Somos un rìo, no solo gotas. Hugo Blanco sobre Cumbre de los pueblos de Cajamarca

Bande annonce :

https://vimeo.com/319345132

 en lien avec ce texte :

lettre d'Hugo Blanco a Arguedas

Malena Martínez Cabrera

Tout commence par une passion et une incompréhension. La passion d’un père pour Hugo Blanco, que la fille Malena Martínez Cabrera met en images, et elle retient comme image  au départ «l’incompréhension» entre un tribunal qui en 1962 refuse d’entendre, en guise de réponse à la question «pourquoi attaquer un poste de gendarmerie ?», le rappel des injustices dont les indigènes sont victimes depuis des siècles.

 Pour moi, tout tient à un événement survenu un peu plus tard quand en 1969 le même Hugo Blanco entretient une courte correspondance avec l’écrivain José Maria Arguedas (et bien présentée dans le film). La référence aux ríos profundos chers à Arguedas me semble un clin d’œil clair ou évident vu les images inévitables de ríos profundos, quand on part pour les Andes. J’imagine que toute la poésie du film vient de cette brève correspondance, même si la réalisatrice ne demande pas au vieil Hugo ce qu’il pense aujourd’hui d’Arguedas.

 Le film nous fait vivre une aventure qui continue et pas seulement parce qu’Hugo Blanco est toujours vivant, toujours battant, mais parce que l’idéologie dominante est toujours la même ! Les commentateurs du film évoque un «Che Guevara péruvien» alors qu’Hugo Blanco sa vie durant a été le contraire de Che Guevara, non qu’il n’en partage les rêves, mais il propose une méthode totalement opposée. Il va le répéter tout au long de la deuxième partie du film : la révolution ne peut pas venir d’une avant-garde éclairée dictant son agenda mais du peuple organisée. Il va même jusqu’à dire qu’il vaut mieux une assemblée populaire qui se trompe, qu’un dirigeant qui a raison.

 Le film est conçu en deux parties totalement différentes : la partie années 60 quand Hugo Blanco conduit sa lutte et se fait capturer, puis les années après le Sentier lumineux quand Hugo Blanco, libre reprend les chemins de sa propre lutte marquée par sa rencontre avec les Zapatistes.

 Par cette absence directe du Sentier lumineux, le film en est une critique féroce, mais peut-être ne va-t-elle pas apparaître à tous les spectateurs, sauf quand un paysan rappelle qu’il a fallu qu’ils créent des groupes d’auto-défense contre le Sentier lumineux qui voulait tant leur «bien» ! Sans faire un rapprochement simpliste j’ai pensé à ces groupes de villageois algériens qui firent de même contre les Islamistes.

 Le Sentier lumineux, tout comme les Khmers rouges ont eu au sein de la gauche européenne leur heure de gloire, certains se rendant à l’évidence qu’il s’agissait de truands, assez tard ! Ce n’est pas parce qu’on habille sont discours de bons sentiments qu’on ne peut pas être des truands. Je rappelle que les Narcos opèrent de la même façon et y gagnent une certaine notoriété : ils tuent et volent pour le bien du peuple à qui ils rendent des services. Sauf qu’en même temps le peuple est une des victimes les plus fortes.

 Et l’idéologie dominante va de plus en plus promouvoir cette violence et le cas du Pérou est emblématique : les atrocités sans nom du Sentier lumineux, appelant celles de l’armée, font qu’à présent dire luttes sociales c’est assimilé à luttes armées et de ça le peuple ne veut plus.

 Oui mais j’entends ceux qui vont me rappeler que la plus grande violence est celle du pouvoir d’Etat et comment ne pas répondre par la violence armée !

 Hugo Blanco répond par les mots qui peuvent convaincre et c’est vrai ça prend du temps. Et lui pour qui l’essentiel c’est l’analyse concrète de la situation concrète reconnait que le dit système qui en arrive à pouvoir détruire l’humanité, crée une urgence mais seule le peuple s’organisant de manière horizontale peut vraiment riposter.

 Par ces quelques mots, je perds de vue le film qui n’est pas linéaire, pédagogique, mais bien une œuvre d’art dans toute sa complexité, tout sa richesse. Par exemple : une réunion est organisée à Lima autour d’Hugo Blanco (il a fallu la maquiller en Journée de l’indien) avec très peu de gens, et une autre à Vilcabamba où tout l’amour du peuple pour ce militant est si forte !

