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Vie de La Brochure
30 avril 2020

Deauvillle, 1924 et Raoul Verfeuil

le populaire du centre 13 juillet 1924

Le Populaire du Centre est né en 1905 et est resté fidèle à lui-même au moins jusqu'en 1939. Pendant la guerre 14-18 il a été pacifiste et ensuite a joué la carte de la gauche du PS. De ce fait on y trouve souvent Raoul Verfeuil de 1912 à sa mort en 1927. Le journal est facile à consulter et il est d'une très grande qualité. La lutte des ouvriers de Limoges a dû peser sur cette histoire et faire de la région, une région rebelle. On y trouve Séverine. Voilà des anecdotes écrites du temps du plus bel optimisme. J-P Damaggio

Article du 13 juillet 1924 : LES DEUX TRAINS

Nous avons eu jadis le train rouge. C'était lors de la première grève des cheminots, en 1920.

Il fut frété par les cheminots de Strasbourg- pour les délégués du Parti socialiste, réunis en Congrès national dans cette ville. Plus un convoi ne partait pour Paris et cependant les délégués, le Congrès fini, avaient bien envie de rentrer. Le syndicat parvint à organiser et à mettre en marche un dernier train dans lequel prirent place les congressistes socialistes, et aussi quelques bourgeois, dont un général commandant, je crois, la région de Nancy.

C'est ce général, paraît-il, qui fit prévenir le buffetier de Nancy de n'avoir point à servir, lorsqu'ils s'arrêteraient, les délégués socialistes, lesquels en effet, sauf exception, ne purent dîner ou se ravitailler.

C'est lui qui, ayant pris la place de Raymond Lefebvre et s'étonnant qu'un civil eut l'audace de lui disputer un coin de banquette à lui, général de division ou même de corps d'armée, s'attirait cette réplique de notre cher et regretté camarade :

«Ah ! vraiment ! vous êtes général !... J'ai passé: deux ans au front, dans les tranchées. C'est la première fois que j'ai le plaisir de rencontrer un général ».

On conçoit la fureur du porteur d'étoiles et de lauriers.

Quoi qu'il en soit, le « train rouge » parvint à destination sans autre encombre.

Aujourd'hui, c'est le « train bleu» que nous avons. Il a été lancé le 5 juillet, à la gare Saint-Lazare, à destination de Deauville.

Moins de trois heures après, nous précise le journal parisien qui nous annonce cette nouvelle sensationnelle, il arrivait dans cette localité, si l'on peut employer un mot aussi trivial pour désigner la reine même des plages.

Le train bleu, est-il besoin de le dire, n'est pas comme l'était, comme le fut le train rouge.

On y rencontre peut-être des généraux ; on n'y trouve pas de socialistes.

Il avait à son bord, le jour où il fut inauguré, « l’élite » du Tout-Paris artistique, littéraire et mondain.

Je ne dis pas qu'en cherchant bien on ne découvrirait pas, dans cette élite, des représentants du prolétariat. Nous avons des camarades socialistes et même communistes qui ont de si mauvaises fréquentations et qui troquent si volontiers le veston démocratique pour le smoking !

Mais ils sont l'exception, et l'autre jour, dans le train bleu, il n'y avait certainement aucun de nos élus.

On fait bien les choses pour Deauville, puisqu'en trois heures on peut désormais se rendre de Paris dans cette charmante cité et puisque le train bleu offre, paraît-il à ses passagers le maximum de confort et d'agrément.

Mais on fait encore mieux les choses à Deauville.

On y a construit en effet un grand bassin merveilleux qui enferme la mer et l'empêche de se retirer, de sorte que les baigneurs ne seront plus désormais obligés de courir après elle lorsqu'il lui prend l'envie de refluer.

Vous allez me dire que je blague. Je n'ai jamais été aussi sérieux.  C’est dans le Matin que j'ai déniché cette phrase que je me permets à peine de modifier.

On conçoit d'ailleurs parfaitement la fatigue de ces pauvres diables d'hommes et de femmes du monde, demi-monde et du quart de monde contraints de galoper après les vagues qui ne veulent pas d'eux.

On serait dégoûté — les baigneurs, pas les vagues — à beaucoup moins.

Dans le bassin, ou la piscine de M. Cornuchê, il n'y aura pas de ces inconvénients.

On ne ratera pas le rendez-vous tyrarnique du flux, comme dit cet excellent Matin.

Et puis, ce n'est pas tout. Il y aura dans l'établissement de bains une collection de cabines de grand luxe situées dans un décor de colonnes grecques, de mosaïques bleu et or, de géraniums roses et de fontaines jaillissantes où le tout Paris s'ébrouera et forniquera peut-être comme s'il était faubourg Montmartre ou rue des Martyrs.

Et cependant, des millions de travailleurs, dans les usines, les bureaux, les ateliers, à la mine, aux champs, trimeront comme des bêtes, sans même pour la plupart, avoir le répit de quelques jours de vacances pourtant bien méritées et qu'ils ne demanderaient pas de passer dans les trains bleus ou les piscines de Deauville, mais simplement dans quelque coin familial où ils pourraient refaire leurs muscles et leurs nerfs.

Le jour, heureusement, viendra, si lointain soit-il, où les trains bleus des bourgeois feront place aux trains rouges des producteurs, lesquels connaîtront enfin la joie de vivre et de se reposer.

Raoul VERFEUIL.

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