En 1974 la haine coule à grands flots dans l'Assemblée nationale pour empêcher le vote de la loi Veil au sujet de l'IVG. Un député se distingue : Jean-Marie Daillet né le 29 novembre 1929 à Rennes (Ille-et-Vilaine). Il a été député de la Manche de 1973 à 1993, élu successivement du Centre démocrate, de l'UDF (Centre des démocrates sociaux) et du groupe Union du centre. Il a ensuite été nommé ambassadeur de France en Bulgarie. Il est en 2007 le président de l'Amicale des anciens du MRP. Pour ne pas oublier je redonne les éléments de l'injure politique. Jean-Paul Damaggio

 Les allusions au nazisme

Un projet digne des nazis ? L’accusation est d’une brutalité inouïe. Masquée d’abord puis explicite, elle revient à plusieurs reprises les 26 et 27 novembre 1974.

Premier moment : les porteurs du projet seraient des assassins d’enfants :

«  Le temps n’est pas loin en France où nous connaîtrons ces ‘avortoirs’ – ces abattoirs – où s’entassent des cadavres de petits d’hommes. » (Jean Foyer, 26 nov.)

« Il nous est demandé de participer à une sorte de Saint-Barthélemy où des enfants en puissance de naître seraient quotidiennement sacrifiés. » (Hector Rolland, 26 nov.)

Deuxième moment : l’assassinat d’enfants serait sous-tendu par l’eugénisme et l’euthanasie.

« Vous instaurez un nouveau droit, un droit à l’euthanasie légale. » (Alexandre Bolo, 26 nov.)

« Allons-nous admettre le permis légal de tuer ? […] C’est reconnaître progressivement l’eugénisme, puis l’euthanasie. (René Feït, 26 nov.)

Troisième moment : l’eugénisme et l’euthanasie mèneraient droit au nazisme

« Quand on oublie que le droit à la vie est inviolable on peut, après l’introduction de l’avortement, préconiser des mesures contre les handicapés physiques ou mentaux, contre les ‘bouches inutiles’, contre les incurables, contre les poids morts de la société, et en arriver, chers collègues, au pire racisme nazi. » (René Feït, 26 nov.)

« Cela ne s’appelle plus du désordre, madame la ministre. Cela ne s’appelle même plus de l’injustice. C’est de la barbarie, organisée et couverte par la loi, comme elle le fut, hélas ! il y a trente ans, par le nazisme en Allemagne. » (Jacques Médecin, 26 nov.)

« En vérité, personne au monde ne peut s’arroger le droit de supprimer la vie d’un innocent. Ce ne peut être l’Etat, à moins qu’il ne soit totalitaire comme l’était le III e Reich. […] Qui, désormais, aura le droit de donner les critères fixant l’étendue de ce droit ? L’Etat ? Alors qu’avons-nous à reprocher aux hommes de l’Etat national-socialiste sinon d’avoir été, dans ce domaine bien précis, des précurseurs ? (Remy Montagne, 27 nov.)

 Quatrième moment : … et aux fours crématoires

« On est allé – quelle audace incroyable ! – jusqu’à déclarer tout bonnement qu’un embryon humain était un agresseur. Eh bien ! ces agresseurs, vous accepterez, madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles. » (Jean-Marie Daillet, 27 nov.)

Les dynamiques de réponse à ces insultes s’enclenchent progressivement, en plusieurs temps elles aussi, et sur plusieurs tons.

 Protestations « à chaud »

« Comment osez-vous parler d’euthanasie à madame Veil ? (Pierre Bourson à Alexandre Bolo) Des «interruptions sur plusieurs bancs des communistes et des socialistes et radicaux de gauche » se font entendre au moment du discours de René Feït.

Tandis que Jean-Marie Daillet s’exprime, on entend des « protestations sur les bancs des socialistes et radicaux de gauche et des communistes et sur divers bancs de l’UDR ». – « Je vous en prie, monsieur Daillet ! » s’exclame Benoît Marquet. « Vous refusez de voir la vérité en face ! » (Jean-Marie Daillet) ; « Un peu de décence ! » (Benoît Marquet) ; « Il est facile d’invoquer la décence ! » (Jean-Marie Daillet) ; « Vous n’avez pas connu cela, alors taisez-vous ! » (Benoît Marquet) ; « Qu’en savez-vous ? » (Jean-Marie Daillet)

Protestations pendant la suite du débat

« Il est choquant, par exemple, d’assister à certaines campagnes qui tendent à assimiler systématiquement à je ne sais quelle résurrection du nazisme toutes les opinions qui ne sont pas celles de certains intégristes. » (Jacques Soustelle, 27 nov.)

Louis Besson fustige « certains collègues dont les positions outrancières – et je comprends parfois qu’elles aient pu vous être insoutenables, madame le ministre – témoignent de la facilité qu’il y a à s’ériger en procureur offensé lorsque la nature a définitivement écarté la possibilité de vivre pour soi ce dont on parle si aisément pour les autres. » (28 nov.)

