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Vie de La Brochure
4 février 2019

Reporterre était à l'assemblée de Commercy

J'avais relayé le premier appel de Commercy. Je reprends donc ce reportage pour suivre le dossier. JPD

 

Près de Commercy, l’assemblée des Gilets jaunes refonde la démocratie

28 janvier 2019 / Pascal Hennequin et Hervé Kempf (Reporterre)

À Sorcy-Saint-Martin, le 27 janvier, près de 75 délégations des Gilets jaunes de toute la France ont adopté un Appel. Mettant en avant la revendication du partage des richesses, l’assemblée ambitionne de donner un cadre au mouvement, tout en respectant scrupuleusement son exigence démocratique.

 « C’est un moment d’histoire »: Patrick, de Paris XXe, rit de toute sa face, pleinement heureux, comme les trois cent personnes dans cette salle qui s’étreignent et se félicitent. Samedi 26 janvier, l’Assemblée des assemblées des Gilets jaunes a décidé qu’elle pouvait publier un appel. Elle s’est déclarée légitime, et dans l’enthousiasme général, on sent passer le souffle de ce qu’ont pu ressentir les délégués du Serment du jeu de Paume, le 20 juin 1789, quand ils décidèrent de ne plus se séparer jusqu’à l’élaboration d’une Constitution. Les Gilets jaunes ont donc une Assemblée. Ce mouvement épars, diffus, mais puissant, qui cherche sa voie depuis le 17 novembre, se voit proposer un cadre d’union face au pouvoir.

Quelques heures plus tard, Valérie, de Salvetat-sur-Agout (Hérault) m’explique. « Pourquoi est-ce un moment historique ? », lui demandai-je. « Parce que nous avons cherché à agir de la manière la plus démocratique possible, dans le respect de la parole populaire. Et parce que nous avons réussi à établir une coordination du mouvement ».

Revenons en arrière. Dans l’immense mouvement des Gilets jaunes, une plante originale s’est épanouie à Commercy, dans la Meuse, dès novembre. Ici comme dans de nombreux coins de France, ronds-points occupés, manifestations, blocages, puis construction d’une cabane permanente sur la place principale de cette ville de 6.000 habitants, ont ponctué une lutte ininterrompue. Mais dès l’origine, la volonté est née de donner une assise démocratique à cette lutte, en « créant partout en France des comités populaires, qui fonctionnent en assemblées générales régulières », ainsi que le proposait le premier appel de Commercy, début décembre. Chemin faisant, l’appel ayant reçu beaucoup d’échos à travers le pays, l’idée a germé d’organiser une « Assemblée des assemblées » locales, de se regrouper pour donner une unité au mouvement tout en respectant scrupuleusement l’autonomie de chaque groupe local. À Commercy même, la dynamique ne faiblissait pas, avec des assemblées générales quotidiennes ou tous les deux jours. Et si l’expérience de quelques militants anti-Cigéo (le projet d’enfouissement des déchets nucléaires est situé à 40 km) a été utile, c’est bien un mouvement animé par des Gilets jaunes sans expérience militante qui s’est développé.

À la suite de l’appel, les liens avec des groupes locaux se sont établis, et le projet d’Assemblée des assemblées s’est engagé, conduisant à ce rassemblement dans la salle des fêtes de Sorcy-Saint-Martin, un bourg à quelques kilomètres de Commercy. Une belle organisation, avec hébergement chez l’habitant, repas à prix libre par la cantine La Marmijotte, documents préparatoires soignés, garderie d’enfants, sono et automédia vidéo. Et samedi 26 janvier, très pluvieux, près de 75 délégations se sont retrouvées, dont une cinquantaine avec mandat et les autres en « observatrices », sans délégation explicite de leur assemblée locale. Les délégations étaient le plus souvent en binôme – avec une parité homme-femme -, voire en groupe plus nombreux.

En ouverture de l’assemblée, l’animateur, Claude Kaiser, de Commercy, a posé le principe des discussions : « On ne peut pas prétendre représenter les Gilets jaunes de France. On représente une idée. Il s’agit ici de s’engager dans un processus ». Puis, les groupes présents ont présenté chacun leur démarche et leurs principales actions : de Poitiers au Vigan (Gard), de Noisy-le-Sec (93) à Saint-Nazaire, de Crolles (Isère) à Flixecourt (Somme). Et partout, une détermination sans faille, et tenace, comme en Ardèche, où la cabane des Gilets jaunes a été détruite sept fois, rebâtie sept fois – « et maintenant, on la démonte le soir et on la rebâtit le matin ». Autre dominante : « Rarement on a vu autant de femmes dans un mouvement », dit la représentante de Conflans-en-Jarnisy (Meurthe et Moselle). Ce que les prises de parole confirmaient.

Après ce long tour de présentations qui donnait la jauge de l’énergie collective, le débat s’est engagé pour savoir si l’Assemblée pouvait publier une liste de revendications. Cette liste avait été établie par un questionnaire envoyé par ceux de Commercy aux assemblées locales des Gilets jaunes. Une quarantaine de celles-ci ont répondu, plaçant en tête des revendications un meilleur partage des richesses et le rétablissement de l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune), nettement devant la demande du référendum d’initiative citoyenne.

