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Vie de La Brochure
10 février 2019

Toni Negri et les gilets jaunes

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Le mouvement des gilets jaunes pouvait-il apprendre quelque chose à Toni Negri ? Il est interrogé dans un utile article de Médiapart et si je peux me retrouver d’accord avec quelques idées (surtout quand il parle des gilets jaunes) j’observe surtout qu’il réécrit à son avantage sa propre vision de l’histoire (avec laquelle je n’ai jamais été d’accord).

Quand il pointe la fraternité au cœur des gilets jaunes, leur pacifisme à l’opposé de la vision que veut en donner le pouvoir, l’incapacité de la gauche à se saisir de sa réalité, les erreurs des syndicats, le choix à faire du contre-pouvoir, etc. je le rejoins.

Mais revenons à sa philosophie profonde.

Il trouve dans les gilets jaunes la confirmation de son concept de multitude : «De mon côté, cela fait vingt ans que je parle de «multitude» précisément pour analyser la dissolution des anciennes classes sociales.»

La dissolution des anciennes classes sociales ne conduit pas forcément à sa chère «multitude» dont il préfère préciser le sens : «La multitude, ce n’est pas une foule d’individus isolés, renfermés sur eux-mêmes et égoïstes. C’est un ensemble de singularités qui travaillent, qui peuvent être précaires, chômeurs ou retraités, mais qui sont dans la coopération. Il y a une dimension spatiale dans cette multitude : ce sont des singularités qui, pour exister, demandent à être en contact les unes avec les autres. Il ne s’agit pas seulement de quantité. C'est aussi la qualité des relations qui est en jeu. »

Peut-être faudrait-il qu’il précise la «dimension spatiale» ? Je prétends qu’en chantant La Marseillaise et en brandissant et drapeau français, le plus souvent, les gilets jaunes n’ont pas ainsi affiché un nationalisme (auquel voudraient les réduire des membres des diverses extrêmes) mais une dimension nationale combattive. Ce n’est pas le drapeau de la régression mais celui de la révolution, une forme de révolution que Toni Negri a toujours ridiculisé d’où son vote OUI au TCE car dans sa logique d’un monde multipolaire, il voulait une Europe capable de s’opposer aux USA.

Pour Toni Negri toute prise en compte de la nation c'est du nationalisme, alors que le nationalisme est le plus virulent adversaire des nations, surtout en France ! Le nationalisme est aujourd’hui celui qui sans cesse nous ramène aux vertus du modèle allemand (ou tout autre à partir du moment où il vient de l’étranger), comme en 1792 il venait des nobles exilés, ou en 1936 il disait «Hitler plutôt que le Front populaire».

 Dans les gilets jaunes, Toni Negri trouve aussi la confirmation de son analyse des partis politiques : «Je suis convaincu depuis cinquante ans que la démocratie parlementaire est vouée à l’échec. J’écrivais déjà en 1963 un article où je critiquais l’état des partis politiques.» Je m’étonne seulement qu’il ne fasse pas référence à son livre majeur : Empire.

J’ai surtout étudié Toni Negri en lien avec l’Amérique latine où ses idées ont un grand succès. Ce sous-continent des années 2000 jouant la partition du monde multipolaire face aux USA, il fallait le soutenir. Ainsi le vice-président de Bolivie s’est toujours affiché comme un admirateur de Toni Negri au nom de la défense de la nation Aymara, pour aller contre l’inutile nationalisme bolivien (le nationalisme corse contre le nationalisme français), ou au nom de la défense de l’unification bolivarienne, ce vieux mythe séculaire de l’Amérique latine.

 Et enfin la référence au fascisme. Sur ce point un débat entre Negri et Guilluy serait très utile.

Negri indique : « Au fond, Macron est dans la lignée de tous les gouvernements néolibéraux en crise : ils tendent vers le fascisme. » Et il termine ainsi : « Le fascisme est le visage politique du néolibéralisme en crise. Mais il y a une justice électorale : le M5S va perdre de nombreuses voix aux élections européennes de mai prochain.» Est-ce une justice électorale que l’éventuelle victoire de La Ligue (dite fasciste) sur le M5S ? Car il existerait une justice électorale ?

Guilluy dans le crépuscule de la France d’en haut rappelle à merveille que l’antifascisme est l’arme de Macron et ses amis ! –à partir de la page 171 : «L'antifascisme, une arme de classe

L'insécurité sociale et culturelle dans laquelle ont été plongées les classes populaires, leur relégation spatiale, débouchent sur une crise politique majeure. L'émergence d'une « France périphérique », la montée des radicalités politiques et sociales sont autant de signes d'une remise en cause du modèle économique et sociétal dominant. Face à ces contestations, la classe dominante n'a plus d'autre choix que de dégainer sa dernière arme, celle de l'antifascisme. Contrairement à l'antifascisme du siècle dernier, il ne s'agit pas de combattre un régime autoritaire ou un parti unique. Comme l'annonçait déjà. Pier Paolo Pasolini en 1974, analysant la nouvelle stratégie d'une gauche qui abandonnait la question sociale, il s'agit de mettre en scène « un antifascisme facile qui a pour objet un fascisme archaïque qui n'existe plus et n'existera plus jamais[1]». C'est d'ailleurs en 1983, au moment où la gauche française initie son virage libéral, abandonne les classes populaires et la question sociale, qu'elle lance son grand mouvement de résistance au fascisme qui vient.»

A méditer. JPD



[1] L'Europeo, 26 décembre 1974, interview de Pasolini publiée par la suite dans le livre Écrits corsaires, Champs Flammarion, 2009.

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