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Vie de La Brochure
27 juillet 2018

Padura en l’an 2000

Je vais entreprendre la reproduction d'une série d'articles au sujet de Padura. Aujourd'hui Libération en l'an 2000. J-P Damaggio

Pour Libération

RECUEILLI PAR EDOUARD WAINTROP, le 20/1/2000

La Havane envoyé spécial

L'automne est tombé sur Cuba il y a des années. Et Mario Conde, flic et héros imaginé par Leonardo Padura, n'a connu que cette saison des illusions mortes comme les feuilles, des rêves brisés. Quand le livre débute, Conde a d'ailleurs l'intention de démissionner de la police, écœuré par l'éviction de son patron, un commissaire honnête tombé avec d'autres, pourris ou pas, dans une purge sans queue ni tête. Sous la pression de son supérieur déchu, Conde accepte pourtant d'enquêter sur un assassinat: le meurtre horrifique et quasi rituel d'un ancien responsable de l'économie cubaine qui a fui l'île il y a longtemps avant d'y revenir avec autorisation spéciale.

Conde se met à fouiller dans le passé de son cadavre et replonge ainsi dans l'époque des confiscations, des nationalisations et des grosses magouilles que cette situation a permises. Mais ce n'est pas cette enquête pourtant révélatrice qui intéresse Padura. Ce qui fait de son récit une ballade d'une langueur toute caraïbe, c'est le malaise de Mario et de ses contemporains, sa bande de copains, des trentenaires qui n'ont connu que les revers de la médaille révolutionnaire.

Cet après-midi de décembre, à la sortie d'une réunion de l'Union des écrivains, Leonardo Padura-Fuentes trimballe son blues dur comme de la colère rentrée à l'Hôtel National à La Havane.

 Comment êtes-vous devenu écrivain de romans policiers?

J'étais critique de romans noirs. Ce sont mes lectures qui m'ont poussé à franchir le pas. Les bons romans comme les mauvais. Les mauvais m'ont poussé à essayer de faire mieux et les bons m'ont lancé un défi: essaie donc de faire aussi bien!

 Quels écrivains vous ont inspiré?

D'abord Raymond Chandler. Conde, mon héros, se retrouve souvent dans des situations chandlériennes. Par son engagement moral, c'est un parent de Philip Marlow. J'ai aimé d'autres écrivains : Dashiell Hammett évidemment, mais aussi Daniel Chavarria (1) auquel l'Automne à Cuba est dédié. Et surtout Manuel Vazquez Montalban. Le créateur de Pepe Carvalho est le premier grand auteur de romans noirs de langue espagnole, celui qui a vraiment introduit la rhétorique du genre dans notre littérature.

 Quand avez-vous écrit vos premiers romans?

J'ai commencé en 1990. Depuis douze ans, j'écrivais des critiques. J'étais très dur avec les auteurs de romans policiers cubains. Trop souvent, ils privilégiaient le «message politique» et bâclaient la narration. Leurs personnages étaient d'un manichéisme... J'ai écrit Pasado Perfecto, en essayant d'éviter les pièges que j'avais débusqués dans mes articles (2). Mon personnage, Mario Conde, m'y a aidé. Il est aux antipodes des personnages fonctionnels et vides qui pullulent dans ce genre de romans. C'est un flic alcoolique et pessimiste, avec un grand sens de l'éthique et un dévouement absolu à ses amis. Au travers de sa gueule de bois chronique, il a une vision qui est aussi la mienne de la réalité cubaine.

 Il a des idées politiques?

Il n'est ni de gauche ni de droite, il regarde et il voit des choses qui ne lui plaisent pas. Je ne me considère pas comme un grand écrivain, mais je suis un bon Cubain. Grâce au régime, j'ai fait des études universitaires en philologie, mais j'ai aussi fait la guerre en Angola. J'y ai même «fêté» mes 30 ans. En fait, j'ai connu les bonheurs et les malheurs d'être cubain. J'ai perçu les bénéfices et éprouvé les limites de la révolution. Je ne suis pas un dissident, mais je réclame à ce régime plus de liberté d'opinion. Dans les faits, je suis plus libre qu'autrefois. Il y a quelques années, je n'aurais pas pu vous dire tout cela. Seuls les Cubains qui restent ici peuvent parler de leurs frustrations et de leur souffrance. Mes livres sont aussi un engagement auprès de mes concitoyens. Je dois parler pour ceux qui n'en ont pas les moyens. C'est pourquoi la littérature élitiste ou d'avant-garde ne m'intéresse pas. En ce moment, notre littérature remplace le journalisme libre qui n'existe pas.

 Vous n'avez pas de problèmes pour vendre vos livres dans l'île ?

Mes livres s'y vendent bien. Dans certaines limites, entre 3 000 et 5 000 exemplaires. Je suis sûr qu'on pourrait en vendre plus, dix mille. Mais, depuis la rupture avec l'Europe de l'Est, il n'y a plus de papier ou presque. Quand un livre est publié, il y a rarement une deuxième édition et jamais une troisième. Sinon, je vendrais plus de romans. Mes lecteurs naturels sont ici. Quand ils me croisent, ils me demandent des nouvelles de Mario Conde comme on s'enquiert de la santé d'un copain.

 Vos romans vont-ils être adaptés au cinéma?

J'écris un scénario tiré de l'Automne à Cuba avec un réalisateur espagnol (Jaime Botella). Mais ce n'est pas facile. Fondamentalement, l'Automne à Cuba est un livre d'atmosphère

 (1)     Ecrivain uruguayen vivant à Cuba, auteur d'un Thé en Amazonie (Rivages). Dans l'Automne à Cuba, il y a un personnage d'aventurier trafiquant qui porte le nom de Chavarria.

(2)    Au début de cette année sort à La Havane un livre recueil des articles de Padura sur le roman policier.

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