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Vie de La Brochure
20 août 2020

1931 : Littérature prolétarienne et langue occitane

J’ai découvert récemment le traitement imposé par les autorités communistes aux autorités inférieures. Les dirigeants de l’Internationale communiste (I.C.) dénonçaient l’incapacité du parti français à suivre la juste ligne élaborée et les dirigeants français faisant effort pour s’adapter dénonçaient l’incapacité des dirigeants régionaux à suivre la juste ligne eux-mêmes dénonçant….

En 1931 l’I. C. constatant que les conditions objectives de la révolution sont mûres en France, s’insurge contre l’immobilisme du PCF. Il existe un secteur où la mutation tarde à opérer : la littérature !

Alors qu’en URSS tout est mis en œuvre pour que les correspondants ouvriers des journaux deviennent de grands écrivains, la France qui devrait montrer l’exemple traîne les pieds. Donc, comme dans des tas de domaines, l’I.C. produit des textes à rallonge à l’adresse du PCF pour dicter la marche à suivre. Aragon était à ce moment là à Moscou mais il est improbable qu’il soit l’auteur du dit texte. En voici la conclusion :

« La 2e Conférence Internationale des écrivains révolutionnaires est convaincue que les mesures et les dispositions qui viennent d'être adoptées, permettront d'établir en France dans l'avenir le plus proche, les fondements d'une organisation d'écrivains révolutionnaires prolétariens très forte, qui, en choisissant comme base de son activité politique et créatrice la plateforme de l'Union Internationale des Ecrivains Révolutionnaires, pourra adhérer à cette Union pour y former la section française. »

La dite conférence donne en modèle l’Allemagne où la littérature prolétarienne a fait de grands bonds en avant :

« Pour créer un tel noyau [de littérature prolétarienne], il faut tout d'abord renforcer immédiatement et élargir la création littéraire des ouvriers sous toutes ses formes. Si l'on prend les remarques précédentes ainsi que le niveau de culture élevé des ouvriers français, on peut sans erreur affirmer que la littérature prolétarienne existe à l'état virtuel et qu'elle n'attend qu'une impulsion pour se manifester comme cela a eu lieu en Allemagne, où le développement des troupes révolutionnaires d'agitation et de propagande dans les masses s'est rapidement manifesté après la visite de la Blouse Bleue. »

 

Pourquoi cette ligne politique reste sans écho en France alors que le pays a été pionnier avec des vedettes comme Zola, Courbet, Daumier ?

Jean-Pierre A. BERNARD explique que c’est en 1928, avec le début des plans quinquennaux, qu'on en arrive à la «planification littéraire», dont l'expression la plus significative fut d'enrôler dans la littérature l'élite des rabcors (environ 12 000 correspondants ouvriers des organes de presse), baptisés glorieusement «travailleurs de choc de la plume». Pendant toute cette période, les communistes français ne se plièrent nullement aux directives soviétiques ; Henri Barbusse, qui tient la chronique littéraire dans l'Humanité et qui (les surréalistes mis à part) est à peu près le seul écrivain d'envergure qui ait alors rallié le P.C., n'accorde aucun crédit à la littérature «prolétarienne».

L’I.C. accuse Barbusse «l’écrivain communiste» de confusionnisme.

Le PCF préfère s’attacher l’appui d’écrivains et artistes prestigieux sans se soucier du contenu de leur art. Et quand, à partir de 1935, les vertus de la nation française seront mises en valeur avec même récupération du drapeau tricolore, la commémoration de l’héritage littéraire servira de «politique littéraire» même si après 1945 quelques versions du réalisme socialiste seront à l’honneur.

 

Cet état de fait tient à mes yeux à un point peu étudié : la fracture profonde en France entre culture populaire et culture savante. Aux USA la musique folk peut donner du rock, le blues du jazz.

Face à notre tradition qui place la culture savante loin au-dessus de la culture populaire l’I.C. aurait voulu imposer la fracture inverse.

Dans le monde, le plus souvent la culture savante s’est affichée en continuité avec la culture populaire sans que le folklore soit réduit à un vestige du passé.

 

Jean Guéhenno sur la revue Europe expliquera à propos du livre d’Henry Poulaille, Le pain quotidien :

«C'est qu'il ne suffit pas pour « faire un livre vivant » de sténographier des conversations et de photographier des paysages. La vie d'un livre est autre chose que la vie des objets qu'il représente. Elle tient à son mouvement, à sa composition, à sa langue, à son style, à tout ce que précisément Henry Poulaille veut négliger.»

 

Et la langue occitane alors ?

Beaucoup considère que le mauvais coup porté à cette langue provient de l’action de l’école qui punissait tout mot prononcé en oc. En 1931 la langue occitane était très largement parlée après des dizaines d’années d’école publique sauf qu’il y avait la coupure que je viens d’évoquer : d’un côté la culture savante présente à l’école et de l’autre la culture populaire présente à la maison. L’instituteur est en l’occurrence un effet et non une cause d’un fait social plus vaste et d’ailleurs ils furent des centaines les instituteurs qui défendirent la dite langue d’oc.

Seule l’église tentait d’échapper à la fracture au nom d’une autre fracture : la messe en latin à un public ne parlant pas cette langue. Pour l’église, la culture savante était en latin en conséquence, à langue française, corse, bretonne ou occitane il suffisait de s’adapter. Comment imposer le français dans le confessionnal ?

Pour contrer la fracturedu populaire et du savant, la glorification de la langue d’oc est passée par la glorification de la littérature occitane et non par le parler occitan enfermé par une autre porte dans le folklore, le parler étant souvent considéré comme une langue pervertie par le français.

 

Jean Guéhenno indique au sujet du livre de Poulaille :

« Henry Poulaille a cru que l'argot pouvait remplacer le français. Je pense bien que c'est être bourgeois, selon lui, que de parler français. Son livre est fait presque uniquement de conversations rapportées en argot, et des gens le consulteront comme un répertoire d'expressions souvent savoureuses. On souhaiterait un autre sort à un livre traitant d'un si beau sujet. Mais l'argot qui suffit au pittoresque ne suffit peut-être pas au tragique. H. Poulaille a été le prisonnier de la langue qu'il a entendu parler, qu'il veut parler. Le français seul pouvait porter les idées générales et toutes les pensées qui agrandissent et élèvent le drame de notre pain quotidien. Il est peu croyable que la révolution elle-même, en France, ait pour effet de substituer l'argot au français dans l'expression de l'éternelle misère des hommes. »

Léon Cladel a passé sa vie à transformer des conversations rapportées en langue littéraire et ne pouvait donc être entendu ni par ceux qui tenaient la littéraire loin du peuple ni par ceux pour qui le peuple était loin de la littérature. J-P Damaggio

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