revendications de la personne humaine. Il y avait de la colère, de la solitude et de la passion dans les étranges chefs-d'œuvre du génie espagnol ; c'est qu'il y avait cette même colère, cette même solitude et même passion tragique et effrénée, dans le tempérament de l'homme espagnol; et cette passion devait éclater le jour où l'homme espagnol se sentirait responsable pour tous les hommes qui souffrent et qui ont faim.

Ce qu'il y avait de trop irréductible et particulier dans génie espagnol s'est ouvert, est devenu valeur universelle, puisqu'à présent la misère espagnole est devenue représentative de la misère du prolétariat universel et puisqu'à présent le peuple espagnol est devenu porteur des espoirs et des chances de tous les peuples de l'univers.

Cette accession du peuple espagnol à l'éminente dignité de premier peuple révolutionnaire et de champion de la cause humaine s'est faite au milieu de douleurs et de drames que nous ne pouvons considérer sans  que notre cœur se déchire d'horreur, d'admiration, d'amour. Le peuple espagnol en assume en ce moment la grande charge. Il est le peuple Christ. Et il me semble que cette fois, tous, nous devons comprendre enfin jusqu'au bout, la précieuse et très extraordinaire splendeur des œuvres de son génie; il nous suffit pour cela de regarder les excès de foi, d'héroïsme et de souffrance auxquels peut-être livré le peuple d'Espagne. C'est lui, aujourd'hui, qui confirme, justifie, explique les œuvres des princes de la culture espagnole. C'est le peuple d'Espagne qui, aujourd'hui, confirme, justifie, explique Cervantès et Goya. Cette passion obscure, cette énergie prodigue et farouche, cette dense accumulation de violences énigmatiques, nous voyons par quoi elles se traduisent lorsqu'elles éclatent dans le cri de ce paysan démuni, affamé, isolé, dressé sur son désert de Castille et qui, au fascisme barbare et monstrueux, répond : «Non! tu ne passeras pas! ». Que viendrait faire le fascisme dans cette terre de génies hautains, magnifiques et magnifiquement humains ? Que viendrait-il faire parmi les gens de Valence, de Barcelone et de Madrid qui composent le peuple le plus pauvre et par cela même, le plus fier et le plus humain de la terre ? Ecrivains espagnols, poètes, artistes, mes frères, la culture que vous incarnez et que vous défendez représente nos intérêts les plus chers.

Et notre culture française ne serait plus rien pour nous et le monde perdrait tout son sens si le fascisme venait à bout du peuple espagnol. Je vous dis à bientôt et vous envoie mon plus fraternel salut.

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 023 629
Publicité