Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
2 avril 2020

Cladel vu par Paul Margueritte

Quittons un peu la politique pour la littérature et donc... Cladel avec ce portrait de Paul Margueritte qui en confirme bien d'autres.

J'ai déjà évoqué cet homme en reprenant un article où on croise des amis de Cladel. J-P Damaggio

 La Revue des Deux Mondes Mai 1919

Le printemps tourmenté : Souvenirs littéraires (1881-1895)

Paul Margueritte

 Trois grands noms m'éblouissent à cette époque, se font chair et verbe dans l'accueil de la poignée de main, la grâce du sourire et la bonté du regard. Je suis reçu le dimanche au Grenier de Goncourt et j'y vois Alphonse Daudet. Je vois aussi quotidiennement Léon Cladel car notre mère a loué une maison à Sèvres et nous y donne l'hospitalité. Les jardins de nos deux maisons se touchent.

Originale demeure de Cladel Le grand forgeron de lettres avec sa chevelure et sa barbe incultes, son nez d'aigle, ses perçants yeux fauves, rustique comme Jean-Jacques, et accompagné de ses vieux chiens Paf et Famine, avait une allure épique. Sous sa rudesse apparente, c'était le maître le plus bienveillant.

La villa de ma mère était à flanc de coteau, plantée dans le haut en verger, avec force prunes et abricots, et dans le bas en jardin le tout dévalait en pente raide jusqu'à une terrasse sur la route, après laquelle venait une grande plaine, disparue aujourd'hui sous les bâtisses. Des fenêtres du premier étage, Paris au loin se dessinait sur la toile d'horizon du ciel, entre les deux larges portants de ce majestueux décor; a droite, le petit château de Brimborion; à gauche, le parc de Saint-Cloud.

Plus d'une fois, Léon Cladel nous y emmena promener, mon frère et moi; il ne dédaignait pas de s'arrêter devant les ébats des joueurs de boules, discoboles modernes. Ses causeries étaient pleines de curieux souvenirs il évoquait Baudelaire, Banville, Barbey d'Aurevilly, parlait de Rollinat, que j'eusse pu rencontrer chez lui, et de son étonnante musique impressive, il sautait de là à sa propre enfance, ses années de lutte, avec une verve ardente il racontait son âpre labeur littéraire, ce mal éloquent du style qui le torturait.

D'autres fois, il conversait chez lui, assis l'hiver au coin de sa cheminée; l'été, sur la terrasse de son jardin. Des poules venaient picorer entre ses jambes, une chèvre se haussait jusqu'aux branches pendantes; et de gracieuses adolescentes et un fils robuste entouraient, comme une nichée heureuse, le grand écrivain et sa noble compagne.

C'est chez eux que je vis pour la première fois Catulle Mendès. Il était beau encore, d'un blond métallique; sa grâce séduisante de lettré passionné, jointe à sa conversation vive, répondait bien à son œuvre d'alors, d'un déluré de soubrette libertine.

 

(Autre moment dans l'article)

J'allais m’éloigner du chef du naturalisme, chef sans élèves, car Maupassant, Léon Hennique, Henry Céard, Joris-Karl Huysmans, attestaient des talents trop différents pour être considéré autrement que comme des disciples d'affection et non d'école. Émile Zola publiait alors La Terre, roman épique, d'une crudité flamande, où les incongruités sonores du paysan Jésus-Christ faisaient scandale. Sans avoir, comme on devait me le faire judicieusement remarquer, le droit d'être prude, je ressentais un sincère éloignement pour cet art; et c'est pourquoi je pris part au manifeste des Cinq que publia le Figaro et que signèrent Paul Bonnetain, J.-H. Rosny, Lucien Descaves, Gustave Guiches et moi.

J'en avais eu, pour en avoir ouï la lecture, une impression hâtive ; si j'avais eu le temps de réfléchir, peut-être eussé-je demandé à ce qu'on discutât certains termes de l'article, trop direct, trop violent, pas assez respectueux de l'immense effort d'un homme qui remplissait alors le monde de son nom et de ses livres, dont chacun était une bataille d'idées, et joignait au succès d'argent une victoire littéraire. Pressé par les circonstances, j'adhérai sans calculer la portée de mon acte. J'en eus conscience le lendemain, en lisant l'article, -car ce qui est écrit, a un autre caractère que ce qu'on entend, -et en jugeant de l'effet produit. Il fut comparable à l'explosion d'une poudrière.

Tous les journaux, et de tous les partis, tombèrent avec raison sur nous, nous reprochant une défection blâmable, si nous étions les élèves de Zola, ridicule si, comme il l'affirma dans sa réponse, il nous ignorait. D'autre part, on se réjouissait de ce « lâchage du naturalisme comme d'un signe de réaction propice et de dégoût tardif, mais justifié. « Quand le bateau sombre, écrivit avec une méchanceté drôle un journaliste, les rats déménagent ! »

Léon Cladel ne me cacha pas qu'il désapprouvait les allusions blessantes et le tour général du manifeste ; Daudet et Goncourt, qu'on suspectait à tort de complicité, et qui n'avaient rien su d'un secret bien gardé, jugèrent, le journal de Goncourt en fait foi, notre article « mal fait, et s'attaquant trop outrageusement à la personne physique de l'auteur. »

Note JPD : Cladel n'aimait pas Zola mais on constate que cependant il ne fallait pas dire n'importe quoi à son sujet.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 022 477
Publicité