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Vie de La Brochure
28 mai 2019

Le Clézio, Maurice et le tourisme

A un moment Jérémie, le héros du roman Alma a eu envie de visiter une ruine bâtie par les Anglais et qu’on trouve un peu partout, en Corse, au Québec ou à Guernessey :

« J'ai eu envie de voir la dernière tour Martello encore debout dans sa solitude orgueilleuse, à La Saline, près de la Rivière Noire, la tour de l'Harmonie. Après une demi-heure de marche au soleil, je me suis retrouvé sur la langue de terre qui conduit à la ruine de la tour. J'étais sur la plage de sable vaseux et de coquillages pilés, je regardais la mer. C'était vers la fin de la journée, il y avait quelque chose d'irrémédiablement mélancolique dans cette baie fermée, la mer sombre et le ciel gris traversé par les vols lents des corbijous en route pour leur sommeil. La chaleur humide s'accrochait à la Tourelle de Tamarin, voilait la belle endormie du Rempart. Le long de la plage, aux abords de la tour, les bicoques en bois avaient un air d'abandon. Pas pour longtemps : à l'entrée du chemin de terre, un panneau indiquait que sur cette presqu'île serait bientôt édifié un condominium de grand luxe, avec piscines et port privé, le long de l'embouchure de la Petite Rivière, et vue imprenable sur le Morne Brabant.»

 Finalement la Tour Martello a été restaurée et on y arrive par une petite route qui longe le fameux condominium. L’aspect extérieur en pierres sombres comme partout à Maurice, volcan oblige, n’est pas accueillant mais l’intérieur se révèle très fonctionnel avec au sommet un canon qui peut tourner à 360°. En effet la vue sur le Morne Brabant est spectaculaire. Et elle se trouve là surtout par rapport aux bateaux négriers qui venaient déposer leur cargaison sur la plage.

C’est un des rares endroits où le héros se confronte au développement du tourisme à Maurice. Le roman a été publié en 2017 mais rien n’indique la date du voyage du héros vers l’île de l’océan indien. Sans doute au début des années 2000 à un moment où la crise sucrière transforme une monoculture par une autre, le tourisme. Petit à petit les condominiums de luxe s’installent sur les beaux coins du pays pour attirer une clientèle riche dont le maître mot est « all inclusive ». Ils paient un séjour «tout compris» y compris les visites ici ou là comme par exemple à la Tour Martello ou au Jardin botanique etc.

Dans Alma, cette question est périphérique puisque le héros va surtout à la rencontre de son passé. Je me demande d’ailleurs quand un individu peut vivre l’époque dans laquelle il vit ! Les concepteurs d’une marina, d’une smart city vivent le futur avant tout le monde et beaucoup d’autres sous le poids de leur mémoire vivent un passé perdu. Le touriste « all inclusive » vit par contre ni le futur ni le passé mais les doux plaisirs de l’illusion permanente, celle d’un disneyland festif.

 Le héros de Le Clézio a beaucoup vu les vols lents des corbijous (dont je ne trouve aucune image sur internet), autant dire l’éternité d’un lieu car s’il est difficile de vivre dans son époque c’est quelle porte en même temps le passé et le futur et s’il est facile de noter la présence d’un panneau indiquant la naissance d’un condominium, il est plus difficile d’en saisir la chaîne des conséquences, comme va s’abolir un passé au prix de quel futur. J-P Damaggio

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