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Vie de La Brochure
19 septembre 2017

Quand le peuple est nu

Je retombe sur cet article de 2009 au moment où la naissance du Parti de Gauche relance le débat sur la fonction du mot "gauche". Je n'ai rien à enlever ou ajouter. J-P Damaggio 

 

J’ai lu et relu le travail essentiel réalisé par Denis Collin sur la notion de gauche devenue inutilisable droite/gauche catégories inutilisables.

Je souhaite apporter mon éclairage à cette question décisive pour tout mouvement désirant mettre à mal le capitalisme. Avant d’en arriver à l’actualité, retour sur la phase historique qui nous a conduit à l’endroit où nous sommes.

 La gauche conquérante

Depuis la révolution française, la gauche, c’est le costard que le peuple a pu se fabriquer, jour après jour, pour se PRESENTER dignement sur la scène sociale. Cette «gauche» a d’abord eu lieu en France, puis petit à petit a gagné le monde entier (au même rythme que l’instauration du système métrique), ce qui a conféré à notre pays une image originale dans la sphère révolutionnaire internationale. Il n’existe donc de peuple qu’en lien dialectique avec les représentants du peuple. Le peuple sociologique et le peuple nationaliste sont deux des négations astucieuses du peuple citoyen.

Depuis 1789, le peuple est souvent revenu à la charge et en particulier en 1848 avec le mode de scrutin comme passeport, pour découvrir que le suffrage universel ne transformait pas automatiquement sa domination numérique (le peuple sociologique) en domination politique (voir sur ce site l’article de René Merle). Il suffisait alors, pensa-t-il, d’allier le droit à de justes conditions de vote (la pédagogie politique par l’organisation politique) avec le combat social (les syndicats) pour enfin arriver à la victoire. Dans cette alliance, on découvrit chez certains, l’idée que le combat social pouvait prendre la place directrice, quand les «représentants», eux, s’accrochaient à ce rôle, alors que pour certains la classe ouvrière devenait l’avant-garde d’un peuple trop divers.

Tout ceci s’appelait de temps en temps «la gauche», une gauche vivante par ses PROPRES expériences, une gauche où le peuple restait l’acteur central du phénomène, aussi bien pour la droite qui construisait sa stratégie contre la gauche et ses représentants, que pour la gauche qui savait que «naturellement», elle avait pour elle le sens de l’histoire.

Ceci étant, en terme de vocabulaire, «la gauche» ne semble apparaître réellement qu’au 20ème siècle et encore sous sa forme plurielle : «les gauches» avec la victoire du «cartel des gauches» en 1924. Avec sa lutte pour «l’union de la gauche», c’est paradoxalement le PCF qui fit plus que tout autre parti, pour la notion de gauche, afin d’éviter l’isolement politique, après 1947.

 La gauche écrasée

En conséquence, si la gauche est D’ABORD vue comme le costard du peuple, quand elle est écrasée, le peuple l'est nettement plus écrasé que ses représentants qui, tout au long de l’histoire, montrèrent par certains reclassés, qu’ils pouvaient se reconvertir.

Hier le roi était nu, et voici qu’à présent, avec la crise politique, c’est au peuple à se geler. Si le peuple n’existe pas sans ses représentants, ses représentants eux prirent leur «indépendance» par rapport au peuple ! Par quel incroyable retournement ?

L’histoire étant davantage sous le contrôle des dominés que des dominants, le mérite du succès de l’opération revient en premier lieu aux oligarchies. La culpabilité des représentants du peuple tient au fait de n’avoir su ni anticiper la stratégie de l’adversaire, ni la contrer ensuite.

La victoire écrasante des maîtres du monde fut annoncée par quelques signes en 1979. Aux USA Reagan préparait son arrivée au pouvoir (même sans investiture des Républicains, il avait été le troisième candidat en 1976, faisant élire le démocrate Carter), la révolution iranienne annonçait l’ère d’une autre face des révolutions conservatrices, et l’intervention de l’URSS en Afghanistan signait une page de sa mort. Dix ans après, en 1989, des foules allemandes crièrent « nous sommes le peuple » et l’édifice soviétique s’effondrait. La social-démocratie crut qu’elle tenait sa revanche sur le «communisme» or sans lui, elle ne pouvait que tomber dans les bras des élites.

Le peuple représenté par «le petit père des peuples» n’avait plus de représentants à l’Est, et le peuple de l’Ouest, représenté par Mitterrand, n’était pas mieux doté, même s’il avait eu l’occasion de moins souffrir. Un sursaut était-il possible ? En tirant les leçons des échecs des deux expériences, la gauche allait peut-être se refaire une existence car le peuple avait encore un maillot de bain. Les années 90 annoncèrent le retour de la «vraie gauche» avec de multiples efforts comme par exemple celui d’Anicet Le Pors, « Pendant la mue, le serpent est aveugle » publié en 1993 chez Albin Michel, en prévision d’une liste aux Européennes avec Jean-Pierre Chevènement. Aujourd’hui, le constat est clair : le serpent est mort. Faute de représentants, le peuple semble avoir disparu au moment où, par le salariat, tout indique qu’il s’est unifié ! A moins que cette disparition politique du peuple n’ait été indispensable au développement du salariat, par les forces dominantes ?

 Quel autre clivage que gauche/droite ?

Je me retrouve donc d’accord avec Denis Collin, la notion de gauche est devenue théoriquement inutilisable du fait même des «révolutions» permanentes imposées par le capitalisme en mouvement. Mais par quoi la remplacer ? Quel clivage ?

