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Vie de La Brochure
29 juillet 2018

1976, la victoire du Parti québécois par Robert Marteau

Sur la revue Esprit de mars 1977, Robert Marteau dit sa joie ressenti suite à la victoire du PQ en 1976 (lien ci-dessus). Une victoire emblématique d’une époque où les forces démocratiques étaient conquérantes. Emblématique pour le Québec, le Canada mais bien au-delà.

 Robert Marteau est un Français qui depuis 1956, écrit sur la revue Esprit où Camille Bourniquel l’engage suite à un poème sur la corrida dont Robert Marteau restera un admirateur. En 1972, à la suite d’un séminaire avec des peintres et des poètes québécois, il est invité à l’université de Montréal. Il s'installe alors à Montréal avec sa compagne. Il y demeure douze ans et prend la nationalité canadienne. Il travaille pour son ami Fernand Ouellette réalisateur à Radio-Canada, fait différents séjours, tant aux États-Unis qu’au Canada. JPD

Esprit Mars 1977

Le Québec

après deux siècles de funérailles

PAR ROBERT MARTEAU

Nous nous souviendrons que du quinze au seize novembre mil neuf cent soixante-seize la nuit fut blanche au Québec et que le soleil du seize s'est levé dans un ciel bleu sur une terre à peine poudrée de neige, dont quelques flocons agglomérés coiffaient les fruits rouges des sumacs. Après deux siècles de funérailles, nous avons connu ce qu'était la fête et ce que signifie, il était une fois. En mil neuf cent soixante-treize, la population canadienne française envoyait à son parlement une centaine de députés fédéralistes, les Québécois ne parvenant à y faire siéger que six des leurs. Je nomme, en ce cas au moins, Canadiens français les vaincus, les colonisés, les soumis, les malins, les chouayens ou vendus ; je nomme Québécois ceux qui ont halé dans l'ombre et jusqu'à ce jour l'orgueil de leur nation. Avec eux j'ai choisi de vivre. Ils m'ont accueilli : je leur en sais gré, et qu'ils m'aient donné part à l'incertitude, à l'espoir, au travail de chaque jour pour l'unique cause : l'indépendance. Lundi quinze novembre mil neuf cent soixante-seize, le vent de la liberté, qui est le seul vent de l'esprit, d'un bout à l'autre du Québec, d'Abitibi à la Côte-Nord, il s'est levé, et ce n'était pas un vent de violence, de haine et de ressentiment, mais un vent porteur de liesse et de parfums. Partout, en tous points du territoire, la communauté s'est ressaisie, s'est reconnue, déléguant sur l'éperon de Québec soixante-dix des siens.

A cause d'un épisodique règlement de comptes entre les royaumes de France et d'Angleterre, le peuple canadien, le peuple fondateur, d'abord s'était vu livré, ensuite s'était vu promis à la disparition par lente et progressive assimilation. Depuis deux siècles, cette visée demeure l'unique propos du colon anglo-saxon et de son affidé, le chouayen, ce Canadien français qui s'est associé à l'entreprise, dont il est à la fois la main forte et le paravent. A vouloir unifier le Canada par destruction (celle des Amérindiens) ou par assimilation (celle des fondateurs), l'Anglo-Saxon accomplit sa besogne de colon, ni plus ni moins. N'ayant réussi qu'à asservir le peuple canadien et à dégrader sa langue (au XVIIIe, la plus belle langue française), l'Anglo-Saxon démocratiquement recrute parmi les Canadiens français ceux-là qui sont prêts à couvrir et masquer le forfait afin qu'en douceur le Québec anéanti vienne s'insérer dans la mosaïque du grand et indivisible Canada.

En mil neuf cent soixante-dix, lorsque le Québec bouge, les gouvernants canadiens français de Québec demandent aux gouvernants canadiens français d'Ottawa d'expédier l'armée à Montréal. La loi des mesures de guerre est décrétée. Tout Québécois est suspect, les forces de l'ordre font irruption dans les maisons, des centaines de personnes sont arrêtées, encore aujourd'hui il en est en prison et en exil, témoins — grâce à Dieu, vivants —, et victimes de la déréliction où ils voyaient leur propre peuple sombrer. On promeut le bilinguisme. A qui va-t-il s'appliquer ? Aux gens du Québec, bien entendu, puisque ailleurs dans le grand Canada nul n'a rien à faire d'apprendre la seconde langue prétendue officielle : le français. A quoi peut tendre le bilinguisme institutionnel ? A rien d'autre qu'accélérer la corrosion de la langue française renfoncée depuis des siècles par l'occupant dans la gorge de ceux qui l'ont reçue de naissance. Il est clair que l'homogénéité linguistique, économique, politique d'un Canada indivisible ne peut s'effectuer qu'au prix de la liquidation du peuple québécois et canadien français. A la rigueur, on conserverait de cette nation quelques spécimens, vestiges et débris, comme c'est le cas dans les Provinces maritimes, pour le plus grand profit de l'artisanat folklorique associé au tourisme, à la gastronomie frelatée, à l'exploitation des parcs naturels et zoologiques.

