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Vie de La Brochure
14 novembre 2017

Le Montalbanais Myrens au Sillon

Le député socialiste Myrens sera accusé d'avoir trahi son parti en s'alliant avec les catholiques afin d'obtenir leurs voix. En fait il était allié avec l'aile gauche du catholicisme comme le montre cet texte du Sillon, publié en 1908 dans le journal : La décadence du Sillon d'Emmanuel Barbier. Je rejoins ici le débat sur la Guerre d'Espagne et le cas Bergamin. Après le texte du Sillon, le journal radical qui se réjouit de la sanction du Congrès socialiste contre Myrens qui finalement ne pourra pas se représenter comme député. J-P Damaggio

 Myrens parle au Sillon

La parole est à Myrens. Une longue salve d'applaudissements accueille son apparition à la tribune. Le socialisme, commence Myrens, poursuit son œuvre d'éducation et d'organisation de la classe ouvrière. Sûr de sa méthode et de sou but, il ne craint pas la discussion publique.

On continue à traiter d'utopies irréalisables les solutions que nous donnons au problème social, et cela ne nous étonne pas. Pour les hommes de leur époque, tous les novateurs ont été des utopistes. Utopiste, Copernic, détruisant le système de Ptoléméc ; utopiste Galilée, affirmant que la terre tourne ; utopiste, Papin, rêvant de soumettre l'industrie à la Puissance de la vapeur ; utopistes ceux qui créèrent les premiers chemins de fer et affirmèrent que dans quelques années on pourrait, par ce moyen, traverser la France et l'Europe, alors que M. Thiers affirmait que les chemins de fer ne seraient jamais que des jouets d'enfants. Et cependant, pour éviter des utopies, les socialistes se tiennent toujours sur le terrain économique.

Myrens affirme que, depuis trois semaines, il est venu trois fois discuter avec des adversaires politiques et que c'est la première fois qu'il se trouve en présence d'hommes qui étudient les faits économiques et apportent ici une thèse économique et politique. Le Sillon ne nie pas le problème social.

Le problème social existe-t-il dans l'industrie, le commerce, l'agriculture ? La concentration capitaliste a-telle rendu quelques hommes maîtres du marché du monde ? La situation va-t-elle empirant de jour en jour ? Que faut-il faire ?

La bourgeoisie hautaine, dressée sur son coffre-fort, piédestal de la finance, affirme que c'est elle qui, depuis un siècle, a créé la production. C'est à elle que l'on doit tous les bienfaits de la civilisation, Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes, puisque les capitalistes font vivre les ouvriers. La bourgeoisie ne dit pas, et pour cause, que c'est la force de travail ouvrière qui a créé toutes les richesses, elle ne dit pas qu'elle a dépouillé les savants et les inventeurs pour s'enrichir de leurs découvertes. Elle ne dit pas que la société capitaliste considère comme sacrés les millions, produits de l'agiotage et du vol, parce que propriété matérielle individuelle, tandis que la propriété intellectuelle n'est pas protégée contre la rapacité des grands manieurs d'argent. Elle ne dit pas non plus, cette bourgeoisie, que les œuvres littéraires, ces produits de l'intelligence humaine sont la proie du capitalisme, puisqu'elles tombent, au bout de quelques années, dans le domaine public.

Pour la bourgeoisie, l'ouvrier moderne est condamné au salariat à perpétuité.

Pendant ce remarquable exposé do l'exploitation capitaliste, les bourgeois ont tenté une vague obstruction, vite brisée par les applaudissements nourris et enthousiastes des socialistes et des sillonnistes.

Le Sillon, au contraire, poursuit Myrens, ne nie pas le problème social. Il l'étudié, non seulement au point de vue moral, mais au point de vue économique. Il reconnaît la nécessité de l'organisation syndicale pour lutter contre le patronat. Le citoyen Renard, tout à l'heure, rappelait la parole de Marx : l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. Mais après avoir donné au mal social les mêmes causes que les socialistes, le Sillon n'ose pas aller jusqu'à la solution logique et complète en affirmant la nécessité de l'expropriation capitaliste et la reprise par les travailleurs organisés de tous les instruments de production et d'échange.

Qu'importe : l'œuvre du Sillon est une œuvre qui, fatalement, tournera au profit du socialisme. Les sillonnistes peuvent parler dans les milieux chrétiens où les militants socialistes n'ont pas accès et ne seraient pas écoutés, parce que libres-penseurs. Et lorsque les ouvriers catholiques connaitront les questions économiques, ils se rendront compte de la nécessité de l'expropriation capitaliste et viendront au socialisme. La partie négative : résignation, croyance en un au-delà où ceux qui auront le plus souffert seront les plus heureux, obéissance passive, etc., empêche les travailleurs de relever la tête et de trouver en eux l'énergie nécessaire pour détrôner le capital. La résignation et la croyance au paradis tuent en eux l'esprit de révolte qui est au fond du cœur de tous les opprimés.

La partie positive comprend la fraternité humaine et l'amour. Cette partie, nous la revendiquons avec les chrétiens, mais au lieu d'aimer, comme eux, l'humanité par l'amour de Dieu, nous l'aimons par amour d'elle-même.