 Que le peuple s’organise est une chose mais qu’il se vive en tant que peuple en est une autre : la contradiction entre monde urbain et monde rural est plus que jamais là et une certaine forme de mépris de la gauche pour le monde rural continue de faire des dégâts.

 Car les incompréhensions sont nombreuses et pour conclure j’en viens à une scène de la fin du film : la lutte pour l’eau et contre une mine à Celendin près de Cajamarca. Pour certains ont a les paysans «retardataires» accrochés à la défense de l’eau face aux promoteurs du «progrès» par la mine qui va créer des emplois ect. L’incompréhension tient au fait qu’à présent les techniques minières utilisent des millions de litres d’eau qu’elles renvoient avec des pollutions féroces suivant le même principe habituel : qu’importent les conséquences sur les paysans méprisables ! Les mêmes qui par ailleurs vont ensuite promotionner l’écologie sociale ! Les plus grands écolos de la terre sont les pauvres qu’on désigne comme les plus grands pollueurs ! Mais c’est là l’objet d’un autre type de documentaires. J-P Damaggio

  Voici le commentaire de la réalisatrice traduit de l’espagnol de

Malena Martínez Cabrera

"Mon enfance et mon adolescence ont été marquées par une intense période de guerre interne dans mon pays (1980-2000). A la violence extrême du groupe terroriste Sendero Luminoso s’est ajoutée brutalement par la répression militaire. Les victimes de leurs tirs croisés étaient les plus marginalisées et les plus oubliées du pays: des dizaines de milliers de paysans autochtones victimes déjà de notre racisme historique. Les traumatismes et les manipulations ont été tels qu'une grande partie du Pérou identifie aujourd'hui l'impulsion socialiste la plus ténue avec une nouvelle menace terroriste. D'autre part, le mot «révolution» est plein d'ambiguïté. Le traitement paradoxal de la figure de Blanco, idéalisée, battue et finalement ignorée par le pays est parfaitement symptomatique du fonctionnement de notre mémoire collective. Après mes recherches dans diverses archives visuelles au Pérou, j'ai constaté que, si la figure de Blanco avait été enregistrée, les premières actions du mouvement indigène paysan pour la distribution des terres n'étaient pas officiellement préservées ni reproduites. J'ai alors compris que mon documentaire devait être axé sur une telle fragilité de la mémoire. La réforme agraire, le plus grand catalyseur social du Pérou moderne, est toujours racontée comme si elle avait été initiée avec la loi officielle créée par le gouvernement militaire. Siècle après siècle, les peuples autochtones continuent d'être le champ de projection des peurs du pays. Soit il est le suspect, l'agresseur caché ou la victime passive sans action politique.

Mon plus grand défi en tant que cinéaste a probablement été de ne pas renoncer à raconter une anti-histoire, mais de "raconter l’histoire à contre-courant" (W. Benjamin, 1995), malgré les attentes et les conseils de la narration de l’histoire du héros de manière traditionnelle avec un personnage si charismatique.

Mon personnage travaille toujours à déconstruire à la fois son propre mythe et l'image messianique de la guérilla, et tente de mettre en lumière le récit de l'épopée passée et présente du peuple autochtone qui était jadis éclipsé par l'imaginaire «révolutionnaire». Pour moi, faire un film qui parle non seulement du personnage, mais de l'esprit d'Hugo Blanco, qui préconise l'autonomie gouvernementale des gens sans avoir besoin de dirigeants, revient à réactiver à travers sa silhouette le souvenir oublié des luttes collectives.

Dans ce film, je travaille de manière sonore et visuelle avec des éléments subliminaux qui font appel à nos tabous nationaux. Je soupçonne que mon pays ne parviendra pas à la réconciliation tant attendue si nous n'osons pas traverser les eaux et les ombres semées dans notre inconscient collectif. Je considère mon film comme une contribution à la guérison des blessures profondes de notre mémoire historique et au processus nécessaire à la réconciliation nationale. "

 

https://www.youtube.com/watch?v=Q8D-au4bx4I