Dans le grand Canada des colonisateurs, notre place ne saurait être autre que celle du mort. Collaborer à l'entreprise pancanadienne pour nous équivaut à poursuivre le creusage de notre propre tombe. Nous en retirer à tout prix est acte de salut et non point de séparation. Reproche-t-on à la proie de tout mettre en œuvre pour échapper au prédateur ? Ne vaut-il pas mieux pour elle, plutôt que se terrer, changer l'offense en offensive ! « Non aux séparatistes », c'était aux jours préélectoraux le cri de guerre, de défense et de mise en garde proféré par tout ce qu'il y a encore de défaitiste, colonisé, aliéné, vaincu, irresponsable, apeuré, vieux, assuré-vie au Canada d'expression française. Non aux séparatistes, non au séparatisme, non à la séparation. Mais qui donc nous a unis, et à qui et à quoi pour qu'on parle ainsi de séparer ? Y a-t-il eu un jour des noces, des festivités, un amour mutuel et réciproque, un élan de la chair, mis à part le corps à corps du champ d'Abraham ?

Et de toute façon les deux puissances affrontées à cette époque ne sont plus aujourd'hui dans le jeu où il y va de notre vie. Ah ! je comprends qu'ils n'étaient pas chauds ceux d'ici qu'on appelait à s'en aller mourir sur les plages laitières de la grasse Normandie. Eux, les sans-pays, les spoliés, les bastards, voilà-t-il pas qu'on leur demandait de voler au secours des deux mères patries, quand l'une leur avait mis le grappin dessus et quand l'autre les avait cédés avant décès.

Des siècles de dépendance, de servitude, d'humiliation, en un soir se trouvent effacés. Face au monde, ce peuple s'est dressé, enfin refusant de mourir dans le lit douillet du mépris auquel lui-même acquiesçait. Une page est tournée : je le sens, je le sais, j'en suis sûr. Le libre vent qui s'est levé sur les bords du beau fleuve, sur les rives du Saint-Laurent, sur le rivage de la mer atlantique, sur celui du lac Saint-Jean et sur la roche d'Abitibi, ce vent qui passe par le cœur, l’arbre et les bronches de chaque Québécois, ce vent va féconder la rude terre que foulaient et parcouraient les Princes du sang, les Princes légitimes, dont nous allons voir aussi renaître la noblesse. Je parle des Amérindiens saccagés par les dons des «armées du salut», aujourd'hui parqués, désœuvrés, protégés, secourus, achetant aux chasseurs l'alcool prohibé, leur livrant les filles à planter. De bonnes âmes canadiennes françaises tentent d'inoculer à nouveau la peur et s'emploient à ramener dans le rang ce peuple qu'elles sont prêtes à excuser d'avoir été victime d'un instant d'égarement. Ces bonnes gens de maison veulent rassurer leurs employeurs et maîtres, fournir au plus tôt des preuves de leur loyauté. Allons ! messieurs, vous savez bien que le Canada anglais vous méprise pour la basse besogne qui lui répugne et qu'il s'étonne qu'a sa place vous accomplissiez avec tant de zèle. Depuis cinq années, ne vous accuse-t-il pas d'avoir eu l'inconvenance d'envoyer l'armée contre votre propre nation ? N'est-ce pas affaire de gens serviles de devancer les vœux du maître, et de craindre toujours qu'on ne se précipite pas assez vite au devant de ses manies ? A-t-on vu quelque part, voit-on en quelque endroit l'Anglo-Saxon agir de la sorte, et connaît-on quelque lieu où il soit soumis ? Il a une tendance à se considérer l'exclusif propriétaire de la liberté, c'est vrai ; et c'est vrai qu'il ne place rien au-dessus et que pour cette raison il ne peut respecter ceux qui en font un objet de compromis. Imagine-t-on une nation anglo-québécoise coopérant à un grand Canada qui ne soit pas anglais et dont elle accepterait d'être la Cendrillon ? Il y a belle lurette qu'un Québec anglo-saxon serait un pays autonome, indépendant, qui parlerait au monde sans filtre et sans relais.

