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Vie de La Brochure
1 octobre 2017

Borges face à Montalban : le football

borges

Pour ce dialogue imaginaire en date de l’an 2000, les deux hommes ont accepté de s’asseoir face à face autour d’une table nommée amour. Ils ne sont absolument pas de la même génération l’un étant né en 1889 et l’autre cinquante ans après en 1939.

—Si je vous demande qui vous aimez le plus du peuple et des livres, je connais la réponse, déclare Montalban.

—Je ne vous savez pas aussi superficiel !

—L’essentiel c’est ce qui se cache derrière les livres et peut-être y-a-t-il le peuple ?

—Les livres sont l’emballage et le peuple aussi...

—Pour enjoliver l’histoire, les histoires ?

—Vous êtes trop un enfant de la grande histoire, celle de la défaite des Républicains espagnols !

Là Montalban s’étonna. Borges aurait-il pris la peine d’étudier son parcours ? Puis Borges ajouta :

—Venons-en au fait qui nous réunit : pourquoi parler du 25 juin 1978 ? Parce que vous aimez le football et moi pas ?

—C’était la finale du Mundial à Buenos Aires ! Et vous avez invité à un débat dans votre bibliothèque.

—« Le football est populaire parce que la stupidité est populaire. »

—L’amour est populaire parce que la vie est populaire ?

—Vous qui voulez la révolution, vous êtes mieux placé que moi pour savoir que les jeux sont les outils des puissants pour l’aliénation du peuple !

—Là n’est pas la seule question : je pense surtout à celle de la solitude contre celle de la communion.

Chacun des deux hommes conservaient un ton calme, un sourire amusé et une distance calculée. Ils savaient parfaitement qu’ils bavardaient pour rien mais puisqu’il fallait une réponse…

—L’écrivain est seul quand il écrit et quand il lit. Je cultive cette solitude mais parfois j’ai envie de communier avec le peuple, je vais au stade, précise Montalban.

—Astucieux…

—Encore plus aujourd’hui qu’hier, et encore moins que demain, le football est devenu un marché, une mafia, une arme du nationalisme surtout ici en Amérique latine mais chez nous aussi, les Catalans, pourtant l’homme qui marque un but reste un poète, rendu célèbre par la télévision où le geste repasse jusqu’à saturation.

—Vous confirmez mon diagnostic mais l’addiction est telle que vous ne pouvez y échapper. D’écrivain vous devenez écrit par le football !

—Le 25 juin 1978 vous avez préféré débattre de l’immortalité. Votre immortalité ?

La question est tombée comme une guillotine mais Borges ne s’est pas laissé démonter :

—Pas la mienne mais celle de mes livres. Mes livres sont immortels ! Pas Maradona !

—Je ne suis pas un animal domestiqué par les plaisirs et les jeux chers à tous les empires. Dans le peuple qui crie sa joie devant un but, il existe plusieurs peuples. Votre haine du football n’est pas votre haine de la stupidité, mais celle du peuple qui vous réduisez à la stupidité !

—Je sais tous les efforts de l’Argentin Jorge Valdano pour donner au football des lettres de noblesse littéraire. Il n’arrive pas à la cheville d’Albert Camus qui a déjà tant fait sur ce point. Ils peuvent décorer l’enveloppe avec génie, ça restera une enveloppe.

—Peut-être votre art de l’énumération, de l’accumulation, en clair de l’infini qui porte vers la quête d’immortalité, vous cache la découverte actuelle : nous vivons dans un monde fini.

—D’un monde linéaire nous serions passés à un monde cyclique. Vous voulez dire ainsi que dans le football, ce qui m’ennuie le plus c’est la fin annoncée par avance. Beau thème d’échange pour une autre fois.

J-P Damaggio

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