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Vie de La Brochure
3 janvier 2018

Bernard et Alban Lubat

alban lubat

 Ce clin d'œil du dessinateur Prada à l'Estaminet montre bien Lubat au synthétiseur et puis le père Lubat à l'accordéon au premier plan avec ses amis d l'orhestre populaire. Des vieux qui se déchaînent pour que vive la fête. J-P Damaggio

 Le Monde Samedi 20 aôut 1994

17 ème Uzeste Festival A la mémoire d'Alban Lubat

Un des derniers grands festivals de jazz de la saison. Toujours aussi atypique en dépit de sa renommée, qui a largement dépassé les limites de sa région. Cette année, il rend hommage à Alban Lubat, son fondateur.

UZESTE, de notre envoyé spécial

L'échange a eu lieu le mercredi 17 août, juste avant la moitié du festival, vers 22 heures. Au moment d'entrer sur scènçai pour «le grand match d'improvivation libre musicale et dérivés », Bernard Lubat a lancé à Michel Portal : « Qu'est-ce qu'on joue ? » Portal aurait répondu : « Joue ce que tu vaux. »

Au pied du lavoir, le lendemain, sous un crachin bien incapable de dissuader 150 pékins d'assister, de participer, aux entretiens d'Uzeste (thème : « Oralité, écriture et improvisation musicale : quels rapports, quels conflits ? — création musicale et industrie musicale : quelle dialectique, quel avenir ? »), Lubat s'est expliqué.

Ici on s'explique. On s'explique avec mauvaise foi, avec passion, en détournant les questions, mais on s'explique. Les rencontres annuelles fomentées par Bernard Lubat dans son village natal sont un lieu d'explication. A la loyale ou pas. Ici, on ne joue pas le jeu, on affronte. Si le « grand match d'improvisation libre » tourne court, sans la moindre préparation, sans code préétabli, avec son équipe de rêve (il y a Portal et Lubat, mais aussi Jacques Di Donato et Vinko Globokar, et les sélectionnés permanents de la Compagnie Lubat), si cette improvisation collective tourne à l'expansion égoïste, ne prend pas, on ne prend pas de gants, on s'explique devant le lavoir. Lubat : « Ce que vous avez vu, ce sont des compositeurs -nous sommes tous plus ou moins compositeurs — décomposés. Voilà. Voilà pourquoi je vais sur scène. Je suis incapable de m'imaginer dans la position du public. J'ai réussi, à force, à venir sur scène pour échapper à la place du public. Je l'ai échappé belle. Hier, si j'avais été le public de ce qu'on a fait, je ne sais pas, j'aurais insulté, je serais monté sur scène, j'aurais tout cassé... D'un autre côté, si on ne joue pas à ça, je ne joue plus. Ça ne m'intéresse pas. Je ne veux pas jouer pour ceux que j'appelle les purs de la feuille.. »

 Tous les festivals sont peu ou prou des lieux de consommation culturelle, plus ou moins des branches du tourisme ou des cartes de promotion régionale. Tous. Certains, les plus cyniques, le sont et veulent passer pour ce qu'ils ne sont pas. Ils voudraient en prime qu'on croie à leur vocation, à leur artisterie, à leur idée du jazz. Lubat : «-J'ai arrêté la vie de tournées de musicien professionnel quand j'ai compris qu'on me volait ma vie de musicien. Je n'avais pas aimé le jazz pour ça. Je ne veux plus jouer au «jazz français » simplement parce qu'il y a un petit marché du disque. Je veux aller à ma mesure au bout du jeu ; donc, si l'improvisation tourne court un soir, ça m'intéresse. Hier, au lieu d'une rencontre, j'ai vu une collection d'êtres juxtaposés — l'être total, celui qui ne peut avancer sa vérité que s'il n'a pas son double à 2 centimètres à côté de lui. En réalité, cette question d'improvisation libre se heurte au droit, aux droits d'auteur, mais aussi aux devoirs des auteurs, au droit du public. Hier j'ai raté des passes, je n'ai pas fait circuler la musique, les autres non plus. »

 C'est par une espèce d'honnêteté que l'improvisation libre a tourné court. Les onze musiciens sur scène avaient tous les capacités de récupérer l'affaire : avec un final éclatant par exemple, ou un coup de bandonéon, une salsa du démon, un rock-acide-jazz-danse gascon, ou dans un simple accès de lyrisme. Ils n'ont pas pu. Ils n'ont pas voulu. C'est Uzeste. C'est un épisode d'Uzeste. C'est un épisode d'une journée d'Uzeste — il y en a sept cette année et beaucoup tout au long de l'année, '

