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Vie de La Brochure
6 avril 2020

Le bac en 68

bac en 68

Au ministère de l'Éducation, c'est la panique à cause des grèves. Mi-mai, le recteur de Rennes demande le report du bac. Pas question pour le ministre. Contre-proposition du recteur de Reims : que le bac se déroule sous forme orale. Coup de théâtre le 28 mai : le ministre de l'Éducation démissionne. Son successeur valide un bac à l'oral. Autour du 27 juin, chaque académie organise l'épreuve. Elle se passe en une journée et les résultats sont connus le soir même. Pour évaluer, les professeurs s'appuient sur le livret scolaire.

Résultat : 81,3% de réussite, contre 62% en 1967.

Les collés faisaient piètre figure mais j’en connais au moins un qui a très bien survécu. J-P Damaggio

 

Article de Libé du 29 juin 2018

 Passé à l’oral pour cause de Mai, ce diplôme a toujours été vu comme facile et sans valeur. Le vécu, et le parcours, des intéressés prouvent que les deux sont faux.

 Quand on a passé le baccalauréat en 1968, on n’entend pas que des commentaires agréables. «Ah oui, le bac 68, celui qui était donné…» Même si le propos se veut ironique et pas méchant, le sous-texte est clair : ce bac-là, passé en une journée et entièrement à l’oral, ne valait rien.

Mais à quoi tient la valeur d’un diplôme ? A la sueur et la douleur ? Ou bien au parcours vers lequel il mène ? Le 17 mars, l’association des Anciens du lycée Alain d’Alençon, dans l’Orne, réunissait la promo 1968 dans les locaux du lycée. Sur 176 anciens, l’association en avait retrouvé 140 et 100 avaient fait le déplacement. Beau score. Président de l’association, Cyrille Launay (bac 1995, série S) raconte que «le bac à l’oral, les deux premières heures, ils n’ont parlé que de ça. Et ils étaient unanimes. Pour eux, ce n’était pas un bac au rabais».

Martine Fontaine (bac 1968 série A) soupire en se rappelant ce que «tout le monde» lui a dit après l’examen : «"C’est un bac au rabais !" Mais ce n’est pas vrai…» La preuve ? «Quand on s’est réunis en mars 2018, toutes les classes de terminale de 1968, on a vu ce que les gens étaient devenus : beaucoup d’enseignants, des fonctions de cadres supérieurs, des bacs + 5, + 6… On était des élèves sérieux quand même.»

«On ne savait rien»

Les idées reçues ont ceci de bien que, lorsque l’on peut les démonter, c’est un plaisir de fin gourmet. Ainsi du fameux «bac au rabais» de 1968. En 2005, tandis que les bacheliers de ce millésime ont entamé la cinquantaine, deux économistes, Eric Maurin et Sandra McNally, disséquaient dans une étude (1) le parcours scolaire et professionnel de cette cohorte. Résultat : grâce à ce «singulier accident de l’histoire», des élèves moyens ou redoublants, qui auraient été éjectés du système, ont eu accès à une formation supérieure. Mieux, «lorsque l’on suit ces "élus" dans le temps, on s’aperçoit que cette opportunité s’est traduite, des années plus tard, par un surcroît de salaires et de réussite professionnelle par rapport aux étudiants qui, nés un an plus tôt ou plus tard, n’avaient pas eu la chance de se trouver au bon endroit du système éducatif au bon moment de son histoire». Bigre.

A la recherche des bacheliers 68, on est tombé par hasard sur l’association des Anciens du lycée Alain d’Alençon, qui mentionnait sur son blog la réunion de ses terminales 1968. Magie d’Internet. Alençon, avec ses 31 656 habitants cette année-là, était sans doute l’un des endroits où pouvait se mesurer «cette expérience de laboratoire décisive» que décrivent Eric Maurin et Sandra McNally. Celle qui a permis «à ceux qui restaient d’ordinaire à sa porte (notamment les enfants des classes moyennes) d’entrer à l’université».

Au fond, c’est ce que Martine Fontaine a observé de façon empirique à la réunion des anciens, en soulignant les brillants parcours professionnels de ses condisciples. Passée par le collège de Bellême (1 742 habitants) puis par celui de Sées (4 347 habitants) avant le lycée Alain d’Alençon, elle n’a perçu Mai que par le bouleversement du bac. De l’organisation de l’examen, «on ne savait rien. Les événements, depuis Sées, me semblaient très parisiens. Après la rentrée, quand je suis arrivée à la fac, je me suis rendu compte que pas du tout et j’ai participé à toutes les manifs».

Mais là, en mai à Alençon, Martine ne pensait qu’au baccalauréat. «Je suis d’un milieu modeste, je n’avais qu’une idée en tête : travailler pour être enseignante. Mes parents étaient fonctionnaires, avec des revenus moyens qui ne m’ouvraient pas le droit à une bourse.» Quand bien même l’agitation aurait atteint le lycée, l’élève ne se sentait pas «le droit de faire n’importe quoi». L’arrivée de Mai à Alain s’est ressentie le jour où «le lycée nous a dit : "Rentrez chez vous." Il n’y avait pas de train, on s’est débrouillés par nos propres moyens».

