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Vie de La Brochure
19 juin 2019

Le Clézio sur l’Humanité

le clézio révolution

 

Jean-Claude Lebrun est manifestement un grand admirateur de Le Clézio. Il n’a jamais oublié de rendre compte d’un des livres de cet auteur. Ici je redécouvre un article que j’avais mis de côté sans le lire car je n’ai pas sa passion, mais puisqu’il parle de révolution et d’île Maurice, je revois à présent mon jugement. Plus tard dans la pièce jointe Jean-Claude Lebrun rend compte du livre Alma qui parle aussi de l’île Maurice et que j’ai souvent évoqué sur ce blog. Je reconnais qu’à lire ce texte j’ai envie d’acheter le roman. J-P Damaggio

 Articles_de_J_Cl_Lebrun_sur_Le_Clézio

 

L’Humanité 27 mars 2003

Chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun

Jean-Marie Le Clézio son chef d’œuvre ?

Il est des livres limpides comme l'évidence, devant lesquels les mots vous font défaut. Révolutions, dernier en date des romans de Jean-Marie Gustave Le Clézio, se présente sans conteste comme l'un de ceux-ci. Comment dire en même temps la richesse, la hauteur de vue, la force de la composition? Comment transmettre l'admiration mêlée d'exaltation qui tout du long vous habitent? Devant une telle œuvre, il faut s'essayer surtout à restituer ce qui vous a transporté. S'attacher à dire au plus près son sentiment, faute de pouvoir à son tour brasser une matière aussi considérable.

Révolutions a choisi de s'afficher -comme un roman autobiographique. Deux réflexions, l'une vers la fin du livre («à quoi bon inventer, écrire des histoires? Il suffit de lire»), l'autre en quatrième page de couverture (« il m'a toujours semblé, comme l'a dit Flannery O'Connor, qu'un romancier doit être porté à écrire sur les premières années de sa vie, où le principal lui a été donné »), définissent précisément l'espace narratif. Avec un narrateur, Jean Marro, alter ego de J.- M. G. Le Clézio, qui fait ici retour sur ses années de formation. Et pour cela s'appuie sur des récits entendus, des lectures de cahiers retrouvés, des notes qu'il avait lui-même prises. On le voit d'abord à Nice, adolescent, tandis que la guerre d'Algérie commence de faire des ravages. Il passe son bac en 1957. Puis c'est Londres, où il suit des études de médecine jusqu'aux accords d'Évian, en 1962. Puis de nouveau Nice. Ensuite Mexico lors du massacre de la place des Trois-Cultures, à la veille des jeux Olympiques de 1968. Paris aussi, et la Bretagne. L’île Maurice enfin, où il débarque en septembre 1969, avec celle qu'il vient d'épouser. Un itinéraire d'apparence désordonnée, en réalité commandé par une impérieuse nécessité venue de bien plus loin que lui : d'une histoire commencée en 1792, lorsqu'un certain Jean Eudes Marro avait quitté son misérable coin de Bretagne, du côté de Mordelles, et rejoint les armées des sans-culottes. Une vieille parente aveugle, claquemurée dans son appartement niçois, la tante Catherine, à qui le narrateur rendait régulièrement visite, lui avait maintes fois raconté la vie tumultueuse de cet ancêtre, qui avait à plusieurs reprises recoupé l'histoire en train de se faire. Le roman repose sur ces deux récits, superbement entrecroisés.

Tandis que le premier, qui touche à la vie du narrateur, s'en tient à une rigoureuse chronologie, le second, tourné vers le passé, opère selon les désordres d'une mémoire. Mais aussi selon le hasard des découvertes, dans un coffre gardé parla tante. Par fragments, le narrateur peut ainsi reconstituer la destinée de Jean Eudes. Il donne ainsi à lire —en l’inventant peut-être — un journal intime tenu à partir de juillet 1792, dans lequel sont évoqués l’engagement révolutionnaire et la participation à la bataille de Valmy qui avait métamorphosé toute une génération : «Nous étions devenus d'autres hommes. » Puis, il évoque le temps des désillusions, du retour en Bretagne et de la décision de s'expatrier avec Anne-Marie, la promise récemment épousée. Destination «l'isle de France », la future, île Maurice. Le narrateur a retrouvé le journal de leur traversée, entre le 1er germinal et le 20 thermidor an VI. Il montre alors le lent enracinement de la famille, pendant tout le XIXe siècle, puis son infortune après de mauvaises affaires et le retour définitif en France, en 1918. Dans le même mouvement, il fait venir l'histoire de l'île, la suppression par la Révolution puis le rétablissement par Bonaparte de l'esclavage, la conquête anglaise en 1810, la révolte avortée des esclaves en 1822, dont il confie le récit à une magnifique figure de femme proche de l'allégorie. Jean Eudes et Anne-Marie avaient dû assister à tout cela, alors qu'ils avaient imaginé apporter un peu des Lumières dans leurs bagages. Mais ils s'étaient épris définitivement de l'île, y avaient trouvé désormais leur identité.

--Quand était venu pour leurs descendants le temps de l'exil, la tante Catherine, alors jeune fille, avait tenu quelques semaines durant un « carnet noir », aujourd'hui entre les mains de Jean. Elle y avait consigné les sensations, les bruits, les odeurs qui avaient tant séduit ses aïeux et qui pour elle, depuis lors, avaient constitué la « substance du temps perdu ».L’île accède en 1968 à l'indépendance. L'histoire des Marro, celle de l’île la marche générale du monde, ne cessent ainsi de se recouper, de se répondre en écho. Jusqu'à ce qu'e septembre 1969, 174 ans après le lointain aïeul et son épouse, Jean et sa femme mettent à leur tour le pied sur Maurice, et bientôt dans un fouillis végétal, découvrent une pierre tombale, avec seulement « Marro » gravé dessus. Comme une boucle qui se refermerait, une révolution, au sens propre, qui s'achèverait. Jean désormais porte tout cela en soi. Il a fait sienne la mémoire de Catherine, la passeuse. En même temps, il a effectué ses années d'apprentissage. Depuis les récits de Catherine et la découverte au lycée des philosophes grecs, jusqu'aux premières expériences amoureuses et l'ombre noire de la guerre coloniale. La vie donnant chair à la philosophie. La philosophie donnant sens à la vie. Jean-Marie Le Clézio infuse dans tout cela un extraordinaire ensemble de sensations et d'impressions s'élève à une véritable vision historique sans cesser de placer au premier plan la dimension de l'humain. C'est cela peut-être que l'on appelle un chef-d'oeuvre.

J.- M. G. Le Clézio, Révolutions, Gallimard 560 pages 22 euros

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