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Vie de La Brochure
27 octobre 2018

Retour sur Roda-Gil

roda-gil

Le hasard fait que trois coïncidences viennent de se croiser autour de Roda-Gil. Konopnicki en parle sur Marianne, Dominique Porté raconte une rencontre avec le poète dans le Lexique amoureux de Montauban, et je retrouve un article du même Konopnicki sur Marianne en 2004, preuve d’une fidélité réelle de l’auteur. Je trouve inutile le propos contre la formule «libéral-libertaire» qui n’empêche en rien de reconnaître des qualités aux libertaires authentiques. Etienne Roda-Gil est passé par le camp de Septfonds et comme tant d’autres placés là pour y travailler il a vécu dans ma commune de naissance. J-P Damaggio

 26 octobre 2018 / Marianne / 87

CE N'EST RIEN... ET C'EST BIEN

PAR GUY KONOPNICKI

Quand la politique se fait assommante, quand les idées sont écrasées de mauvais livres placés en tête des ventes, quand les romans s'abîment dans les courses meurtrières de l'automne, un film vient à point pour nous rendre un poète trop tôt disparu.

On l'appelait Roda, de Charlotte Silvera, arrive sur les écrans, sur quelques écrans puisqu'il ne s'agit jamais que d'un parolier, Etienne Roda-Gil. Bien sûr, on nommera poète tout auteur publié confidentiellement, parfois à son compte. On trouve même parfois quelques merveilles dans les bacs fourre-tout des librairies. Mais on dira qu'avec plus de 700 chansons, qui toutes trouvèrent leur interprète, Etienne Roda-Gil n'était qu'un parolier. Quand tant de génies des rentrées littéraires sombrent aussitôt dans l'oubli, Il neige sur le lac Majeur, écrit en 1972 pour Mort Schuman, demeure, comme cette tourterelle de Ce n'est rien, que chantait Julien Clerc un an plus tôt. Ce que l'on appelle la chanson française...

Mort Schuman, né à Brooklyn dans l'exil des juifs polonais, Etienne Roda-Gil, né en France dans un camp de réfugiés de la guerre d'Espagne. Une histoire de métèques, décidément, la chanson. De métèques français par leur amour de la langue, de ses sonorités et de ses rimes. Dans les années qui suivirent 1968, la mode intellectuelle commandait de causer du peuple et même de la culture populaire. Ce qui n'empêchait nullement de produire, comme ils disaient, du texte, sur un mode œuvre élitiste et un brin méprisant envers ce peuple qui préférait le rock et les chansons. Etienne Roda-Gil, laissant à d'autres les bavardages, écrivait des chansons, dont beaucoup furent populaires. Il n'était pas moins révolutionnaire que les dandys pérorant au Quartier latin. Il pouvait se mêler à toutes les polémiques de l'époque, en citant ses classiques, en se référant à la guerre d'Espagne, qu'il connaissait dans ses moindres détails.

Libertaire, vraiment, il semblait avoir vécu entre Louise Michel et Pierre Kropotkine, et s'il aimait tant la Cavalerie, c'était de chevaucher en rêve avec Nestor Makhno, l'anarchiste ukrainien, rayé de l'histoire par les rouges et les blancs. Mais ce fils d'ouvrier anarchiste assumait son histoire d'enfant d'immigrés, en refusant d'être muré dans la différence.

Le mot «libertaire», comme tant d'autres, se trouve aujourd'hui confisqué, ignominieusement associé en un oxymore au libéralisme. On se prétend libertaire, au chaud dans une vie dorée, en laissant généreusement aux pauvres la liberté de la soumission.

L'engagement libertaire reprend son sens quand parle Etienne Roda-Gil, dans le film de Charlotte Silvera. Quand des militants anarchistes évoquent fièrement les chansons qu'il écrivit pour eux. Pourtant, Roda écrivit, aussi, l'un de plus grands succès de Claude François, Alexandrie, chanson reprise dans toutes les boîtes et toutes les fêtes, partout dans le monde. Entendre Claude François évoquer Roda-Gil comme un poète difficile n'est pas le moindre des délices de ce film. Roda, lui, se définissait ironiquement comme un poète industriel. Il avait vécu une relation quasi exclusive avec Julien Clerc, il avait pansé les plaies de la rupture avec Mort Sçhuman. Après quoi, tout le monde voulait une chanson, un album écrit par Etienne Roda-Gil. Toutes les commandes ne se valaient pas. Il me souvient de son émotion lorsque Juliette Gréco lui demanda d'écrire pour elle, qui avait chanté Prévert, Queneau et même Jean-Paul Sartre, parolier méconnu de la Rue des Blancs-Manteaux. Nous vivons désormais dans un monde de posture. Les plateaux de quelques émissions distribuent les rôles, on y vient pour jouer le libertaire ou le réac, le végan ou le chasseur, nous sommes renvoyés à des origines, à des identités exclusives, par sexe, orientation sexuelle, génération, religion et même désormais par race. On somme la chanson elle-même de se faire identitaire, les genres doivent correspondre aux découpes de la société, quand le propre de la chanson est de réunir, d'être reprise bien au-delà du cercle de ses origines. Le film lui-même n'appartient pas au genre que l'on serait tenté de lui assigner, le documentaire. C'est une balade ou une ballade, une promenade dans l'histoire de la chanson ou, en redoublant la consonne centrale, à tire-d'aile, une ballade sur la parole d'Etienne Roda-Gil. Et cette parole nous fait tant de bien quand nous sommes écrasés par tant de conformisme et de mièvreries. 

On l'appelait Roda, de Charlotte Silvera. Sortie le 31 octobre. 

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