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Vie de La Brochure
12 avril 2020

Le PCF et la question littéraire 1921-1939

Quelqu'un souhaitant jeter sa collection de la revue Esprit j'ai récupéré les numéros. Et j'en reprends parfois quelques articles utiles à ma réflexion. Michel WINOCK est un auteur qui a depuis été très connu. J-P Damaggio

  Esprit Mai 1973

Présentation d’un livre

Jean-Pierre A. BERNARD : Le Parti communiste français et la question littéraire, 1921-1939. Préface de René Rémond (Presses universitaires de Grenoble).

On sait trop le centralisme parisien dont l'édition française est affectée pour ne pas manquer de signaler ce premier livre édité par les nouvelles P.U.G., — et d'autant moins que le sujet en vaut la peine, puisqu'il s'agit de la politique littéraire du P.C.F.

Au vrai, l'auteur distingue deux politiques successives : l'une qui est «littéraire», jusqu'en 1932-1933, l'autre qui est «intellectuelle», à partir de 1933. A la première période correspond la notion de «littérature prolétarienne» : éloignée des principes de littérature populiste et des thèses de Poulaine, elle est d'importation soviétique. Les théories sur l'art et la littérature ne s'étaient pas imposées d'emblée après la guerre civile ; la période léninienne est de ce point de vue assez peu dogmatique : en 1924, Trotsky concluait «qu'il n'y a pas de culture prolétarienne, qu'il n'y en aura jamais et qu'en définitive il n'y a pas de raison de le regretter...» C'est en 1928, avec le début des plans quinquennaux, qu'on en arrive à la «planification littéraire», dont l'expression la plus significative fut d'enrôler dans la littérature l'élite des rabcors (environ 12 000 correspondants ouvriers des organes de presse), baptisés glorieusement «travailleurs de choc de la plume». Pendant toute cette période, les communistes français ne se plièrent nullement aux directives soviétiques ; Henri Barbusse, qui tient la chronique littéraire dans l'Humanité et qui (les surréalistes mis à part) est à peu près le seul écrivain d'envergure qui ait alors rallié le P.C., n'accorde aucun crédit à la littérature «prolétarienne». C'est Barbusse précisément, et les communistes français, qui sont visés par la conférence de Kharkov (novembre 1930) : à ces déviationnistes de droite il est rappelé l'urgence de développer en France une littérature élaborée par les correspondants ouvriers. Celle-ci ne verra pas le jour, du moins les communistes français retiennent de Kharkov l'impératif de l'organisation : en décembre 1932, l'Association des écrivains et des artistes révolutionnaires est créée. Pourtant, vu la conjoncture internationale et le proche tournant tactique de l'Internationale, l'AEAR n'aura plus pour fonction de faire naître une culture prolétarienne mais de servir la politique de rassemblement populaire contre le fascisme.

Dès lors, le P.C. n'a plus de politique «littéraire» ; on accorde le label du «réalisme socialiste» aux romans d'Aragon et de Nizan comme un imprimatur : il faudra attendre la guerre froide et les candides romans d'André Stil, ce Pierre l'Ermite de la littérature communiste, pour observer en France les effets du jdanovisme. L'important est de se concilier des compagnons de route, de réunir dans un combat commun les écrivains et les artistes prestigieux : on ne regardera pas de trop près le contenu de leur art, on lui trouvera même au besoin des charmes jusque-là insoupçonnés. L'auteur nous présente quelques cas significatifs, Gide surtout, Malraux, mais il nous montre aussi les appels du pied qui sont faits à Mauriac et jusqu'à Montherlant. Cette politique de la main tendue devait se renouveler pendant la Résistance et jusqu'à la guerre froide. Il est patent que c'est dans cette «ouverture» que les écrivains communistes français sont le plus à l'aise : la façon commémorative dont il traite l'héritage littéraire de la France, on dirait cette «récupération» (pas seulement de Victor Hugo, de Pascal même !), le goût qu'il manifeste pour nombre d' «écrivains bourgeois», le défaut en leurs écrits d'une théorie littéraire d'avant-garde, la défiance même qu'ils en éprouvent : Bernard consacre des pages probantes là-dessus au sujet des rapports entre le P.C. et les surréalistes, tout concourt à démontrer l'embarras éprouvé par les communistes français dans l'isolement littéraire. On pourrait sans doute en dire autant du domaine politique, mais il est remarquable qu'il n'y a pas eu — avant la guerre — de coïncidence parfaite entre la politique littéraire et la politique générale du parti. Tandis qu'à partir de 1930, sous la direction de Maurice Thorez, le PCF est devenu un élément discipliné du Komintern et que son autonomie politique est réduite à sa plus simple expression, la littérature communiste est restée largement indépendante des directives soviétiques. Il est vrai que ces directives ne furent pas univoques : les définitions de Jdanov avancées au premier congrès des écrivains soviétiques d'août 1934 étaient encore balancées par celles, autrement nuancées, de Boukharine ou de Gorki ; il est vrai aussi que le PCF, à supposer qu'il eût voulu appliquer les canons de la littérature prolétarienne et du réalisme socialiste, ne disposait pas avant la guerre des forces qui lui permettront, à partir de 1947¬1948, de les mettre en pratique.

Cette esquisse à gros traits rend mal compte du riche travail de J.P. A. Bernard, qui prend une place de choix dans l'historiographie du communisme français. Michel WINOCK.

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