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Vie de La Brochure
27 juillet 2018

Anne Wiazemsky de 68 à 98 dans l'Humanité

anne

Humanité 7 mai 1998

La longue marche de celle qui ne s’est jamais

prise pour ce qu’elle n’est pas

 Quelques dates d'Anne Wiazemsky

1966 : tourne dans « Au hasard Balthazar », de Robert Bresson.

1967: « la Chinoise », de Jean-Luc Godard, qui sera suivie de « One + One », « Vent d'est » et « Vladimir et Rosa ».

1968: « Théorème », de Pasolini, suivi de « Porcherie ».

1969: « la Semence de l'homme », de Marco Ferreri.

1985 : « Elle a passé tant d'heures sous les sunlights », de Philippe Garrel. « Rendez-vous », d'André Téchiné.

1988 : publie « Des filles bien élevées », chez Gallimard, suivi de « Mon beau navire » puis de « Marimé ».

1993 : obtient le Goncourt des lycéens avec « Canines ».

1996: « Hymnes à l'amour ».

1998: « Hymnes à l'amour » (deuxième volume).

 

IL y a d'autres apprêts à Saint-Germain-des-Prés. Au premier étage du Cafe de Flore, si chargé d'autrefois, flotte un demi-jour pluvieux et bien peu printanier. De Mai 68, on ne voit plus ni les pavés ni la plage. La pâleur rousse d'Anne Wiazemsky se détache doucement de la pénombre, comme du fond d'un couloir. « La Chinoise » de Jean-Luc Godard, c'était en 1967. Rien n'a changé de ce visage d'adolescente qui aligne, dans le film, des formules de garde rouge. Godard les lui souffle. Il veut « créer deux ou trois Vietnam au sein de l'empire hollywoodien». Il aime d'abord la jeune actrice au cinéma, dans «Au hasard Balthazar» de Robert Bresson. «Fruit d'un hasard», sourit celle qui était alors une studieuse élève du Collège Sainte-Marie et voulait devenir comédienne, mais sans envisager le cinéma, dont les figures féminines lui semblaient marquées d'un glamour trop lointain. Elle tombe amoureuse du septième art, de Godard, et réciproquement. Ils se marient. Elle est encore mineure et la presse à scandales, les torchons d'extrême droite roulent dans le caniveau les amours de «la petite fille de François Mauriac et du cinéaste gauchiste». Elle craint que la boue ne rejaillisse sur ce grand-père illustre «qui, dit-elle aujourd'hui, m'a toujours aidée à me tourner vers la vie, au contraire du conformisme. Il fait partie de mes repères et m'a toujours fait confiance. J'ai beaucoup tiré de sa personne intime. De lui, j'ai appris que «faire», c'est «bien faire».»

Femme en travail, Anne Wiazemsky se consacre depuis dix ans à la littérature. Elle a tourné avec de grands réalisateurs, joué au théâtre, et refuse de se pencher sur le passé, «parce que la création artistique est trop ramassée dans le présent». Pour évoquer Mai, pas de portrait chinois au futur antérieur, mais un «Je me souviens» à la manière de Perec : « De trois rencontres foudroyantes, Bresson, Godard et Pasolini. Un démarrage dont je ne saurais jamais si j'aurais pu le construire de mes mains »... « Des étudiants de Nanterre qui m'identifiaient à « la Chinoise ». Le surnom me courait après dans les manifestations »... « De la fascination, pour moi incompréhensible, qu'éprouvait Godard pour le marxisme-léninisme»... « De mon absence de vision sociale : ce que j'aimais, c'était le bordel»... «Du tournage de «la Bande à Bonnot» auquel je participais avec d'autres jeunes. Nous voulions la grève pour être « là où les choses se passaient »... « De notre déménagement avec Godard, en avril 68, de la place Beauvau à la rue Saint-Jacques. Nous brandissions nos passeports suisses pour regagner notre appartement au milieu des barrages de CRS »... « Des CRS que je ne n'ai jamais pu traiter de SS parce que cela me paraissait stupide et que j'avais conscience d'être une enfant gâtée»... « D'avoir déclamé : «Camarades étudiants et ouvriers, unissez-vous !» avec sincérité, même si mon plus grand remords est d'avoir mis si longtemps à comprendre ce qui se passait réellement en Union soviétique et d'avoir proclamé que j'étais «pour le bolchevisme contre ceux qui, comme Brejnev, le trahissaient». C'était de ma part tellement romantique et si futile »... « Je me souviens, en fait des trois années 1967, 1968 et 1969, au cours desquelles je ne me suis pas ennuyée une minute. Je me souviens de l'après-mai qui a mis tant de têtes à l'envers, dont la mienne. Je ne savais plus quoi penser de la vie, de mon métier, des hommes et des femmes... Je pense au temps perdu... »

MAI s'était étiré comme une queue de comète. Pas de grands bonds en avant pour la «Chinoise», mais d'exigeantes métamorphoses, des affirmations successives. Le temps perdu est aussi celui de l'innocence. Survient alors pour elle un sentiment de culpabilité, issu d'une chance précoce. Les doutes commencent à semer ce parcours d'étoile, qu'on accroche au zénith d'un moment d'histoire créant son propre mythe. Anne Wiazemsky décide qu'il lui faut « tout arrêter ou tout apprendre », et préfère l'option la plus difficile, «mais la plus exaltante». Et donc elle apprend, au cinéma avec Marco Ferreri ou Philippe Garrel, au théâtre où elle aime «vivre intensément avec des gens pendant quelques mois sans être mariée». Les paparazzi planqués sous son lit de jeune épouse l'ont vaccinée contre les aspects fâcheux de la notoriété. Née dans un milieu où l'on agitait des idées, dans une maison où l'on pouvait croiser Claudel sortant de la salle à manger, elle sait «qu'il est possible d'exercer un métier public sans devenir une personne publique».

Qu'on lui parle de sa discrétion, elle répond «orgueil», de son itinéraire sans concessions et elle soutient que «l'on est plus choisi qu'on ne choisit». Il en irait, dans cette veine, de la littérature comme du reste. Pourtant, lorsqu'elle a vu se matérialiser son premier livre, elle était «ivre de joie», ajoutant aussitôt n'avoir jamais pris la décision de devenir écrivain, «sinon j'aurais été écrasée par la charge». Là encore, Anne Wiazemsky semble surtout occupée à devenir ce qu'elle est. Littéraire incurable, elle souffrait déjà, dans «la Chinoise», d'avoir à conspuer Sartre et, lorsque le personnage qu'interprétait Jean-Pierre Léaud tirait sur Novalis, elle en était «crucifiée».

Ni symbole ni égérie, en ce temps de commémoration, elle affirme avec une détermination tranquille : «Je ne me suis jamais prise pour qui l'on me prenait. » Il ne faut lire là aucun reniement. Anne Wiazemsky accepte d'aimer, mais sans aligner de noms au bas d'un bilan comptable. Elle ne craint pas les rapprochements, mais semble doucement résolue à ne pas se laisser éloigner d'elle-même. Une longue marche, forcément.

DOMINIQUE WIDEMANN

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