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Vie de La Brochure
8 novembre 2018

Le canal du Nicaragua au point mort

Sur ce blog nous avons souvent évoqué le fameux canal du Nicaragua. Le journal La Croix vient de faire le point sur un projet au point mort. J-P Damaggio

L'article de La Croix

Nicaragua : un canal inter-océanique, le rêve fou de Daniel Ortega

Renaud Risi (à Panama et Managua) le 07/11/2018

Le président du Nicaragua Daniel Ortega assure à qui veut l’entendre que son pays disposera, dans quelques années, de son canal inter-océanique. Une chimère qui divise à Managua et amuse au Panama

Le projet de canal est pour l’instant au point mort faute de financement.

Avec ses gratte-ciel et ses lumières scintillant au-dessus de la baie, la ville de Panama rappelle immanquablement sa grande sœur nord-américaine bien que latine Miami. Comme en Floride, de nombreux immeubles modernes aux larges fenêtres et aux balcons confortables s’élèvent en bord de mer, le long d’une avenue qui court les pieds dans l’eau. Si l’océan ici est pacifique, si la plage regarde le sud, la ville aux infrastructures d’acier et de béton récemment sorties du sol évoque le nord.

C’est que ces dernières années, la capitale panaméenne a connu un boom spectaculaire. Un boom artificiel, dopé aux combines et aux pots-de-vin ? Possible. Accusé de corruption et d’espionnage politique à grande échelle, Ricardo Martinelli, le président constructeur, au pouvoir de 2009 à 2014, a été arrêté l’an dernier à Miami où il s’était installé après avoir quitté le palais national. Menottes aux poignets, il a été extradé en juin vers son pays natal, où il attend son procès.

Pourtant, dans une Amérique centrale en proie aux turbulences, aux violences et aux mafias, le Panama fait des envieux. Son joyau ? Le célèbre canal qui fait du pays le trait d’union entre le Vieux monde et l’Asie depuis plus d’un siècle et lui assure des rentrées financières à faire tourner bien des têtes. Dans la nuit panaméenne, on distingue sur les eaux les lumières des bateaux patientant avant de pouvoir traverser l’isthme – en abandonnant au péage des centaines de millions de dollars à l’année.

À Managua, à 800 kilomètres à vol d’oiseau, Daniel Ortega, président contesté du Nicaragua, se voit lui aussi en bâtisseur pharaonique : il rêve de construire son canal inter-océanique. Situé plus au nord, il permettrait de gagner 800 kilomètres sur le trajet entre les deux côtes des États-Unis. Un changement de cap pour les porte-conteneurs, mais un changement de destin pour le deuxième pays le plus pauvre du continent, qui compte dans son ensemble moins d’immeubles qu’un pâté de maisons de la ville de Panama.

Un nouveau Singapour

« C’est une promesse faramineuse : celle de faire de notre pays un nouveau Singapour en dix ans », résume Manuel Ortega, directeur de l’Académie des sciences du Nicaragua à Managua. Les rentrées seraient colossales, à en croire le chef de l’État sandiniste. Rien que le chantier, avec ses 278 kilomètres de travées, serait une aubaine dans un pays où 45 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. À condition, toutefois, de trouver l’argent… que le Nicaragua n’a pas. « Il faut compter au moins 40 milliards de dollars pour les travaux, soit 4 fois le PIB national… Un doux rêve ! », lâche un diplomate en poste à Managua.

Quand un milliardaire chinois s’est intéressé au projet il y a quelques années, les portes du palais national se sont ouvertes en grand. Fortune faite dans les télécoms, Wang Jing a débarqué dans la capitale promettant non seulement un canal, mais aussi monts et merveilles – des investissements en milliards de dollars (des ports, des routes, des hôtels, etc.) et des emplois en milliers (50 000, dont 25 000 attribués à des travailleurs nicaraguayens, le reste à des étrangers).

Des travaux commencés en 2014

Le projet a foncé sur une voie express et, en juin 2013, l’Assemblée Nationale accordait au Hong Kong Nicaragua Canal Development Group (HKND) de Wang Jing une concession de cinquante ans, renouvelable, pour la construction, le développement et la gestion du canal. Les travaux, commencés le 22 décembre 2014. Ils devaient durer cinq ans pour, en 2020, une ouverture en fanfare – à en faire trembler le Panama.

