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Vie de La Brochure
29 octobre 2019

Redeker, Blanquer et l'école

J'avais lu et apprécié cet article à sa parution sur Marianne. Je pensais l'avoir mis sur le blog mais si Redeker s'y trouve en diverses postures, pas celle-ci. Sur ce point je partage totalement son propos et la date de 1989 est en effet cruciale dans l'histoire de l'institution scolaire. Je partage sa dénonciaton de la religion bien connue "défense des services publics" qui manipule une ombre faute de se prendre par la main pour en mesurer les dessous. La Poste, un service public ? EDF, un service public ? Vous rigolez... Quant à l'école, la question est effet bien pire ! J-P Damaggio

 

Jean-Michel Blanquer, les profs et la tertiarisation de l'école

Publié le 14/07/2019 à 12:00

Robert Redeker

Les affrontements et polémiques à propos de la nouvelle réforme du lycée et du bac ne sont que les dernières secousses d'une crise de très longue durée, dont l'origine remonte à la loi Jospin, en 1989. La loi Blanquer n'y mettra pas fin, dans la mesure où elle échoue à identifier la source des maux dont souffre l'école.

Les crises de l'enseignement sont des crises de civilisation, dit-on depuis Péguy. Or, celle que l'école traverse est plus profonde encore ; c'est une crise politique. Au sens le plus haut de ce mot, « politique ». Cette crise concerne la nature de la cité. Qu'est-ce que la politique ? L'engendrement continu d'une nation et d'un peuple au moyen de ses institutions. Des siècles durant, l'Eglise assura l'engendrement, génération après génération, de la France.

Elle fut, jusqu'au XIXe siècle, l'institution matricielle du peuple français. A partir de la IIIe République, ce rôle matriciel fut repris par l'école. A l'enseignement fut dévolu l'office d'engendrer la nation. Pour cette raison, il convient de voir dans l'école l'institution organique de la nation française, l'utérus supposé l'engendrer. La crise de l'école n'est autre chose que la crise de la reproduction et de l'engendrement de la nation.

Le projet de loi voulu par Jean-Michel Blanquer rappelle, comme tout le monde le fait depuis la loi Jospin, que l'enseignement est un service public. Peu perspicaces, les syndicats d'enseignants s'accrochent à cette notion de service public de l'école comme à un fétiche. Mais n'est-ce pas abaisser l'école que de la réduire au statut de service public, et abaisser les professeurs ? L'école n'est plus le lieu où la nation se reproduit, elle devient un service, un guichet parmi d'autres ouvert par l'Etat distributeur. Cette conception destitue l'école de son rôle fondamental dans la vie et la reproduction de la nation - elle désinstitutionnalise l'école. A travers elle, le puissant mouvement de désinstitutionnalisation de l'existence humaine, qui engendre l'individualisme consumériste, qui change tous les humains en clients, poursuit son œuvre. Bref, cette affirmation traduit une tertiarisation de l'école.

Un professeur n'est pas un employé, c'est un maître, disait l'un des pères de la République, le philosophe Jules Simon. Le gouvernement n'est pas l'employeur des enseignants. C'est la nation, ce qui n'est pas la même chose ! Le rapport d'un professeur au gouvernement n'est pas celui d'employé à employeur. Dans l'idéal républicain de l'école, dans ce que fut l'école jusqu'à ce matin, la primauté institutionnelle garantissait l'autorité du maître et des savoirs, en même temps que son indépendance des pouvoirs. L'autorité - bien que Jean-Michel Blanquer souhaite le contraire - ne peut être restaurée dans le cadre d'un service public parce qu'élèves, parents, puissances locales et élus savent que les professeurs sont leurs subordonnés.

Les enseignants en effet y deviennent des fournisseurs d'un service à la personne. Les voilà larbinisés, perçus comme employés du gouvernement, et de l'électorat. La tertiarisation de l'école, obstacle à la véritable autorité, signe la mort des professeurs.

Du fait de cette mutation de l'institution en service public, l'ignorance de l'essence de l'école enveloppe la société et les gouvernants de son manteau d'obscurité. Ne sachant plus ce qu'est l'école, nul ne sait plus ce qu'est un professeur. D'où le ton de maître à valet employé ces derniers jours par de nombreux politiciens, soucieux de démagogie, pour mettre les professeurs au pas. Quelle que soit la pertinence, bien contestable, du mouvement de perturbation du baccalauréat, le langage employé par ces politiciens, et par certains éditorialistes donneurs de leçons, dévoile le mépris et la haine dont la France d'en haut poursuit les professeurs. Devant cette grève, la censure inconsciente saute, et la violente vérité des sentiments longtemps voilés apparaît.

Le gouvernement reste prisonnier du paradigme qui détruit l'enseignement, interdisant sa restauration : sa définition comme service public. L'interminable crise de l'école révèle la profondeur de la crise politique qui désorganise - qui défait l'organisme -notre pays. Ses deux volets se nomment : désinstitutionnalisation et tertiarisation. Dans le choc entre Blanquer et les professeurs, un augure se laisse lire : les conflits sociaux de demain seront souvent des conflits pour la réinstitutionnalisation. 

" Philosophe, auteur de l'Ecole fantôme, Desclée de Brouwer, 2016.

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