Bayer face à Montalban : L’Argentine

Pour ce dialogue imaginaire en date de l’an 2006, les deux hommes ont accepté de s’asseoir face à face autour d’une table nommée Argentine. Ils sont presque de la même génération l’un étant né en 1927 et l’autre onze ans après en 1939.

—Vous savez que si j’ai accepté de dialoguer avec vous ce n'est pas après avoir lu vos échanges avec Borges, mais parce que vous avez inventé une rencontre entre moi et vos deux héros ? déclare Bayer.

—Je ne pouvais faire moins en les envoyant en Argentine !

—Bouvard et Pécuchet étaient alors loin de Buenos Aires !

—Certains disent que vous avez toujours été loin de l’Argentine et proche de l'Allemagne ?

Là Bayer s’étonna mais ne se laissa pas démonter.

—Ce jugement est celui des responsables de mon exil, de ceux qui sont coupables de tant de crimes ! Et vous en savez un bout là-dessus. Mais revenons à ma rencontre avec Bouvard et Pécuchet ! Quand j’ai lu dans Milenio la conclusion de leur voyage je me suis maudit de ne pas les avoir obligés à rester avec moi, en Argentine !

—Osvaldo Bayer le nostalgique ! L’homme qui a des regrets !

—Des regrets, moi ? L’éternel vaincu ! En cela je suis comme tous les Argentins !

—Pourquoi les Argentins seraient des vaincus ?

Chacun des deux hommes conservaient un ton calme, une mine  amusée et une distance calculée. Ils savaient parfaitement qu’ils bavardaient pour rien mais puisqu’il fallait une réponse…

—Pace que les Indigènes y sont des vaincus, parce que les gauchos y sont des vaincus, parce que la Gauche y est vaincue etc. Voilà pourquoi Maradona y est un Dieu : en tant qu’Argentin il a tout perdu mais à jouer à Naples, en Italie, il a tout gagné ! Une revanche venue d'ailleurs !

—Le Mexique, le Pérou ont eu leurs dynasties avant l’arrivée des Espagnols. Pas l’Argentine qui possédait pourtant tous moyens de briller. Osvaldo vous n’allez pas me dire que l’absence de royaume est preuve de défaites ?

—L’anarchistes que je suis devenu ne connait que le peuple debout mais il constate que debout il ne l’est pas resté longtemps !

—Quand Bouvard et Pécuchet sont venus frapper à la porte de votre camping-car, juste avant Mendoza, vous avez deviné qu’ils étaient aussi des vaincus en fuite ?

—Des égarés en fuite mais vaincus je ne savais pas.

—Ils ont aimé vos livres et Biscuter a même demandé à Pepe un peu de correction en évitant de rappeler sa manie de les brûler.

—Oui et justement je pensais que vous deviez rencontrer plutôt Ernesto Sabato.

—Je suis plutôt du genre à penser à l'autre Osvaldo, Osvaldo Soriano.

—Je te le dis Montalban, que des vaincus, que des vaincus ! Sauf Borges.

J-P Damaggio