S'adressant alors aux prêtres du Sillon, Myrens, dans une envolée qui vas soulever les ovations enthousiastes et répétées des trois quarts de la salle, les engage à travailler à l'émancipation des ouvriers. Ils n'ont pas besoin pour cela d'abandonner leur foi, il leur suffit du revenir à la pure doctrine du christianisme primitif. Rappelez sans cesse au bourgeois cette parole de saint Paul : « Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger. » Suivez l'exemple des Pères de l'Eglise qui ont flétri l'odieux métier de prêteur d'argent et ne reconnaissent pas au capital le droit de porter intérêt. Rappelez-leur la parole de saint Grégoire de Nysse : «Celui qui nommerait vol ou parricide l'inique inventeur de l'intérêt du capital ne serait pas très éloigné de la vérité; qu'importe, en effet, que vous vous rendiez maître du bien d'autrui en escaladant les murs ou en tuant les passants ou bien que vous acquerriez ce qui ne vous appartient pas par l'effet impitoyable du prêt ». Vous serez ainsi, prêtres du Sillon, dans la tradition chrétienne. Ne craignez pas de tonner contre les riches et de leur dire « qu'ils n'entreront pas dans le royaume des cieux ». Vous imiterez aussi saint Jean Chrysostome se dressant du haut de la chaire contre la hautaine et libertine impératrice Eudoxie pour lui reprocher sa vie déréglée.

Et vous, citoyens du Sillon, travaillez toujours dans vos milieux chrétiens. Etudiez les faits économiques et lorsque vous comprendrez la nécessité de l'expropriation capitaliste, vous viendrez au socialisme. Nous ne vous demanderons pas alors qui vous êtes ni d'où vous venez : l'essentiel est qu'au jour de la Révolution sociale nous nous retrouvions côte à côte, luttant contre le capital, du même côté de la barricade.

Quand les longs applaudissements de la salle presque tout entière ont cessé, M. Renard reprend la parole. Il remercie Myrens de sa courtoisie et de sa loyauté. Il se félicite de voir que les socialistes ont eux aussi, de hautes préoccupations morales. Il les engage à poursuivre de leur côté la tâche que le Sillon poursuit dans les milieux chrétiens. Seuls, des points d'avenir nous divisent, mais le Sillon ne croit pas non plus à l'éternité du patronat. Quant à l'expropriation, ce ne peut être l'œuvre d'aujourd'hui. Nul ne peut préjuger de l'avenir. Les problèmes de l'heure présente suffisent au Sillon. Il est engagé dans la voie de l'émancipation du travail, en préconisant que cette émancipation sera l'œuvre des travailleurs qui doivent s'organiser dans les syndicats, mais il ne peut savoir ce qu'il y a au bout de cette voie, ni même s'il y aura expropriation et révolution. Il désire une solution pacifique. En faisant sa tâche actuelle, il ne se refuse pas aux tâches possibles de l'avenir.

 La Lanterne jeudi 29 janvier 1913

Socialisme Républicain

Le congrès d'Amiens approuve la fédération qui a condamné Myrens et se déclare partisan de la discipline républicaine.

Le congrès d'Amiens n'aime pas les «malélus», cela est certain. Il a fait à M.Myrens, comme à M. Compère-Morel, un accueil assez frais. Mais le congrès, semble-t-il, n'aime pas non plus mettre trop d'obstacles sur la route électorale des élus du parti. Et il a trouvé le moyen élégant de ne pas condamner le «malélu » de Boulogne, tout en donnant raison à la Fédération du Pas-de-Calais, qui n'a pas voulu ratifier la candidature de celui-ci : L'attitude de la Fédération a été approuvée par la grosse majorité des congressistes, mais, en même temps, cette Fédération a été invitée à statuer à nouveau sur le cas du citoyen Myrens. Dirons-nous que cette solution est exempte de toute ambiguïté ? Ce serait difficile. On aurait aimé plus de crânerie, plus de netteté. Car le cléricalisme ne peut pas être une affaire privée pour un parti qui, comme le parti socialiste est, avant tout, un parti républicain. M. Myrens pouvait, à la rigueur, être absous, si, élu avec un appoint de droite, il avait, par la suite, fait la politique laïque de son parti. On sait qu'au contraire, il a servi la cause cléricale en maintes circonstances, et, notamment, à propos des subventions aux écoles libres de Boulogne. Il peut bien soutenir, comme il l'a fait, qu'il se refuse à voir un réactionnaire dans l'ouvrier qui va à la messe. Il n'empêchera pas cependant que l'ouvrier qui va à la messe est plus souvent dans le syndicat jaune que dans le rouge, si ce n'est toujours. Ce n'est chez lui qu'un artifice verbal, que de vouloir ignorer cette aveuglante réalité. Et contre cet artifice, qui tend à dénaturer grossièrement l'esprit même du socialisme au profit de tractations inavouables, le congrès aurait agi sagement en se prononçant en toute sincérité. ", Il n'avait qu'à trancher une question de procédure, nous dit-on. Fort bien. Mais il fallait alors approuver la Fédération et s'en tenir là. Si celle-ci maintient demain sa première décision, c'est elle qui sera dans la bonne voie. Malgré tout, l'on n'est plus au temps où le guesdisme répudiait l'anticléricalisme. Et demain, en appliquant loyalement la discipline républicaine, conformément à la motion qu'a adoptée le congrès, le parti socialiste empêchera les cas semblables à celui de M. Myrens de se reproduire et fera œuvre de grand parti démocratique.

 

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