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Vie de La Brochure
6 août 2020

Alexandra David-Neel écrit à son mari en 1906

alexandra David-Neel

Alexandra et son mari dans leur maison de la Goulette à Tunis

 Pour compléter les notes précédentes sur le livre d’Alexandra David-Neel concernant le philosophe chinois Meh-ti (ou Mo-tse) voici ce qu’elle écrit à son mari au moment où elle dépose une part de son travail chez un éditeur anglais. Elle est à ce moment là à Ealing chez une amie d’enfance, Margot, dont on peut noter qu’elles ne partagent pas les mêmes conceptions de la vie. Elle y est pour apprendre l’anglais et elle affiche clairement son besoin d’argent. Quelques mois après son père meurt et elle va récupérer 20 000 francs. JP Damaggio

 Ealing, 21 septembre 1906

 J’ai été chez Luzac hier et y ai laissé ce qu’il y a de fait de Meh-ti […] Ce n’est pas qu’il y ait du profit à attendre de cette affaire. Je sais fort bien que non ; mais un livre de cette espèce peut être un premier jalon dans la voie que je voudrais suivre. En me faisant connaître, il peut m'ouvrir plus aisément les portes de maisons qui publient des « bibliothèques de vulgarisation » comme Alcan et d'autres. Il y a aussi, dans ce genre, des subsides à glaner au ministère et je voudrais faire, à l'usage de l'Enseignement supérieur et des gens du monde, deux traités attrayants, bien écrits, l'un sur les religions et philosophies de l'Extrême-Orient, l'autre sur celles de l'Inde. Il y a tant de gens qui fabriquent des romans !

[...] Tu as raison de le penser, mon cher ami, ce serait, pour moi, une grande joie de sortir de l'ornière où je suis depuis que ma vie n'a plus de direction. Il ressortirait de là un grand apaisement d'esprit, un contentement qui changerait beaucoup notre vie intime et la rendrait bien plus aisée. Tu dois souhaiter comme moi, que j'y arrive enfin. [...]

[...] Je ne puis m'empêcher de songer à cette affaire de mon livre et de souhaiter qu'elle se fasse. J'aurais grand besoin de gagner une somme suffisante dans mon année. Ma position est très fausse et je n'y étais pas accoutumée, ayant toujours suffi à mes besoins. Sans le savoir Mère et Margot ont retourné le fer dans la plaie. Margot m'a demandé combien tu dépensais pour tes menues dépenses. Je lui ai dit que je n'en savais rien, mais que je savais que tu étais très économe, souvent trop à mon avis. « Comment tu n'en sais rien ? Il ne t'apporte donc pas son mois ? » Alors je lui ai dit que nous étions mariés séparés de biens. [...] Moi aussi je gagne de l'argent, je n'ai pas besoin que l'on me paie mes robes sauf, quand mon mari veut me faire un cadeau comme je lui en fais moi aussi, quant au ménage, chacun de nous met une somme pour y pourvoir.

Et c'est cela qui devrait être en effet. Le rôle de la femme servante à qui l'on dispense une à une les pièces de vingt francs, qui ne peut pas dépenser un sou sans qu'on le sache est un triste rôle. Je crois qu'il faut lui attribuer la légèreté de tant de femmes, le peu d'intérêt qu'elles prennent aux économies communes. L'argent du mari ce n'est pas son argent, on le dépense sans regret, on fricote, comme une cuisinière, sur le prix de la viande ou du beurre pour s'acheter un ruban ou un flacon d'odeur. D'autres, les non-coquettes, font une tirelire secrète : « leurs économies » et c'est là le petit capital, la fortune minuscule qui leur tient à cœur. Je crois que cette indépendance et cette hypocrisie causent malheur de plus d'un ménage. Je ne te dirai pas que j'approuve le système en sens inverse où le mari doit quémander de l'argent de poche. Cela est idiot. Toutefois il y a cette nuance que le solliciteur ayant conscience, qu'après tout, l'argent est à lui et qu'il le gardera le jour où il lui plaira, n'est pas dans une situation aussi dépendante. Ce qu'il fait, il y consent de son plein gré. Malgré cela, je hais cet espionnage mutuel. Ce que l'on gagne est à soi et l'on a le droit d'en disposer, sauf les restrictions que l'on s'est imposées soi-même, comme d'élever ses enfants, etc. D'où il résulte que les femmes devraient, elles aussi, gagner de l'argent ou bien que, comme le veulent certains réformistes, le travail ménager entraîne une rémunération. Est-il juste qu'une femme qui a fait la cuisine, lavé la vaisselle, raccommodé les hardes d'un homme s'en aille les mains vides en cas de séparation, alors que si elle avait fait ces travaux pour des étrangers elle aurait touché un salaire et que, d'autre part, l'homme qu'elle a servi ainsi aurait dépensé de ce chef (s'il avait eu recours à autrui) bien plus que l'entretien de sa femme. Évidemment, il y a là une grosse lacune à combler surtout pour la classe besogneuse. [...]

 

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