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Vie de La Brochure
12 décembre 2018

Ile Maurice et émeutes de 1999

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Le pays se présente comme un modèle de respect mutuel des communautés ce qui serait un miracle. Donc revenons sur les émeutes de 1999 (exclues des guides touristiques) qui montrent que le pays n’est jamais à l’abri d’une étincelle capable de mettre le feu aux poudres.

L’étincelle, c’est la mort en prison du chanteur Kaya (sur la photo) le dimanche 21 février 1999, qui a provoqué les premiers chocs entre émeutiers et policiers, puis au sein même de la population entre communautés créole et hindoue. Les affrontements ethniques d’avant l’indépendance allaient-ils revenir ?
Trois mois plus tard, le 23 mai, un match de football entre la Fire Brigade, équipe à laquelle s’identifie fortement la communauté créole, et le Scouts Club, représentant traditionnellement les musulmans, se solde par la défaite de ce dernier, ce qui donne lieu à des scènes de destruction entre le stade Anjalay et la capitale Port-Louis : alors que les supporters de l’équipe défaite convergent en groupes vers la capitale où ils incendient plusieurs bâtiments, une maison de jeu de Chinatown, à Port-Louis, est la cible d’une attaque aux cocktails Molotov qui fait sept morts.

Depuis 1962, quatre communautés sont définies à Maurice : la communauté hindoue (51,8%), la communauté musulmane (16,6%), la communauté sino-mauricienne (2,9%) et la population générale (28,7%). Cette dernière regroupe ceux n’entrant pas dans les trois premières catégories donc les «Franco-Mauriciens»), les «créoles» ou métissée (que l’on distingue de ces derniers par le terme de «gens de couleur». Depuis 1983 (les chiffres sont de 1972), le critère de communauté est supprimé dans les recensements.
Socialement tout ceci signifie qu’il est communément admis que les hindous détiennent le pouvoir politique, la minorité franco-mauricienne le pouvoir économique (l’industrie sucrière), les musulmans et les Chinois les réseaux commerciaux, les créoles se retrouvant généralement exclus de cette répartition des pouvoirs.

Revenons aux émeutes. Kaya avait été arrêté et détenu dans le cadre d’une enquête policière pour avoir fumé du «gandia» (haschisch) en public – acte passible de la peine de mort selon la législation mauricienne –, le 16 février, lors d’un meeting du Mouvement républicain qui militait pour la dépénalisation de cette drogue douce. Contestant le rapport officiel d’autopsie qui attribuait la mort du chanteur à une fracture du crâne qu’il aurait lui-même provoquée en se frappant la tête contre le mur dans un état de manque, le Mouvement républicain et l’épouse du chanteur avaient demandé une contre-autopsie.
Cette mort cristallise les tensions car ce chanteur avait une fonction symbolique vu son combat pour faire de la culture créole un vecteur de modernité en passant du segga traditionnel au seggae. Tout ça pour une lettre. Le segga est la musique et danse historique et Kaya voulait le coupler avec le reggae de Jamaïque.

Les émeutes de mai 1999 sont d’une toute autre nature puisqu’elles opposent les musulmans et les créoles. Dans le premier cas c’est le Mouvement républicain qui va servir de vecteur aux émeutes tandis que dans le deuxième cas, on passe très vite d’actes d’hooligans à des actes politiques d’un certain fondamentalisme musulman qui ne se tourne pas contre les créoles mais contre l’Etat qui appartient aux Hindous.

La riposte à de telles émeutes a permis de vérifier qu’elles seraient sans suite car la société civile s’est fortement mobilisée en créant des associations à vocation républicaine : l’Association citoyenne, l’Organisation pour l’unité, le mouvement Force patriotique, composé de professionnels, d’universitaires, de syndicalistes et de travailleurs sociaux, dont l’objectif est «d’agir pour l’émergence d’une société civile forte, dynamique et avant tout républicaine», et le Collectif des Mauriciens de l’étranger pour mobiliser les membres de la diaspora mauricienne en Europe. La réaction citoyenne a tué dans l’œuf cette révise plaçant au premier plan la religion, la politique ou la communauté.
L’idéal de l’Etat-nation au-dessus des clans a ramené le calme sans pour autant réduire les revendications en particulier religieuses de l’Église catholique, les groupes religieux musulmans ou hindous comme l’Arya Sabha ou la Hindu Maha Sabha. Une façon de lutter contre la perte d’influence quand la citoyenneté prend le dessus sur la communauté ! Des hommes politiques se tirent une balle dans le pied quand on note la présence constante à leurs côtés des responsables d’associations religieuses défendant la conception d’un espace pour chaque communauté. Elles voient dans une laïcité de l’espace public une atteinte à leur existence même.
Quelle influence peut avoir le mode de scrutin à la britannique sur ce phénomène ?
Je me suis longtemps posé la question et j’en arrive à cette réponse. Le fait qu’est élu dès le premier tour le candidat arrivé en tête, est une prime aux alliances tactiques des pouvoirs divers, quand les oppositions ont au contraire toujours du mal à s’unir ! C’est la base du bipartisme ! Et ce système favorise le clientélisme dans le sens où l’élection d’un membre de la communauté laisse espérer des retombées sur les diverses strates de la dite communauté. Pour le dire autrement, ce système britannique tue le politique au bénéfice du communautarisme ! Le politique pose les questions en terme sociaux, quand le communautarisme éclipse le côté social.
En conséquence les émeutes évoquées qui font surgir un besoin de citoyenneté pour surpasser les guerres communautaires, voient ce besoin mis à mal par le mode de scrutin. Le Mouvement républicain ne peut donc percer électoralement !
Peut-il y avoir, après 1999, continuité entre l’alliance des protagonistes du processus d’indépendance, le créole sir Gaëtan Duval et l’hindou sir Seewosagur Ramgoolam, et celle de leurs fils, respectivement Xavier-Luc Duval et Navim Ramgoolam ?
Là-bas aussi la laïcité de l’Etat est une condition pour aller vers une marginalisation politique des pouvoirs communautaires si le pays ne veut pas qu’après les émeutes de 1937, de 1965, 1968 et 1999 une étincelle ne mette le feu au pays surtout dans un monde où les étincelles deviennent de lus en plus fréquentes.

J-P Damaggio
Voir le site internet à la gloire des créoles : ICI

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