 Entre l'impréparation et le génie spontané

Ce même mercredi, Lubat et André Minvielle ont donné une lecture lumineuse des grands thèmes du be-bop. Une lecture drôle, exacte, savante et décontractée, où la langue gasconne trouve des ressources que le français n'a pas. Bernard Lubat va bientôt publier ses concerts en solo (piano). Il est le seul à prendre le be-bop, de l'intérieur. Les jeunes pianistes aujourd'hui le jouent comme un style ou un répertoire. Lubat est encore dans la proximité de Kenny Clarke, qu'il a connu.

Un peu plus tard dans l'après-midi, Jacques Di Donato, professeur au conservatoire de Lyon, soliste international, improvisateur délivré de tout scrupule, et Michel Portal interprètent très librement, très strictement, avec une gaieté très juvénile, Mozart, Mendelssohn, Stravinski et au rappel, de manière très inattendue, Hermeto Pascoal. Une heure après, c'est Vinko Globokar à L'Estaminet, le bistrot que tenait Alban Lubat, le père, qui se lance dans un solo théâtral : « Mon corps est devenu un trombone. »

Deux fois par jour l'orchestre local Lous Pinhadas est rejoint par Lubat à la batterie (il rappelle à chaque fois qu'il est l'un des meilleurs batteurs européens) et par tous ceux qui veulent donner un «apéro swing agricole, rural et gascon ». Nocturnement, Laure Dutilheul, directrice artistique de la fête, comédienne, dit Artaud par les fenêtres de l'école. Les éclairages, les feux, les lampions, les fusées (Patrick Auzier) sont une réussite. Le match annoncé a peut-être tourné court. Jamais concert discutable n'aura, été l'occasion d'une telle discussion. On en parle encore.

 Uzeste est un lieu de parole, On y remet tout en question, le rôle, du public, la place des musiciens, le prix des places, et l'on y danse au milieu de la nuit. Spectacle dédié à Jacques Prévert ici, improvisation gasconne de Manciet là, la parole circule sous les pins. La question se pose. Le public ? Il est dedans-dehors. Celui qui ne fait que passer paie le prix fort. Uzeste musical est allergique au consumérisme plat. «L'en-chantier transe danse musiques » va ressusciter, avec la présence de danseurs, les questions de fond, comme le match de la veille, ou, l'an passé, une évocation de John Cage qui a laissé des traces... Entre l'impréparation et le génie spontané, ça tangue. Au milieu des turbulences, beaucoup de plages : les sols sauvages que l'on rencontre dans la forêt au pas du promeneur, le quartette irrésistible de Di Donato, évacuation totale des états d'âme et du malheur du musicien, bientôt Eric Lelann, Louis Sclavis, le Massilia Sound System, la transartistique d'Uzeste (« spectacle baroque » l'Amoche) sur fond d'accordéon Marc Perrone, ce magicien des chants basques (Achiary).

 Uzeste musical est indiscutahle. C'est pourquoi on ne cesse d'y discuter. La dispute au sens philosophique est une de ces formes de vie. Sa date a l'air chaque année choisie pour mettre en perspective tous les autres festivals de l'été, ces fêtes souvent serviles . Ici au moins on se refuse à jouer candidement le jeu; à jouer le jeu sans le savoir, à se laisser prendre sans comprendre, à se laisser aller sans jouir. Probablement y a-t-il là un piège supplémentaire. On le sait : « Le beau n'est pas notre territoire, dit Achiary, on est au-delà. » On pourrait appliquer la phrase à l'émotion. Uzeste Musical est au-delà et en tout cas jamais dans l'émotionnel. Par pudeur sans doute, ce qui fait qu'on n'y parle jamais d'amitié au sens philosophique toujours, alors qu'on y vient des six coins de l'Hexagone pour cela. Par pudeur certainement, comme Lous Pinhadas évoque sous les chênes un midi pluvieux la silhouette d'Alban Lubat le Père, accordéoniste de bistrot, militant, sincère, disparu cet hiver sans qu'Uzeste disparaisse avec lui:

FRANCIS MARMANDE

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