En 68 Jeannette Vermeersch démissionne du CC du PCF

J’aurai préféré publier la lettre que Jeannette Vermeersch envoya à Waldeck Rochet et que l’Humanité publia le 23 octobre 1968 mais je ne l’ai pas et je ne l’ai pas trouvée sur internet. François Hincker en fait une présentation honnête dans son livre de 1981, Le parti communiste au carrefour, que je reprends ci-dessous, livre qu’à cette occasion je viens de relire et que je trouve plus fabuleux aujourd’hui qu’hier. Il m’arriva de le faire venir à Montauban au moment du bicentenaire de la révolution française, sujet qu’il a tant étudié. J’ai découvert un mauvais orateur mais une réflexion approfondie. Il était venu en voisin puisqu’il résidait beaucoup dans l’Aveyron où il décèda en 1998. Né en 1937, adhérent du PCF en 1952, il a été longtemps aux première loges de l’organisation jusqu’en 1979. JPD

François Hincker Le parti communiste au carrefour, essai sur quinze ans de son histoire 1965-1981, Albin Michel p. 83-84

« On sait que Jeannette Vermeersch, épouse de Maurice Thorez, incarnait avec éclat le premier courant. Les arguments qu'elle développa lors de la session du Comité Central, au cours de laquelle elle démissionna de toutes responsabilités (octobre 1968), rencontraient un écho chez bien des communistes, même près de deux mois après l'intervention et la prise de position du Parti. Elle insistait sur les insuffisances de la direction Dubcek du Parti communiste tchécoslovaque, alors que Waldeck Rochet soulignait les responsabilités de la direction dogmatique d'avant 1968. Elle critiquait tout particulièrement le pluralisme politique où s'engageait la Tchécoslovaquie : allait-on confier, par exemple, des secrets militaires à des hommes désormais membres du gouvernement et naguère dirigeants de partis « bourgeois »(c’est-à-dire sociaux-démocrates et elle citait nommément Mitterrand...) ? Elle appréciait la situation de la Tchécoslovaquie presque exclusivement au niveau économique, ignorant les autres dimensions de la réalité, en particulier la force de l'aspiration à la liberté. Elle posait enfin en postulat que l'U.R.S.S. ne peut avoir d'autres intérêts que ceux des peuples. Cela consonnait avec toute une conception de la révolution et du socialisme : on prend le pouvoir, alors il y a forcément beaucoup de gens qui sont hostiles ou réticents, alors comment faire autrement que «serrer la vis» ? Aucun allié des communistes n’est vraiment sûr, le libre jeu politique ne peut donc que conduire à la restauration du capitalisme.

Combien ai-je entendu dans des comités de section, d’autres réunions, des camarades qui toute leur vie avaient travaillé en pleine pâte, avaient «été au charbon» dans les luttes, avaient montré pendant la guerre qu'ils étaient prêts à mourir pour la liberté et l'indépendance nationale, trouver normal que là-bas, au nom du socialisme, on «serrât la vis» !

Tel est le peuple communiste. Tous ceux qui étaient allés en Tchécoslovaquie les années précédentes et qui voulaient bien ouvrir les yeux, étaient revenus avec la même impression : le Parti et l'Etat s'isolaient, la direction Novotny ne s'en souciait pas. Mais ces camarades n'en démordaient point : c'est la faute aux influences extérieures, aux «impérialistes», à Radio-Free-Europa; tout ce que vous me dites c'est peut-être vrai si vous regardez les paysans, les intellectuels, les anciens bourgeois, ça ne peut pas être le fait des ouvriers ; donc c’est normal, c'est la dictature du prolétariat, et puis on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs... Ces camarades ne connaissaient guère les arguments de Jeannette Vermeersch, ils ne lisaient pas les brochures que les services soviétiques envoyaient complaisamment aux cadres communistes en qui ils avaient quelque espoir. Non, ils parlaient avec leur cœur. Tel est le peuple communiste. »