« Je vous demande de bien vouloir excuser, ici ou ailleurs, ceux qui vous ont fait mal. » (Pierre-Alexandre Bourson, 28 nov.) Révolté

Jack Ralite dénonce « l’odieuse assimilation faite ici hier soir entre l’interruption volontaire de grossesse et le génocide nazi. » (28 nov.)

Enfin, René de la Combe s’adresse à Simone Veil : « Les attaques d’une virulence inadmissible que vous subissez depuis quelques jours. […] m’obligent à monter à cette tribune pour clamer mon indignation. […] Les gens qui ont proféré ces injures sont évidemment inspirés par la haine. […] Toute la Résistance française […] est derrière vous pour vous défendre contre des attaques ‘hitlériennes’. » (28 nov.)

Puis vient la réponse de Simone Veil elle-même.

 J’affirme – et lorsque j’affirme on peut me croire – que les publicistes qui ont inondé le Parlement de libelles ignobles, qui ont dressé des emblèmes nazis, qui ont téléphoné au domicile des ministres, déshonorent une cause que je respecte profondément lorsqu’elle est défendue, comme cela a été le plus souvent ici, avec mesure et conviction. (Applaudissements sur de nombreux bancs des républicains indépendants, des réformateurs, des centristes et démocrates sociaux, de l’UDR, et sur plusieurs bancs des socialistes et radicaux de gauche.)

 D’autres insultes

Il faut faire figurer au nombre des attaques pour le moins discourtoises toutes les allusions qui visent comme femmes Simone Veil, les députées favorables à la loi sur l’IVG ou les femmes qui soutiennent ce projet hors de l’enceinte parlementaire (les signataires, par exemple, du manifeste des 343).

Par l’humour. Jean Foyer, adepte des bons mots, joue sa partition. Il laisse entendre que les deux femmes favorables à une loi sur l’IVG font taire la raison et laissent parler leurs passions :

« Je conviens que ma tâche est rendue difficile par les allocutions qui ont été prononcées par Mme le ministre de la Santé et par Madame Misoffe [Parti communiste], de telle sorte qu’après ces deux Antigone – si elles veulent bien me permettre cette comparaison – j’apparais un peu à cette tribune comme Créon. (sourires) (26 nov.)

Par l’ironie. « L’ORTF, toujours si critique pour le gouvernement, fond de tendresse pour vous, Madame. » (Pierre Bas, 27 nov.)

Par l’attaque directe. Albert Liogier s’empourpre et s’emporte (28 nov.).

"On connaît, mes chers collègues, des manifestations publiques au cours desquelles des femmes ou plutôt des viragos, car elles ne méritent pas le nom de femmes (nouvelles exclamations sur les mêmes bancs socialistes et radicaux de gauche et communistes)

Un député communiste : Vous insultez les femmes !

Albert Liogier : …étaient prêtes à donner le triste spectacle de leur propre avortement, pour mieux narguer la loi et démontrer l’impuissance de l’Etat. […] ces hommes et […] ces femmes pour qui sous le prétexte de la liberté, la pornographie tient lieu de devoir et d’honneur. (protestations sur les bancs des socialistes et radicaux de gauche et des communistes).

M. Gilbert Schwartz : Il n’est pas permis de parler ainsi !

Albert Liogier : A la pratique du vice doit répondre la pratique de la vertu (interruptions sur les bancs des socialistes et radicaux de gauche et des communistes).

M. Guy Ducoloné : Parlez-en, de la vertu !

Albert Liogier : […] et pour Satan, contraception et avortement ne sont que deux chapitres du grand et même livre de la sexualité (même mouvement [rires et exclamations sur les bancs des socialistes et radicaux de gauche et des communistes]).

Un député socialiste : C’est l’exorciste ! (sourires)

 Il n’est pas inintéressant de repérer les réactions à ces attaques. A Jean Foyer, Hervé Laudin répond par l’ironie : « Monsieur Foyer a évoqué, au début de sont propos, avec un contresens de courtoisie, l’ombre d’Antigone. » ; la remarque de Pierre Bas n’entraîne aucune remarque ; l’assaut livré par Albert Liogier entraîne l’indignation, puis elle sombre face au rire.

 Enfin, comme par contamination, des insultes fusent entre députés engagés dans le débat. En voici quelques exemples.

26 novembre. « Il n’y a rien de plus hypocrite que ce que vous dites ! » (Guy Ducoloné à Roger Chinaud) ; « en matière d’hypocrisie vous êtes, certes, maître, Monsieur Ducoloné. » (réponse)

27 novembre. « Jésuite ! » (Maurice Blanc à Michel Debré) ; M. Pierre Joxe [aux ennemis du projet de loi] : les « pires réactionnaires ».

 Le projet de loi est mis aux voix le 28 novembre après 25 heures de débat. Il est adopté (479 votants, 473 suffrages exprimés. Majorité absolue : 237. Pour l’adoption : 284. Contre l’adoption : 189)

En seconde lecture (19 décembre), la majorité du 28 novembre se confirme. (485 votants, 480 suffrages exprimés. Majorité absolue : 241. Pour l’adoption : 288. Contre l’adoption : 192). La loi du 17 janvier sur l’IVG paraît au Journal officiel du 18.