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Vie de La Brochure
28 mai 2019

Un autre livre de Shenaz Patel

Je reprends ici une présentation de RFI de ce roman de Shenaz Patel. J-P Damaggio

paradis perdu

Le second titre de la collection « Pulsations » que dirigent Claire Riffard et Jean-Pierre Orban au sein de l’édition Vents est fascinant. Il relève à la fois de la prose poétique et du récit social riche en drames psychologiques et en sarcasmes. Son auteur Shenaz Patel en est à son quatrième roman. Son précédent roman Le silence des Chagos revenait sur la tragédie des habitants premiers de l’île de Diego Garcia, déportés de leur île natale devenue base militaire américaine. Elle a écrit aussi des nouvelles et du théâtre. D’ailleurs dans la postface de son nouveau roman, elle explique qu’elle avait écrit ce texte d’abord pour la scène dans le cadre du Festival des Francophonies de Limoges.

Nouvelle génération

Patel fait partie de la nouvelle génération d’écrivains mauriciens dans les premiers rangs desquels figurent Ananda Devi, Nathacha Appanah, Bertrand de Robillard, Barlène Pyamootoo, Alan Gordon-Gentil, Vinod Roghunundon, pour n’en citer que ceux-là. Cette génération se caractérise par son souci de dire à travers des fictions historiques ou intimes «la face cachée de la réalité mauricienne». Dans un article publié il y a quelques années, l’autre grand Mauricien Le Clézio rappelait que si on mesure la proportion d’écrivains au km carré, la minuscule Maurice avec sa population de 1,3 millions d’âmes détient le record. «Maurice est un peu l’Athènes créole de cette Méditerranée indienne», a écrit le prix Nobel de littérature. Pour beaucoup, ce bouillonnement intellectuel et littéraire de l’ancienne île de France s’explique par la diversité de son peuplement, par son métissage heureux des parlers, des cultures, des traditions et des quêtes.

Héritière de cette histoire, l’œuvre de quelqu’un comme Shenaz Patel est intéressante parce qu’elle explore inlassablement ce que ce métissage, apparemment réussi, cache de drames, de tragédies, de sacrifices, d’injustices et d’enfermement. «Ecrire pour tenter de rompre l’enfermement, pour chercher la fissure, le passé qui ouvrirait l’échappée belle», écrit Shenaz Patel.

« Mademoiselle chante les blues »

Son nouveau livre s’inscrit dans cette tentative de donner voix aux enfermés, aux marginaux et surtout aux femmes. Paradise Blues n’est pas sans rappeler l'œuvre de Toni Morrison, peut-être plus particulièrement son premier roman «The Bluest Eye» (L’œil le plus bleu). Son héroïne, éperdue de solitude, complexée d’être noire, veut se faire aimer. «Comment est-ce qu’on fait pour que quelqu’un vous aime», se demandait la jeune Pecola Breedlove. Elle prie chaque nuit pour qu’un miracle lui donne de jolis yeux bleus ! Mylène, la protagoniste de Shenaz Patel, elle aussi aspire à se faire aimer. Sa soif d’amour a quelque chose de désespérant. Elle envoie des lettres à l’étranger à la recherche d'un «correspondant», comme l’ont fait ses collègues de travail avec plus ou moins de bonheur. Mais pour Mylène, l’amour reste hors d’atteinte. La révolte, la dérive, la violence qui s’ensuivent sont les principaux ingrédients de Paradis Blues.

Les femmes tiennent le haut du pavé dans l'univers romanesque de Shenaz Patel. C'est à travers le destin et les yeux de ses héroïnes, marginalisées par l'histoire ou par la société mais hors du commun par leur force de caractère, que Patel donne à voir les heurs et malheurs de son île natale. Ce point de vue féminin sur le monde la rapproche de l'auteur de «Beloved» et «Paradise». Toutes les deux mettent en scène la dérive des femmes, sur fond de misère inéluctable, de rapports mère-fille difficile, de la soif d’amour, de l’oppression sociale et sexuelle. Toutes les deux sont des romancières féministes qui explorent à travers les récits de ce que les théoriciens appellent « writing beyond the ending », reprenant le relais là où s’arrêtent les contes de fée : « ils se marièrent et vécurent heureux... ».Leurs fictions nous rappellent que le bonheur (conjugal) est un mythe, à New York comme dans le lointain Port-Louis.

Extrait :

« Je crache sur Pénélope. Cette conne. Assise là à attendre. Dos rond. Ventreplat. Coeur lourd. Doigts agiles. Membres gourds. Travail docile. En filant. Des années assise à attendre en filant. Quoi, c'est ça ? C'est cela que nous devons être ? Des fileuses appliquées, sottement remplies de l'orgueil de leur abnégation ? La belle image ! Des clous, oui. Des clous, des épines, des orties... »

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