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Vie de La Brochure
28 octobre 2017

Bouchard et le Minnesota

ojibwés

Parmi les textes de Serge Bouchard je retiens celui-ci qui nous rappelle ce qu’est le Minnesota où à la vue des moyennes de température on comprend que les lieux aient tant plus aux Canadiens-français. A Saint-Paul pour Carnaval c’est un défilé de sculptures de glace… J-P Damaggio

Bouchard et le Minnesota

 .....

« C'est à ce raciste méprisable [John A. Macdonald] qu'on veut donner le titre de père du Canada moderne.

 Or, en voici une, en sa mémoire et en son déshonneur, une belle histoire de Chiens et de Renards. Jean-Baptiste Faribault est né à Berthier, au Bas-Canada, en 1775. Fils de notaire, il reçut une belle éducation. Son père le destinait au monde des affaires, mais le jeune Jean-Baptiste rêvait plutôt de devenir marin et de faire le tour du monde. Il pratiqua le commerce jusqu'en 1799, se conformant aux ambitions paternelles, puis, trouvant le moyen de satisfaire sa soif d'aventure tout en faisant de bonnes affaires, il prit la route de l'ouest, celle des Pays-d'en-Haut : il allait se lancer dans la traite des fourrures. Il travailla d'abord pour la Compagnie du Nord-Ouest des Écossais de Montréal, ensuite il devint traiteur indépendant dans le grand Ohio, opérant parfois avec l'American Fur Company. Il transita par le poste de Michillimakinac avant de se retrouver au portage Chicagou (Kankakee) durant les années 1800, ces temps glorieux de l'expédition de Meriwether Lewis et de William Clark. À Chicago, il se familiarisa avec la culture des Potaouatomis et apprit leur langue, qui est de souche algonquienne. Il fraternisa aussi avec les Sacs, les Miamis et les Outagamis. À cette époque, il a certainement connu les familles Viau, Grignon, Beaubien et Langlade, représentantes des grands clans métis de l'Illinois et du Wisconsin, chacune appartenant à un réseau complexe de mariages au sein de toutes les nations amérindiennes de ce coin de pays.

images

Vers 1810, on retrouve Jean-Baptiste à Prairie du Chien, parmi les Ojibwés, mais aussi parmi les Sioux ouinibagos (Dakotas medawanktons). Ajoutant des cordes à son arc multiculturel, il apprend à parler la langue sioux et il la parle très bien. Il épouse une femme de la nation, une Métisse nommée Pélagie Ainse, avec laquelle il aura huit enfants métis. À cette époque, ses relations avec les Ouinibagos lui assurant un bel avantage sur ses concurrents américains, ses affaires sont prospères. En plus de faire la traite des fourrures dans les hautes terres du Mississippi, il est associé avec Julien Dubuque dans le commerce du plomb sur le marché de Saint-Louis. La guerre de 1812 vient perturber ses opérations. Il refuse de rallier les forces britanniques, préférant rester dans le camp des Américains. La paix revenue, il s'établit encore plus à l'ouest, à Mendota, dans ce territoire qui va devenir l'État du Minnesota, sur le site de la future ville de Saint-Paul.

Jean-Baptiste Faribault est à présent un illustre citoyen, riche et respecté, un homme éduqué qui parle français, anglais, algonquin, sioux, et qui fréquente aussi bien Dieu que Manitou et Wakan-Tanka. Il sera le patriarche d'une grande lignée métisse dans l'Ouest. Son fils Alexandre, un bel homme au teint foncé, se mariera comme son père avec une femme sioux et deviendra un homme politique éminent dans le pays. Crédible auprès des Américains comme auprès des Sioux, il sera interprète et négociateur de paix. Il fondera une ville, Faribault, à quatre-vingts kilomètres au sud de Minneapolis—Saint-Paul.

J'ai devant moi une photographie incroyable de cette famille : le père, le fils, le petit-fils, l'histoire en une seule image d'un Canadien français qui se transforme en Sioux, et ce Sioux engendrera, une génération plus tard, les traits d'une toute nouvelle nation. La photo date de 1850, on y aperçoit Jean-Baptiste Faribault, l'aïeul, alors âgé de soixante-quinze ans. Voici donc un homme du XVIIIe siècle, un explorateur, un passeur culturel, un créateur de mondes qui avait probablement connu le coureur de bois Beaudette, lequel donna aussi son nom à une petite ville du Minnesota. Ce Beaudette avait-il déjà pris un verre de whisky à la taverne de Pierre Parent, le borgne dit OEil de cochon, dont le sobriquet avait inspiré le nom d'un trou perdu au confluent de la rivière Minnesota et du fleuve Mississippi : Pig's Eye, qu'un prêtre catholique, par souci de morale chrétienne, allait rebaptiser Saint-Paul ? Et que dire de tous ces toponymes, le lac Qui Parle, le lac Pépin, le comté de Mille Lacs, la traverse des Sioux, la rivière Roseau, la rivière Pomme de Terre, que dire de tout l'héritage franco-canadien du Minnesota d'aujourd'hui ? Minnesota est un mot sioux-lakota qui se traduit par « le petit brouillard blanc qui monte de la rivière ». C'est la mémoire des hommes libres, les fantômes de tous ces esprits entreprenants, c'est leur soif d'aventure qui s’évapore dans l’air du temps.

Le destin des Faribault a croisé celui des Sioux lakotas, il a croisé aussi celui des Noirs américains, esclaves et affranchis. Le vieux Faribault a certainement connu Jean-Baptiste Pointe du Sable, le fier mulâtre francophone, fils d'un Canadien français et d'une femme originaire de Saint-Domingue, qui fonda Chicago. Et peut-être aussi George Bonga, le Noir libre et fort éduqué qui avait vécu à Montréal et qui fut une figure légendaire dans la traite des fourrures parmi les Ojibwés du Wisconsin

blason

et du Minnesota. Il a sans doute vu passer la plupart des premiers colons francophones de la région, les Hippolyte Dupuis, Joseph Laflèche, Henri Picotte, Toussaint Charbonneau, peut-être même Gabriel Franchère ? Allez savoir. Tous mes amis camionneurs qui sillonnez les routes du Minnesota, rappelez-vous que la devise de cet État américain est L'Étoile du Nord, en français sur le blason.

 

John A. Macdonald détestait tous les Faribault de ce monde. Leur descendance résultait à ses yeux d'un croisement entre des chiens et des renards. Il les méprisait et souhaitait les voir disparaître de la surface de la terre au profit de bons colons blancs, protestants et anglophones. Contre le rêve aryen de ce triste sire se dressaient les histoires de tous ces précurseurs de l'Ouest, du Minnesota à la Saskatchewan, en passant par le Dakota, et de Saint-Boniface à Edmonton, et de la Colombie-Britannique jusqu'au grand Oregon, l'écho de leurs chants résonnant le long du beau fleuve Columbia. Cent cinquante ans plus tard, notre premier ministre Stephen Harper, digne successeur de Mac-donald, était loin de retenir cette mémoire, encore plus de la célébrer."

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