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Vie de La Brochure
20 avril 2017

Juillet 1937, Malraux à Madrid

malraux

Pour le feuilleton sur le Convrès des écrivains de 1937 voici le témoignage d'André Malraux (peut-être seulement des extraits). J'indique en passant que Le Monde Diplomatique offre un article de 1997, en lecture libre sur le sujet. J-P Damaggio

ANDRÉ MALRAUX, (France)

Il est impossible de parler à la fois de travail professionnel et de s'adresser au peuple de Madrid. Je choisis donc de vous parler, camarades, des hommes que j'ai rencontrés dans le monde et qui vous aimaient.

Bergamin, dans un discours admirable, disait il y a deux jours : l'Espagne est seule. Il est bien vrai : le gouvernement de l’Espagne est aujourd'hui dans une tragique solitude, quant aux autres gouvernements, spécialement ceux qui quelques mois avant la rébellion de Franco venaient demander ici un engagement formel de n’acheter des armes qu’en France, pour refuser ces armes lorsque les chiens prirent les leurs.

Mais s'il en est ainsi des gouvernements, il n'en est pas ainsi des hommes et c’est d'eux que je parlerai. Dans un pays des plus pauvres, plutôt dans une des contrées les plus pauvres, qui ressemble tant à l'Espagne, au Canada français où se trouvent la même misère et le même courage, j’ai parlé pour l'Espagne; à Montréal, aux Etats-Unis, partout nous avons eu des chèques et des dollars.

Au Canada, on a fait circuler un plateau et sur ce plateau il y avait quelques dollars, beaucoup de pièces, de sous et une montre, une vieille montre de 1860. Je demande au camarade qui avait quêté d'où venait cette montre. C'est un vieil ouvrier qui l'a mise, il ne voulait pas mettre de sous.

Je dis :

—      Est-ce un syndiqué ? Est-ce un camarade officiel, politique?

Non, il n'était rien. J’ai voulu voir cet homme et avant de partir j’ai causé avec lui.

—      Pourquoi avez-vous mis votre montre? Je sais que vous êtes pauvre. Etes-vous des nôtres ?

—      Je ne connais rien à la politique, le répondit-il, mais sur l'Espagne il y a une chose que maintenant j'ai comprise. J'ai compris qu'il y avait des hommes qui s'étaient révoltés pour que les gens comme moi, les pauvres dans le monde entier, ne puissent continuer à être humiliés et qu'il y avait des hommes, quelle que soit leur opinion politique, qui se battent actuellement pour qu'on cesse d'avoir le droit de mépriser les hommes et qu'on puisse leur faire confiance. Et cette chose si simple est la chose la plus importante de ma vie et c'est pour ça que j'ai mis dans le plateau pour l'Espagne la seule chose que je possédais, celle à laquelle j'attachais le plus d'importance.

Peu de temps après, j'arrivais à Hollywood et il se trouvait que j'allais regarder tourner le film de Marlène Dietrich au moment même où on commençait. D'un côté Marlène; à côté le metteur en scène, Lubitch, un des hommes les plus riches, à côté encore les mécaniciens.

J'arrivais par devant, et à ce moment je vis que tous les électriciens étaient en train de se gratter l’oreille ou d'attacher leur col. En regardant mieux, je vis qu'ils avaient dans la main, à moitié fermée, une petite Espagne en cuivre qu'ils avaient fait découper par leurs camarades.

Pendant la première partie de la guerre, nos camarades espagnols, n’ont jamais eu une mitrailleuse qui marchât bien. Les mitrailleuses françaises et anglaises qui étaient dues au gouvernement espagnol, avant le soulèvement de Franco, n'avaient jamais été livrées. Nous avions des mitrailleuses espagnoles, des anciennes et qui s'enrayaient constamment.

L'aide la plus forte qui ait été apportée au peuple espagnol, je ne l'ai pas directement connue. Elle était d'une autre nature. Nous nous trouvions avec quelques camarades sur la route, l’aviation ennemie venait de bombarder très longuement plusieurs centres; des bombes d'avions étaient de l'autre côté de la route non éclatées.