Les propositions de Denis Collin sont les suivantes : en revenir à l’opposition prolétaires / bourgeois ou à celle peuple / grands. Concrètement, peut-on en appeler à la création d’un Parti des prolétaires ? Quant au Parti du peuple, comme Denis Collin, je ne crains pas le «populisme» qu’il peut alimenter même si, un lecteur l’ayant fait observer, Nicolas Sarkozy, adepte de la fin du clivage droite/gauche, occupe le terrain du populisme. Simplement, à la différence des forces dominantes qui existent par elles-mêmes (vu leur poids économique), je continue de penser que le peuple ne peut exister directement, mais qu’il a toujours besoin de représentants.

Si, même écrasée, la gauche garde sa «notoriété» c’est que le terme reste très pratique, et faute d’un autre largement adopté, on est obligé de faire avec d’autant que le génie des oligarchies consiste à avoir cessé tout combat contre le peuple pour se contenter de l’ignorer. Admirez le tableau : le peuple, avec la gauche, a tenté de travailler à la CONNAISSANCE. En face, à présent, tout est fait pour fabriquer de l’IGNORANCE. Les Maîtres fabriquèrent les mots « Croquants », « Sans-culottes » et tant d’autres, pour dénigrer le peuple ou une partie du peuple. Celui-ci s’empara des mots, les retourna à son avantage, et en fit son drapeau. Plongé une fois de plus dans les interrogatoires policiers de 1851, j’ai vérifié que les insurgés sont désignés du mot « socialiste », ils sont accusés d’être membre d’un « parti socialiste », termes qui étaient loin de leurs préoccupations de l’heure même s’ils utilisaient le terme de « démoc-socs » pour dire « démocrates-socialistes » avec une préférence pour « démocrates ». Bref, l’adversaire aida involontairement le peuple à se définir. Cette phase est finie. Au contraire, l’adversaire se précipite pour dénaturer toute nouveau clivage.

 Pour remplacer le clivage gauche/droite, autres propositions insatisfaisantes :

- la terminologie « écolos » contre productiviste : elle a le mérite de se situer sur le point crucial de la production, tout en projetant une vision globale de l’avenir, malheureusement elle n’existe que par un clivage en son sein entre écologie de droite ou de gauche, même si certains pensent qu’il n’y a de combat écologiste authentique qu’à gauche. L’écologie est devenue un fond de commerce très partagé.

- la terminologie « alter ». Pour une part, je m’inscris dans cette mouvance que le capitalisme récupère chaque matin avec ses propres « alters » plus convainquant que les « alters » de gauche dont le mépris voire l’ignorance envers le peuple, sont parfois aussi grands que ceux fabriqués par les élites ! L’alter-mondialisme devient alors, avec Lula à Davos, une caution de plus du mondialisme ! Par exemple, je conteste radicalement l’idée courante chez les « alters » que la révolution sociale commence d’abord par la révolution personnelle. « Eteignez le robinet d’eau quand vous vous brossez les dents, et déjà vous faites un pas en avant ! » Il s’agit de maintenir la confusion, insupportable à mes yeux, entre conscience personnelle et conscience politique dans le but d’en rajouter sur la destruction de la conscience politique. Il s’agit de culpabiliser le peuple… qui le mérite bien, pensent plus ou moins tant de stratèges !

- la terminologie humaniste (qui deviendra l'humain d'abord) : Le système dominant, après la consommation de la nature, puis la consommation de l’homme par l’homme, pousse à présent l’homme à se consommer lui-même. Face à cette auto-destruction de l’homme, comme garantie finale et certaine de la destruction du peuple, « l’humanisme » est un recours, mais le « parti humaniste » existe déjà, c’est une secte qui comme toutes les sectes conforte le système en place, par les impasses vers où sont poussés les adeptes.

- la terminologie Croissance/décroissance. Elle comporte les mêmes impasses que les précédentes où une fois de plus le clivage droite/gauche joue son rôle. Je m’inscris dans la décroissance mais je combats radicalement celle de Serge Latouche, le gourou prêt à lancer le « Vive la crise » de 2009, après le « vive la crise » de 1983 cher à Yves Montand.

- la terminologie par le Travail face au Capital. Je pense que de toutes les terminologies citées, c’est celle dans laquelle le peuple trouverait matière à se donner des représentants, et il y aurait gloire à être membre du Parti du Travail ou Parti des Travailleurs. Mais le « travail » suppose une redéfinition.

- la terminologie solidarité/égoïsme : c’est le terme retenu par Québec Solidaire, le petit parti québécois qui a obtenu un élu en 2008. Face à la montée de la charité (si hier la gauche avait l’histoire pour elle, aujourd’hui ce sont les cléricaux qui sont dans le « sens » de l’histoire), la référence à la solidarité peut faire clivage.

Si j’avais une opinion à donner, je plaiderai pour le clivage archaïque/moderniste. Chacun aura déjà pu mesurer que je pousse loin l’archaïsme.

Dans ce débat, la dénomination Parti de la Gauche de J-L Mélenchon, ne me pose pas problème, par contre c’est la façon dont le choix s’est fait. En posant le terme comme une évidence de départ, et non comme un pis-aller à l’arrivée, le congrès fondateur de ce parti a fait l’économie d’un débat qui lui aurait évité de recommencer les années 90. Or, l’échec des années 90 autour de Chevènement, Fiterman, Anicet Le Pors, Pierre Juquin et d’autres, ne fut pas une somme d’échecs personnels mais la preuve d’échecs stratégiques. Et la non remise en cause de la notion de « gauche » avec la question du type d’alliances qui en découle, s’inscrit au cœur des échecs. Jusqu’à quand les impasses seront-elles à l’ordre du jour ?

25-01-2009 Jean-Paul Damaggio

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