Milner, Aragon, 1940
Sous le titre « Et si la France n’était plus un grand pays» Jean-Claude Milner est interrogé sur Marianne au sujet de son livre : « Considérations sur la France ». Je ne l’ai pas lu et vu mes retards de lecture je ne le lirai pas. Donc je propose juste une observation à partir de la première question.
« Marianne : Vous insistez sur l’effondrement de juin 194o, une de défaite dont nous paraissons incapables de nous relever. A propos de 1940, vous parlez de «honte» et de «faute». Là se trouverait la scène primitive d'une névrose typiquement française ?
Jean-Claude Milner : La France a connu quantité de défaites. Mais, en 1940, il y a un phénomène nouveau : à la faute militaire dénoncée par de Gaulle, le 18 juin, s’ajoute la honte politique d'avoir vu des élus républicains voter majoritairement la fin de la République en sachant bien ce qui allait suivre, ou du moins en n’en écartant pas la possibilité : les lois raciales, l'abandon des principes sur lesquels la IIIe République avait été fondée. Si cette honte fait césure dans l'histoire de la nation, c'est parce qu’elle n’a jamais pu être regardée en face. D'un certain point de vue, c'est par un tour de prestidigitateur que de Gaulle a plaqué son honorable figure sur cette honte. Cela dit, il est tout à fait clair que nous assistons aujourd'hui à la fin de la séquence gaulliste qui a commencé avec la sécession de 1940, s'est constituée politiquement en 1945-1946, a été mise sous le boisseau sous la IVe République, a repris en 1958, s'est arrêtée sous sa forme militante avec l'arrivée de Giscard au pouvoir mais a continué avec les partis qui s'en réclamaient. »
Le hasard a fait que mon précédent message portait sur la réaction en direct d’Aragon face à la dite débâcle de 1940. Si à Londres De Gaulle kidnappait la défaite à son compte, dans le pays c’était le sauve qui peut pour vivre avec. Donc Aragon, en poète, s’invente comme sauveur, sous l’effet d’une coïncidence, le troubadour Arnaud Daniel subitement promu au grade de créateur de la France ou du moins, de SA France, qui comme une famille recomposée faisait suite à un divorce.
La fascination actuelle pour l’Allemagne (d'où ARTE) est-elle une névrose née en 1940 ? Face au pays réunifié redevant un géant y compris sur la scène politique (sur la scène économique c’était dit-on une évidence) la France, elle, au contraire, serait entrée en décadence ?
Pourquoi la question d’un pays serait-elle celle de sa grandeur ?
Aragon apporte là aussi sa réponse : la France fut grande quand elle fabriquait l’Europe.
Je ne suis pas du genre à sous-estimer l’importance des poètes et écrivains pour la constitution des nations (les exemples sont nombreux) mais l’Europe que je retiens est celle décrite par le catalan Josep Fontana[1] qui n’oublie en rien «le miroir courtois» mais qui n’offre pas pour autant un portrait magique.
Le fait que Macron ferme le cycle gaulliste (voir article ancien) devrai inciter non à poser la question nationale par rapport au passé, mais par rapport à l'avenir.Quelle France dans quelle Europe ?Les deux points ont toujours été liés et devraient être tenus loin des questions de "grandeur" ou de non, du pays !
J-P Damaggio