Cette fois la nation québécoise a conquis le pouvoir de se choisir et de choisir son destin. Les hommes qu'elle a élus, non plus que les électeurs, ne sont des aventuriers, mais bien les héritiers de la tradition et de la mémoire. Leurs ancêtres furent ceux-là qui toujours et au long des générations refusèrent de s'incliner devant le fait accompli, refusèrent qu'on les traitât en tribut du vaincu au vainqueur, qui ne plièrent ni devant les flatteries ni devant les menaces ; ils sont les fils charnels et spirituels des pionniers qu'on avait déportés, criblés, enfermés, branchés, après que les eut excommuniés une Eglise qui assurait l'occupant de la soumission d'un peuple qu'elle s'évertuait à transformer en troupeau. Un chant profond, une vague venant de loin et longtemps enfouie ont pu surgir des entrailles au gosier, et recréer la voix et retrouver la parole, présente preuve que dans le désespoir et l'agonie survit encore l'espérance. Agonique, désespéré, dans le chien et loup du joual et du bilinguisme sans langue, le poète défiguré gardait dans la fumée du boisseau quelques roses pour le cas que s'amorcerait cette marche à l'amour que son cœur annonçait contre toute raison. Or voici que le temps en est venu et que nous voilà les piétons sur le chemin, les haleurs d'un pays pareil à un cri qu'un bâillon refoula dans la gorge ; la neige sera blanche cette année, le présent commence et cela seul importe, ce don d'aujourd'hui.

Ce qui naît ici n'emprunte pas aux révolutions qui ont empli des baquets de sang et engraissé les Sibéries ; ce qui naît ici est de soi-même la reconnaissance en acte, et la résurrection que le ressentiment n'entache pas. La joie seule est dans les cœurs, le désir de rallier les esprits, et non pas la haine. Peu à peu, les âmes les plus timorées vont sentir la source et le vent laver les miasmes que trois siècles de colonie ont amassés. Les rusés, les malins, les compromis vont comprendre qu'il est quelque chose de meilleur que survivre de pourboires. Le craintif, l'hésitant sont en train de savoir qu'ils craignaient et hésitaient parce qu'en eux s'était infiltré le virus sournois de la soumission par quoi on se persuade qu'on est inapte à tout gouvernement comme à toute forme de responsabilité. Ceux-là, Canadiens français, qui s'exhibent à la tête de 1'Etat fédéral, ils ne sont pas sûrs d'eux et pour cela, selon les cas, tantôt on les voit s'aplatir, tantôt user de morgue et d'arrogance. Ils savent qu'ils ne sont pas à leur place et pour ça en remettent, surenchérissent, menacent, pavanent, citent Napoléon, le fameux maffioso.

Messieurs les Anglo-Canadiens, êtes-vous pas suffisamment évolués pour vous gouverner seuls et gouverner vous-mêmes ceux que vous assujettissez ? Que vous mettiez en votre capitale, sous prétexte de démocratie, vos mimes, c'est une feinte qui ne saurait tromper personne. D'ailleurs, votre nation, vous le savez, a sa claque de nous autres, les bastards et les frogs. Il est logique, normal que le loyaliste et la victorienne aigris trouvent compensation en se montrant du doigt la grenouille gonflée qui les imite en imitant le bœuf. Il est logique, normal, instinctif, naturel d'être méprisé lorsqu'on se prête au mépris et qu'on l'accepte. Le temps est venu de clarifier les choses. Messieurs les Anglo-Canadiens, puisque vos ancêtres n'ont pas consenti à liquider autrefois la nation canadienne française, espérant que le temps, faisant son œuvre, la dissoudrait et vous donnerait sous forme de débris dégradés une main-d'œuvre à bas prix ; puisque vous-mêmes répugnez à agir contre elle par la force et que vous avez considéré ignoble (sans noblesse pour le moins) le geste inconsidéré de vos serviteurs canadiens français envoyant contre leur propre peuple les soldats ; puisque vous voudriez mettre fin aux ragots qui courent sur votre compte, à savoir que vous êtes chauvins, racistes, ségrégationnistes et que la liberté individuelle n'a cours qu'en vos demeures ; puisque vous aimeriez que la nation canadienne anglaise soit une nation comme les autres et non pas un pays où on ne vient et dont on n'apprend la langue que pour servir, où on passe au plus vite, d'où on fuit au plus tôt parce qu'on s'y sent, comme en nulle autre terre, étranger ; puisque tout serait mieux si chacun jouait cartes sur table au lieu de camoufler un second jeu dans ses doublures ; puisque ça serait plus net d'avoir auprès de vous des gens que vous respecteriez, cessez de les avilir par le biais de la collaboration ; reprenez en main, vous-mêmes, votre propre destinée et laissez qu'à vos côtés vous honore de son libre destin le peuple noble et raffiné qu'ont trouvé sur ces terres les marins du commandant Wolf ; reprenez vos rênes et ne payez plus de cochers ; saisissez par les cheveux la chance aujourd'hui qui s'offre à vous et au Canada de contribuer à ce qu'une nation captive se retrouve telle qu'elle est au plus profond d'elle-même : libre, accueillante, affectueuse, éprise de paix et d'amour ; et, de surcroît, l'une des seules au monde à n'avoir de sang ni sur les mains ni sur sa bannière bleu de ciel que fleurit le lys des champs. Et qu'on ne nous rebatte plus les oreilles à propos d'une fédération ou d'une confédération qui confond volontairement, sciemment, hypocritement des provinces créées par artifice au gré de la colonisation avec une nation singulière.

