Anne-Marie Garat et Ernest-Pignon-Ernest
Je reviens sur ce livre (voir ICI) où Montauban s’y croise plusieurs fois. Bien sûr parce qu’Ernest-Pignon-Ernest y a installé son empreinte une fois, sur le mur de la cathédrale. Donc nous y trouvons Florence Viguier. Mais aussi Lydie Salvayre qui, comme Anne-Marie Garat a été invitée par l’association Confluences.
Ce livre est superbe. L’artiste Ernest-Pignon-Ernest a sollicité des amis pour qu’ils réagissent à des photos issues de ses interventions sur des murs du monde. Et de l’image aux mots, puis des mots aux images, l’esprit s’éveille à répétition. Je me permets de reprendre ici le court texte d’Anne-Marie Garat en espérant qu’il incitera à aller à la rencontre des autres. Visiblement, contrairement à la coutume, les écrivains n’avaient pas un nombre fixé de signes à donner, donc certains se sont étalés, quand d’autres se sont concentrés. Je ne connais pas l’œuvre d’Anne-Marie Garat, malgré son passage à Montauban, mais ce texte m’impressionne. Il est tellement en phase avec le travail d’Ernest-Pignon-Ernst. JP Damaggio
ANNE-MARIE GARAT
DE LAVES ET DE CENDRES
Où que nous dirigions nos pas, nous marchons sur les morts, apocalypses de laves et de cendres, insurrections, guerres, épidémies, charniers d'exterminations, nuages atomiques, génocides, et où aller, dont la terre ne soit saturée de cadavres ? De ceux-là, les osselets ne déchirent aucun linceul, ils n'ont tombe ni sépulture humaine, aucune dalle pesante ne couvre leur dépouille. Ils vont, spectres errants se lamentant parmi les fumerolles de brume, au-dessus des fosses éteintes par les matins d'hiver ou, dans les étés, dans l'infernale trémulation de l'air, ils n'ont pas de paix. Tous ces revenants, leur infinie cohorte, où les enterrer, leur donner dignité de reposoir afin qu'ils ne nous tourmentent plus de leur plainte? Comment les accueillir, sinon en image, sinon en langage, qui les font apparaître, et disparaître, en nommant leurs offenses et dénonçant le crime ? Comment les assujettir à une conscience, sinon à celle du récit, à celle d'une histoire, pour qu'ils y prennent place et s'y tiennent debout; qu'ils existent en fiction, c'est-à-dire en imagination, cette pitié et cette gloire de l'esprit ? Où donc est l'ingénieur de ce chantier et par où commencer ? Le travail est immense. Dans cette nécropole mentale, parmi les ruines, si nous ne partons à leur recherche, qui partira à la nôtre ?... (p. 96)