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Vie de La Brochure
28 juin 2020

Moissac : le point de vue de Dominique Porté

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Dominique Porté connaît très bien le cas de Moissac. Il est un des éléments du livre avec Nunzi qu'il cite "Itinéraire d’une enfant de la République" et il livre à chaud cette réaction que je reprends pour aider au débat qui doit s'engager. Et par exemple que dit Nunzi dans le livre évoqué, sur le FN qui depuis 1984 est puissant dans cette ville ? Il y a l'explication sociologique maisj'u crois peu. J-P Damaggio
MOISSAC : victoire du RN en terres radicales
par Dominique Porté
Le Rassemblement national stagne voire même régresse dans la plupart des grandes villes. Il n’opère pas de poussée significative (à l’exception de Perpignan avec Louis Alliot), mais il se renforce dans ses fiefs, comme à Béziers avec le caméléon Robert Ménard et sa rhétorique cathodique ; dans l’un de ses terrains de prédilection, Marseille, où il a fait fructifier son virulent discours anti étrangers au refrain anti immigrants, il se tasse.
Dans ce paysage, le RN a opéré une percée remarquée à Moissac en Tarn et Garonne, commune à dominante rurale, vivant essentiellement de la production fruitière. Le candidat RN y a raté de peu son élection au premier tour avec 47,2% des suffrages et près de 2.000 voix ! Avec plus de 50% d’abstention, le candidat RN crée l’événement et se place en bonne position pour emporter la mairie qui fut de gauche de 1977 à 2014 et de droite de 2014 à 2020. Au second tour Moissac a voté à plus de 60 % pour la liste RN.
Comment expliquer cette victoire ? Tout d’abord, elle ressemble à bien d’autres victoires du RN dans des communes du Sud-Est de la France voire de l’Est (Longwy) qui ont connu ou qui connaissent des situations de crise sociale et économique. Trois types de raisons peuvent être avancées pour essayer d’expliquer cette élection.
Crise économique- Cette commune et ce territoire sont non seulement appauvris mais s’appauvrissent de manière progressive et constante depuis de longues années. A Moissac, en 1970, une usine de caoutchouc (La Targa) emploie 1.200 salariés et fait donc vivre près de 3.000 à 4.000 personnes ; en 2020, elle compte à peine 60 personnes (cf brochure : La Targa syndicats et luttes de 1955 à 1976). Illustration du phénomène de désindustrialisation particulièrement grave quand il s’agit d’une mono industrie. Rien, aucune industrie n’est venue en remplacement. Malgré les multiples et longues luttes qui ont émaillé la déstructuration de l’entreprise, cet événement majeur a laissé les traces d’une mémoire entachée de fierté mais aussi de déceptions comme un sentiment d’abandon. A cet épuisement du tissu industriel, il faut ajouter la réduction et l’anémie des services publics, de l’hôpital au lycée sans parler de l’absence de commissariat. Cette dégradation parallèle privé-public s’étale sur plus de quarante ans et continue de s’approfondir avec le désengagement de l’Etat. Les faibles ressources de la collectivité municipale ne lui permettent au mieux que de gérer à minima ces désengagements successifs. Résultat : un sentiment répandu de déclin, plus qu’un abandon une relégation qui a marqué profondément deux générations. Ceux qui avaient 20 ans dans les années 1970 et ceux qui ont 20 ans dans les années 2000. La fatigue démocratique et le rejet des politiques se nourrissent de ce profond sentiment de déception et de désillusionnement. A Moissac ce désenchantement trouve une expression dans les élections.
A ce facteur de crise économique, s’ajoute une particularité démographique moissagaise liée à l’activité agricole fruitière : l’emploi d’une main d’œuvre d’origine étrangère d’ouvriers agricoles. Portugais, Espagnols dans les années 1960-1970 auxquels s’ajoutent les Magrébins et dans les années récentes de la main d’œuvre originaire de l’Europe de l’Est (Bulgares). Hier comme aujourd’hui, il s’agit d’un sous prolétariat agricole mal rémunéré, au logement défectueux et mal intégré. Les différences culturelles, religieuses exacerbent les tensions que, d’une part le discours politique du RN attise et que d’autre part les autres discours soit sous-estiment soit apparaissent comme sans solutions. S’enclenche alors la logique du bouc-émissaire qui obture toute autre proposition. Tout ceci contribue à une polarisation extrême d’une partie de l’électorat (voir Itinéraire d’une enfant de la République - Jean-Paul Nunzi-Editions Cairn).
A ces facteurs économiques et démographiques, il faut ajouter le facteur politique. Avec un électorat quantitativement réduit (environ 8.700 inscrits) la multiplication des candidatures qui s’adressent à un même électorat de gauche ou de droite aboutit logiquement et mathématiquement à un éparpillement de celui-ci. Le cumul des voix de droite et de gauche représente autant que les voix du RN. La question est donc de savoir pourquoi tant de candidatures. Pourquoi les points d’accord n’ont pas été trouvés ? Problème de programmes ? Question de personnes ? Les divisions anciennes, récurrentes et permanentes entre les radicaux et les socialistes ont débouché sur une politique de la terre brûlée, réduisant la politique à une lutte de clans et le territoire en fief. Dans ce contexte, le RN apparaît sans apparaître ; un camouflage savamment orchestré efface les choix partisans et brouille les réalités. Ni droite ni gauche, tous d’abord d’ici, comme tous d’abord de France. L’habillage sémantique et la confusion des idées s’emboitent comme des poupées russes. Une telle bouillie de valeurs et une telle mêlée d’incohérences ont tout naturellement et tout simplement abouti à rendre l’offre électorale plus enchevêtrée et compliquée qu’éclairante et lisible.
Les ambitions avouées ou camouflées ont abouti à un jeu de massacre des expressions démocratiques et républicaines. Peut-être aussi faut-il ajouter que, dans le système électoral municipal actuel personnalisé à outrance (comme la plupart des collectivités et institutions), le rôle d’une personnalité fédératrice est certainement l’une des clés avec son revers la bousculade calamiteuse des égos.
Le soutien du bout des lèvres, souvent sans la citer ( !), de la liste de Madame Hemmami souligne la force des lourdes rancoeurs passées et des bruyantes querelles présentes. La victoire du RN à Moissac est d’abord celle d’une division. L’avenir ne se reconstruira pas sans une nécessité d’inventaire que ne manqueront pas de faire lucidement les générations de demain.
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