Subsiste dans l'âme de beaucoup de Canadiens anglais la rancœur du loyaliste face à l'Indépendance des Etats-Unis. Faute de tradition, le Canadien anglais se réfugie volontiers dans le conservatisme et pour s'affirmer vante son aventure de colon avec la tendance à déverser sur les ethnies non saxonnes le ressentiment d'être lui-même un colonisé de son voisin du sud. Pour les demeurés réactionnaires d'un Canada français en voie de disparition, l'esprit loyaliste canadien anglais, lequel jadis a refusé la Révolution américaine, aujourd'hui encore s'affiche comme le meilleur garant contre ce communisme-épouvantail qu'on aime à brandir en prétendant qu'un libre Québec ouvrirait toute grande la porte au monstre. Evidemment, si le goût suicidaire qu'on a longtemps prêté au Canadien français voulait une dernière fois se donner libre cours, il suffirait qu'il se portât sur un modèle marxiste: alors le cher «mon oncle» du quarante-cinquième parallèle, en dessous de son chapeau étoilé aurait juste à éternuer pour que c'en soit fini des neiges d'antan et des lendemains qui chantent.

C'est, par une autre voie, un autre destin qui se propose au Québec, lequel d'ailleurs devrait se nommer Canada, son vrai nom, dont s'est emparé l'usurpateur. Le réveil de ce Canada délité, anesthésié par des siècles d'occupation et de promiscuité délétère, le réveil de cette nation dont on diagnostiquait la mort par la lèpre qui envahissait son langage, le réveil de ce peuple tellement humilié qu'il avait perdu conscience de son état, la résurrection de ce nouveau Lazare n'est pas fortuite, c'est une annonce, un signe pour tous les offensés que les temps reviennent de la jeunesse et de la fierté, de l'adolescence contre l'assurance-vie, de la diversité face à l'idéologie unificatrice, cette parodie meurtrière, diabolique, monstrueuse de l'Unité, de l'Universalité, de la Catholicité de l'Esprit. Face aux emprises impérialistes, les nations se lèvent, non point mues comme au siècle passé par le nationalisme mais cette fois animées du frémissement immémorial de leur fontaine que les Césars de toute trempe s'étaient employés à enfouir. Eh bien ! enfouie, l'onde a filtré à travers les strates de détritus et de cadavres entassés ; dans l'obscurité elle s'est d'elle-même nourrie, fécondant le germe, renouvelant la vie ; sous le boisseau activant la même et nouvelle lumière. Le réveil du Québec n'est pas suscité par le ressac de cette idéologie nationaliste que les cent cinquante dernières années ont vu resservir à la sauce capitaliste, stalinienne ou maoïste ; il accompagne ce qui vient, il s'accorde avec le présent qui est déjà parmi nous mais que peu voient parce qu'ils sont les prisonniers du peu de vue que leur mesure leurs maîtres, idéologues aveugles, instruments du déclin, qui exercent un sacerdoce inverti dont l'effet, s'il allait à ses fins, ne saurait qu'énucléer la matière même de l'âme.

Robert MARTEAU.

 

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