Etonnés, mon camarade et moi, nous en ouvrîmes une et presque en même temps nous trouvâmes à l'intérieur de ces bombes, envoyées d'Allemagne à travers le Portugal, un papier sur lequel était écrit ceci : «Camarades, cette bombe n'éclatera pas. »

Le 1er mai à Paris, eut lieu la journée de solidarité pour le peuple espagnol. Les ouvriers par dizaines de milliers arrivaient avec les drapeaux syndicaux devant les quêteurs pour l'Espagne qui tenaient à quatre de grands draps. Pour faire comprendre ce qu'ils faisaient, ils avaient mis au centre du drap cette affiche que vous connaissez tous : celle des enfants morts.

Lorsque les ouvriers arrivèrent devant, ils inclinèrent leurs drapeaux. Mais beaucoup d'autres suivaient portant leur enfant et ils inclinèrent leur enfant vivant d'un grand geste recueilli.

Camarades, soyez salués de ce salut ! Ce fut là peut-être la plus grande émotion de ma vie, et je ne peux m'empêcher d'y songer pendant qu'on entend ici le bruit du canon qui menace cette ville.

Soyez salués par nous qui sommes ici, soit comme combattants, soit comme écrivains, et, comme les ouvriers inclinaient leurs enfants, nous nous inclinons devant votre courage, et ces bombes qui vous menacent, dans la mesure où nous le pouvons, elles n'éclateront pas.

Note JPD comme il parle de Montréal voici des éléments du discours de Montréal :

1937/04/04 • André Malraux : «Discours de Montréal, 4 avril 1937» 

 Le bombardement du Jour de l'An

A Madrid, au Jour de l'An, on distribua les jouets qui, de tous les pays du monde, avaient été envoyés aux enfants espagnols. La distribution avait lieu au centre des arènes, les jouets amoncelés par petits tas, enchevêtrés comme des insectes.

Depuis une heure, les enfants passaient en silence devant ces petits tas où semblait s'être accumulée aussi l'affectueuse générosité de tous les coins du monde, quand commença l'éclatement des premières bombes. Une escadrille de Junkers bombardait.
Les bombes tombaient à six cents mètres. Le bombardement fut très court et les arènes sont très grandes. Quand les enfants qu'on évacuait arrivèrent aux portes des arènes, les avions étaient repartis et les enfants revinrent chercher les derniers jouets.
«Quand la distribution fut terminée, au centre des immenses arènes vides, il restait seulement un tas. Intact. Je m'approchai pour l'examiner : c'était le tas des avions-jouets. Il restait là, seul dans les arènes maintenant abandonnées et où n'importe quel gosse aurait pu venir. Les petits garçons avaient préféré n'importe quoi, même les poupées, et s'en étaient écartés, non avec peur, mais avec une sorte de mystérieuse horreur. Ce spectacle m'est resté dans la mémoire. Les fascistes et nous, nous sommes séparés à jamais par ce petit tas de jouets abandonnés.»
La terreur des bombardements aériens par les insurgés ébranle effroyablement les nerfs des enfants, et c'est ainsi toute une génération qu'on sacrifie.
Je sais du reste que toute guerre est violente. Je sais du reste qu'il peut arriver que la bombe d'un avion gouvernemental qui vise un objectif militaire, tombe à côté et blesse des civils. Ce sur quoi je veux attirer votre attention de la façon la plus formelle, et vous le lirez dans les journaux fascistes eux-mêmes, c'est que nous avons détruit l'aérodrome de Séville, nous n'avons pas bombardé Séville. Nous avons détruit l'aérodrome de Salamanque, nous n'avons pas bombardé Salamanque. J'ai détruit l'aérodrome d'Avila, je n'ai pas bombardé Avila. Mais voilà plusieurs mois que les fascistes bombardent chaque jour les rue de Madrid.

Lire la suite : télécharger le texte. (Texte disponible prochainement.)

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