Le sujet central de la discussion : l’assemblée était-elle légitime pour décider la publication de ce document ? Celui-ci montre que la question du RIC, mise en avant par une partie des Gilets jaunes en France et par les médias, est peut-être moins importante que la revendication de justice sociale. Nombre de délégués jugeaient qu’ils n’avaient pas été mandatés pour prendre une telle décision, et qu’il fallait la soumettre à leur assemblée locale. Pour d’autres, ce processus interdisait l’efficacité. Ainsi Clément, d’Ivry, observait : «Si on va au bout du formalisme, on ne pourra jamais décider, parce qu’il faudra plein d’allers-retours. On peut dire que cette assemblée des assemblées est légitime pour prendre des décisions.» Légitime ? C’est précisément ce dont elle n’était pas assurée, la préoccupation de rester parfaitement démocratique dominant les esprits. Marco, de Dijon, expliquait : «Il y a un très gros complexe de légitimité ici. Nous avons la volonté de super bien faire, pour ne pas répéter ce que nous reprochons au pouvoir. Mais vous ne trahissez pas l’assemblé si votre texte correspond à ce qui s’est dit.» Alors, l’Assemblée était-elle décisionnelle ? Oui, disait Isabelle, de Strasbourg, «rien n’empêche de dire qu’on redescendra dans la AG pour validation ou rejet.» «Sur 150 délégués ici, lui rétorquait une autre, qui a un mandat sur ce point ? Personne. Donc on ne vote pas, point !» Les esprits s’échauffaient, et il fallait l’humour du clown Cilasz - par ailleurs délégué de Die (Drôme) -pour ramener la sérénité : «Cou-cou ! Nous sommes mus par une urgence intérieure, mais nous prenons le temps, nous sommes là pour construire et il faut savoir que ça ne va pas être de la tarte.»

En chemin, l’idée de publier telle quelle la liste des revendications avait été abandonnée. De fait, le document, intéressant mais touffu, aurait été difficile à communiquer tel quel. C’est donc vers un appel, plus lisible, que l’Assemblée s’orientait. Voter ? Oui ! Et un vote presque unanime donnait le feu vert à l’écriture de cet appel. La liesse générale éclatait, l’assemblée des assemblées des Gilets jaunes existait ! Et d’aucuns, réjouis, parlaient de « moment historique ».

Repos ? Non. Studieuse, l’assemblée reprenait la discussion, sur le thème : «Comment s’organiser pour être le plus démocratique à toutes les échelles ?» Un souci émergeait : ne pas uniformiser les formes et les actions, laisser à chaque assemblée locale le soin de déterminer ce qu’elle avait à faire. La discussion roulait ensuite sur le point de savoir quand on se réunirait de nouveau. Dans un mois, dans deux, plus tard ? « Ne nous pressons pas, disait la déléguée du Mas d’Azil (Ariège), la Révolution prend trois, quatre ans ». Mais il y a l’urgence, la loi anti-casseurs dès le 29 janvier, les lois que continuent à voter les députés du parti macroniste LREM. Et l’assemblée acceptait la proposition de Saint-Nazaire - où les Gilets jaunes occupent un bâtiment renommé « Maison du peuple » - de se réunir d’ici un mois et demi ou deux mois. Si possible, Montreuil (93) organiserait une assemblée d’ici un mois.

Le lendemain, dimanche, l’assemblée des assemblées, après divers ateliers de discussion sur des thèmes spécifiques, adoptait l’Appel. Un texte avait été préparé par une dizaine de délégué(e)s. La discussion partait, proposant moult amendements. Allait-on s’enliser ? Une représentante de Nantes emportait l’assentiment général : « Ce texte lu, on l’a tous salué, avec notre cœur. Après, on peut changer plein de choses. Mais… on va apprendre à travailler ensemble. Ce qu’on a vécu ce week-end est magnifique ? Il faut publier le texte le plus vite possible. Soyez fiers de vous, vous avez fait du beau travail. Merci Commercy ! ». Que répondre ? Des applaudissements. Le groupe du texte repartait intégrer quelques ajouts (par exemple, la mention de l’Outre-mer et de l’attention aux personnes handicapées), et le texte était adopté en début d’après-midi.

Et maintenant ? Le texte sera-t-il adopté par les assemblées de Gilets jaunes à travers la France ? On verra. Ici, à Sorcy-Saint-Martin, restait une conviction, exprimée par un délégué de Rennes : « Il ne faut pas que le mouvement des Gilets jaunes s’arrête en chemin. Nous avons un devoir envers ceux qui sont morts durant le mouvement ». À partir d’un sentiment simple et fort, exprimé samedi par une déléguée : « Qui on est, les Gilets jaunes ? Un mouvement populaire, émanation du peuple dans sa diversité. Que veut-on ? Vivre dignement, sans avoir peur du lendemain. »

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