De quoi stresser

Le bac à l’oral, dont on parle aujourd’hui comme d’une promenade de santé comparé à sa version écrite, n’était pas vécu de la sorte par les intéressés. «Elève moyenne, assez sérieuse mais assez timide, j’avais peur que l’oral ne me desserve», se souvient Martine Fontaine. Il faut croire que non. «J’ai eu le bac sans mention mais honorablement», dit-elle.

Sa condisciple Brigitte Rivière raconte elle aussi que ce tout oral n’était pas un cadeau. «On venait d’un enseignement très magistral et là, tout d’un coup, on nous demandait de prendre la parole.» Et pas qu’un peu. Toutes les matières enquillées les unes derrière les autres, sur une seule journée, avec les résultats dans la foulée. Il y avait d’autant plus de quoi stresser que le calendrier de l’examen avait fluctué jusqu’au dernier moment. «On nous a dit "vous le passerez" puis "vous ne le passerez pas". Il y a eu trois ou quatre contre-ordres», se souvient-elle. Le jour J, «on a quand même eu des examinateurs bienveillants qui nous disaient : "On va faire ça tranquillement." Pas pour nous dire qu’ils allaient nous mettre une bonne note, mais pour nous aider». Et en philo, Brigitte avait besoin d’être soutenue. «J’étais un peu dépassée par cette matière. Je ne comprenais rien, je prenais ça comme de la littérature. Et en plus, c’était un coefficient énorme.» Résultat ? «10 en philo et le bac avec mention assez bien.»

Comme Martine Fontaine, Brigitte Rivière a le souvenir que vus d’Alençon, les événements de Mai 68 semblaient bien lointains. «J’ai été pensionnaire dès la quatrième, raconte-t-elle. Ça, plus le fait que ma famille me protégeait beaucoup, faisait que je n’avais aucune notion de ce que pouvaient être les événements de Mai. J’en entendais un peu parler par mes parents, à cause de l’essence.» Mais l’ambiance de 68 a bien fini par atteindre Alençon : «Le jour où on a fait un sit-in dans la cour, je n’en revenais pas…»

Mention très bien

A une époque où n’existent ni les réseaux sociaux ni les chaînes d’information en continu, la conscience politique des lycéens est une affaire de contexte familial et de hasard des rencontres. Alain était un lycée «où l’on pouvait entrer en maternelle et en sortir au bac», décrit Jean-Marc Roger, bachelier 68, série C. «La terminale C, c’était les bons en mathématiques. C’était un peu atypique à l’époque. On était une bordée de copains toujours ensemble», raconte-t-il. Et pas imperméables aux idées de Mai. «Je me souviens qu’on est allés à Caen dans une AG, voiturés par un de nos profs.» Pourtant, même si les événements de 1968 ont démarré en Normandie avec les émeutes ouvrières de Caen en janvier, «Alençon n’était pas un grand lieu d’agitation», remarque-t-il.

Dans la famille Roger, il y avait neuf frères et sœurs avec des options politiques «assez disparates». Les parents «avaient une sensibilité humaniste». En mai, ils avaient hébergé «des internes du lycée qui voulaient participer au mouvement et ne voulaient pas rentrer chez eux». Les parents n’étaient-ils pas horrifiés par ce qui se passait ? «Non, c’était plutôt le contraire. Je n’ai même pas le sentiment qu’ils aient eu peur.»

Et le bac ? Une formalité pour le crack en maths ? «J’étais en difficulté en primaire et j’ai passé l’examen d’entrée en sixième. Si je n’avais pas eu des parents intellectuels, j’aurais décroché.» Le bac à l’oral l’a sauvé, grâce à son talent en maths et à «un coefficient très haut. Mais j’ai eu aussi une bonne note en français parce que les fautes d’orthographe, à l’oral, ça ne se voit pas». Bac mention très bien.

Et la suite ? Brigitte Rivière, qui voulait être enseignante, a étudié en fac, est devenue professeure de français puis professeure documentaliste. Martine Fontaine a fait une licence, une maîtrise puis obtenu le Capes de documentaliste. Elle souligne au passage que son mari, qui était dans la même classe qu’elle, est agrégé. Jean-Marc Roger a fait Centrale Paris, a créé la fonction de valorisation immobilière à la Poste avant d’être appelé pour faire de même dans d’autres grandes entreprises publiques. Et de préciser : «A la fin de maths sup, avec un copain, on a passé le bac philo. Sans enjeu, et on l’a eu à l’oral.»

(1) Vive la Révolution ! Les bénéfices de long terme de Mai 68, la République des idées (2005)

 

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