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Vie de La Brochure
27 septembre 2017

Napoléon Poggiague, Marseille, René Cabanes

Né le 18 juin 1879 à Agen (Lot-et-Garonne), mort le 23 février 1945 à Bordeaux (Gironde) René Cabannes a beaucoup marqué Raoul Verfeuil. Je savais qu'il avait écrit ses souvenirs dans un livre introuvable mais il est paru en feuilleton dans Le Populaire à la fin de 1931. Je retiens ce témoignage d'autant plus surprenant qu'en dehors de cette référence je n'ai trouvé rien sur le personnage évoqué. J-P Damaggio

 

Le Populaire lundi 28 septembre

POIGNEE DE SOUVENIRS par René CABANNES

Napoléon Poggiague

VI

Marseille. Qui n'a pas vu la Cannebière, à la tombée du jour alors que le soleil mourant irradie de mille feux les eaux mouvantes du vieux port, s'est privé d'un des plus beaux spectacles de la vie. Je ne connais pas de foule plus vivante, plus pittoresque que cette foule marseillaise en mouvement perpétuel, entraînant dans ses remous sans brusquerie, les échantillons les plus représentatifs de toutes les races du monde.

Arrêtez-vous un instant à la terrasse d'un des grands cafés de la Cannebière, et vous ne tarderez pas de voir arriver solennel, magnifique, de grande allure, Napoléon Poggiague, descendant de Théodore, roi des Corses. Il s'installe, salue de la main et consulte le journal du jour. Napoléon est socialiste. Il l'est depuis bien longtemps et ne s'en cache pas. Il fut de l'état-major extrêmement réduit qui accueillit Jules Guesde lorsqu'il vint pour la première fois à Marseille. C'est Bron, cheminot aujourd'hui disparu et lui qui composaient sa garde du corps. Il prête à Guesde d'ailleurs le propos suivant. Comme on lui demandait dans une réunion publique ce qu'il pensait de Carnaud qui venait de quitter le Parti Ouvrier Français pour organiser une dissidence, Guesde répondit: « Citoyens, quand je voyage, j'emporte avec moi une valise, mais je ne fais pas suivre les bois de justice. »

Poggiague est un homme admirablement organisé pour la vie. Il l'aime, et les présents qu'elle offre il les apprécie au delà de toute mesure. Son sourire lumineux qui révèle en lui la joie intérieure et le parfait équilibre de ses forces en témoignent de façon certaine. Mais Napoléon Poggiague, n'est pas seulement au seuil de la vieillesse un beau-foyer de résistance physique, il est aussi un causeur étincelant en compagnie duquel, on passe des heures agréables. Ecoutez-le, faites cercle autour de ses propos et vous ne plaindrez pas votre temps.

Tour à tour sentimentale, humoristique, pleine d'une verve endiablée sa conversation est un véritable feu d'artifice. Sur un ton solennel, il vous déclarera par exemple que dans son village natal il fut élevé et éduqué par un instituteur qui ne savait ni lire, ni écrire. A dix-huit ans, il partit pour Paris, sans argent et sans pardessus, alors que l'on était au mois de janvier. On a beau avoir le sang chaud d'un Corse authentique, cela ne suffit pas pour vous réchauffer. Aussi, avisant sur un trottoir le poêle allumé d'une blanchisseuse il s'approche de lui avec une bienveillance touchante. La propriétaire, une brave femme comme on en trouve de nombreuses parmi les populations pauvres de la capitale l'invitât à s'asseoir chez elle et le retint à déjeuner. Au départ, elle glissa dans sa main une pièce de dix francs. Les pauvres sont la providence du pauvre. Poggiague n'a jamais oublié la brave vieille, la bonne blanchisseuse de Montmartre. Dans les jours d'opulence ou de détresse, chaque fois que son souvenir vint à son esprit il expédia à sa bienfaitrice sous forme de présents divers, l'hommage de sa reconnaissance, et cela jusqu'à la veille de sa mort.

Lorsqu'il était maire socialiste de sa ville natale, Valle-di-Mezzana, il reçut un jour la visite du vieux curé. Ce dernier venait l'entretenir de réparations à entreprendre dans l'église. "Monsieur Poggiague, disait le vieux curé, je connais vos sentiments. Néanmoins je me permets de solliciter de vous un secours destiné à la restauration de cette vieille église pleine de souvenirs qui vous sont chers. N'oubliez pas M. Poggiague que vous y avez été porté sur ses fonts baptismaux, et que c'est encore sous ses voutes que vous avez communié pour la première fois." "Monsieur le curé je sais tout cela. Voyez, j'allais me mettre à table, veuillez donc je vous prie me faire l'honneur de partager avec moi ce frugal repas".

Le curé accepta. A sa sortie de chez Poggiague, sur la place du village, il rencontra un de ses paroissiens littéralement courroucé. "Comment Monsieur le curé, vous avez accepté l'hospitalité et l'argent de ce mécréant, de cet ennemi de la religion, mais c'est une chose incompréhensible de votre part." "Àh, vous croyez, dit le curé à son interlocuteur. Ecoutez mon cher, si j'étais allé déjeuner chez vous les poches pleines, je suis presque certain qu'à l'heure actuelle elles seraient vides. Avec Poggiague c'est tout de même le contraire."

Au régiment, forte tête, on le casse de son grade et on l'expédie aux compagnies de discipline. Un beau matin il fait envoyer à ses compatriotes de Valle-di-Mezzana une carte de visite ainsi rédigée: Napoléon Poggiague, attaché au ministère de la Guerre. Les femmes sur le seuil des portes commentant la bonne nouvelle couvraient d'éloges le jeune Napoléon. "Nous l'avions toujours prédit, disaient certaines d'entre elles, que ce petit si dégourdi, si intelligent ferait son chemin".

Dans une autre circonstance, ayant pris la gérance d'un établissement sur la place Vendôme, établissement qui ne tarda pas d'ailleurs à fermer ses portes, Poggiague rencontrant un de ses amis qui s'informait de sa déconvenue lui répondit sur un ton péremptoire: "Je m'en vais mon cher, car sur cette place il ne peut coexister deux Napoléons. Moi le plus jeune, je cède le pas à l'autre".

On n'en finirait pas, si l'on voulait raconter les exploits de Poggiague, sa vie mouvementée et curieuse, sans cesse traversée par la fraîcheur d'une gaîté juvénile, empreinte d'optimisme, de philosophie, de confiance illimitée dans les décisions du Destin. Ce que l'on ne s'explique pas, c'est que les romanciers qui écrivent sur la Corse et ses mœurs et qui se donnent un mal infini pour faire agir et parler ses bandits, ne s'arrêtent pas à Marseille pour interviewer Poggiague, l'ami de Romanetti. A lui seul, il peut fournir de la matière riche, variée, curieuse, de quoi meubler toute une bibliothèque.

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