Sur le papier, et sur une carte, le projet de Daniel Ortega et de son ami chinois n’est pas absurde : même s’il est plus large qu’au Panama, l’isthme centraméricain est étroit au Nicaragua. La nature, en outre, est une alliée : un cours d’eau, le fleuve San Juan, et un vaste lac – le troisième d’Amérique latine –, le lac Cocibolca, facilitent la tâche des ingénieurs.

Au XVIe siècle, les colonisateurs espagnols avaient déjà relevé cette géographie favorable pour voguer d’un océan à l’autre. Partis à la tête d’une expédition, Diego Machuca et Alonso Calero avaient, les premiers, attiré l’attention sur cette option. « Malgré cet avantage, 300 ans passèrent avant que cette idée ne soit prise en compte », écrivait en 2014 l’ancien ministre Emilio Alvarez Montalvan (1).

Au XIXe siècle, des Anglais, des Français, des Américains étudient à nouveau l’affaire. À partir de 1849, en pleine ruée vers l’or californien, l’homme d’affaires Cornelius Vanderbilt, baron du transport ferroviaire et maritime, planchera même douze ans sur le dossier, avant de jeter l’éponge. « Le Nicaragua a alors signé pas moins de dix traités avec les États-Unis, rejetés par le Sénat américain, avant la signature en 1914 du traité Chamorro-Bryan, par lequel Washington obtenait la possibilité de construire un canal, poursuivait Emilio Alvarez Montalvan. Ce n’est qu’un 1970, 56 ans plus tard, que ce traité fut aboli ».

Infortunes financières et réchauffement climatique

Ce rêve de plusieurs siècles serait-il, grâce à Daniel Ortega, sur le point de prendre forme ? Toujours pas… Car quatre ans après le premier coup de pelle, le projet est enlisé. La faute, d’abord, aux infortunes financières de Wang Jing, qui n’a plus aujourd’hui les reins aussi solides. La faute, ensuite, à la concurrence du Panama, qui a considérablement élargi la capacité de son canal en 2016.

Le réchauffement climatique change aussi la donne : la fonte des glaces libère chaque année un peu plus tôt le passage du nord-ouest, au nord du continent américain, rendant moins pertinent un deuxième canal en Amérique centrale. Selon la Nasa, cette voie, qui permet d’atteindre plus vite l’Asie, devrait être dégagée en toute saison à partir des années 2030-2035.

 

La faute, enfin, au réchauffement, diplomatique celui-là, entre Pékin et l’Amérique centrale. En juin 2017, après des décennies d’amitié avec Taïwan, le Panama a fait volte-face, rompant ses relations diplomatiques avec Taïpei pour se rapprocher de la Chine. « Depuis plusieurs années, cette idée était à l’ordre du jour, précise Isabel de Saint Malo, vice-présidente du Panama. La Chine est un partenaire très important pour nous. C’est aussi le deuxième client du canal ».

 

Un projet au point mort

Dans ce contexte, et même si le rôle de Pékin dans le projet du HKND Group n’est pas clair, le projet du Nicaragua est au point mort. D’autant qu’il a suscité, depuis cinq ans, une solide opposition dans le pays, venant notamment de familles redoutant d’être expropriées et faiblement indemnisées, comme le permet la loi de 2013. Les défenseurs de l’environnement ont également alerté les autorités quant aux dangers que ce projet faisait courir sur la nature, atout majeur d’un pays qui s’ouvre au tourisme.

Si cette opposition n’a pas réussi à faire tache d’huile dans les villes, elle a néanmoins créé un véritable mouvement de fond dans la société nicaraguayenne. « Je crois que cette histoire de canal est révélatrice de la façon de procéder du président, poursuit Manuel Ortega, lui-même un ancien sandiniste. Cette loi qu’il a fait voter en 2013, sans consulter les populations locales, sans écouter, témoigne de son autoritarisme ». Comme un avant-goût de la crise politique qui, depuis plus de six mois, ébranle le pouvoir.

Président contesté, Daniel Ortega ne renonce pourtant ni au pouvoir… ni au canal. Empêtré dans un bras de fer qui a coûté la vie à plus de 500 personnes, il assure d’interviews en interviews qu’il construira ce canal. Un tour de prestidigitateur pour faire oublier un présent morose en désignant un futur radieux ? Une promesse fantaisiste pour tenir debout un peu plus longtemps ? « Vous savez comme moi depuis combien de gens parlent de creuser un canal au Nicaragua… », ironise Isabel de Saint Malo.

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